MAITRE CHRETIEN
"Ceux qui connaissent Dieu le plus parfaitement sont ceux qui perçoive le plus clairement qu'il est parfaitement incompréhensible."
Carme et mystique espagnol (Pontiveros, Vieille-Castille, 1542 - couvent d'Ubeda, 1591). Après sainte Thérèse, rencontrée en 1567, il fut l'âme de la réforme des carmels espagnols, participa aux premières fondations des carmes déchaussés (à Duruelo, Macera, Pastrana) et à la réforme du convent de l'Incarnation d'Âvila dont sainte Thérèse était prieure. Le conflit avec les carmes « mitigés » éclata en 1577; il fut enfermé à Tolède. C'est dans son réduit qu'il écrivit quelques-uns de ses poèmes. Évadé en 1578, il continua réforme et fondations, occupant d'importantes charges chez les carmes déchaussés (recteur du collège de Baeza, 1579 ; prieur à Grenade, 1582 ; à Ségovie, 1585). Mais du sein même de la réforme vint encore l'opposition : réduit à l'état de simple moine (1591), il mourut en butte à d'incessantes persécutions. Ses quatre traités mystiques sont des commentaires de ses poèmes : La Montée du mont Carmel, La Nuit obscure (tous deux sur le même poème), Le Cantique spirituel, La Vive Flamme d'amour. Ils enseignent à trouver Dieu au fond de la « nuit obscure » de l'âme, au fond du nada («rien»). Dans ses poèmes, chefs-d’œuvre du siècle d'or espagnol, se mêlent l'idéal médiéval et l'idéal renaissant, les réminiscences populaires et l'élan de foi le plus exalté. Ils retracent un itinéraire mystique où l'intimité amoureuse avec Dieu est exprimée dans un style lyrique sensuel, dont les symboles et les allégories rappellent - de manière souvent audacieuse - les émotions de l'amour humain. Docteur de l'Eglise, il est fêté le 14 décembre.
GLOSE
En style divin
Sans appui et avec appui
sans lumière en l'obscur vivant
tout entier me vais consumant
Voilà mon âme dessaisie
de toutes les choses créées
au-dessus d'elle s'est levée
en une savoureuse vie
s'étant sur Dieu seul appuyée
alors désormais on dira
chose qui m'est du plus grand prix
que mon âme à présent se voit
sans appui et avec appui
Bien que je subisse la nuit
au sein de cette vie mortelle
mes souffrances ne sont point telles
car si la clarté me trahit
je possède la vie du ciel
car l'amour de pareille vie
plus va sans cesse s'aveuglant
et plus il tient l'âme ravie
sans lumière en l'obscur vivant
L'amour accomplit tel labeur
depuis que je sais qu'il est là
qu'avec du bien du mal en moi
il donne à tout même saveur
et l'âme il la transforme en soi
et en son savoureux brasier
qu'au centre de moi je ressens
en hâte sans y rien laisser
tout entier me vais consumant
COUPLETS
faits sur une extase
de très haute contemplation
je suis entré où ne savais
et je suis resté ne sachant
toute science dépassant
moi je n'ai pas su où j'entrais
mais lorsqu'en cet endroit me vis
sans savoir où je me trouvais
de grandes choses j'ai compris
point ne dirai ce qu'ai senti
car je suis resté ne sachant
toute science dépassant
De piété de quiétude
c'était là science parfaite
au profond d'une solitude
une voie entendue directe
c'était là chose si secrète
que suis resté balbutiant
toute science dépassant
J'étais en tel ravissement
si absorbé si transporté
qu'est demeuré mon sentiment
de tout sentir dépossédé
ainsi que mon esprit doué
d'un comprendre non comprenant
toute science dépassant
Qui en ce lieu parvient vraiment
de soi-même a perdu le sens
ce qu'il savait auparavant
tout cela lui semble ignorance
et tant augmente sa science
qu'il en demeure ne sachant
toute science dépassant
D'autant plus haut il est monté
et d'autant moins il a compris
quelle ténébreuse nuée
venait illuminer la nuit
celui qui savoir en a pris
i1 reste toujours ne sachant
toute science dépassant
Il est ce non savoir sachant
chargé d'un si puissant pouvoir
que les sages argumentant
n'en tireront jamais victoire
car il ne peut tout leur savoir
ne point comprendre en comprenant
toute science dépassant
Et une si haute excellence
est en ce suprême savoir
que ni faculté ni science
de le défier n’a pouvoir
qui de soi tirera victoire
avec un non savoir sachant
il ira toujours dépassant
et si vous désirez l’ouïr
cette souveraine science
consiste en un très haut sentir
de la toute divine essence
c’est une œuvre de sa clémence
faire rester ne comprenant
toute science dépassant
Extraits de Nuit obscure / Cantique spirituel de Jean de La Croix, trad. Jacques Ancet, Ed. Poésie Gallimard, avril 2000.
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