TROISIEME TRIMESTRE 2005 :

L'Océan

semaine 27

semaine 28 semaine 29  

semaine 30

semaine 38

semaine 39

 

semaine 31

semaine 37

semaine 32

semaine 36

 

semaine 35

 

semaine 34

semaine 33

La goutte d'eau
de Omar Khhayyam
 
 

La goutte d'eau était en pleurs, elle était loin de l'Océan.
Et l'Océan s'est mis à rire ! « C'est nous qui sommes tout, ensemble. Qu'y a-t-il, en dehors de nous? Nous sommes les parties d'un tout. Lorsque nous sommes séparés, c'est par un point presque invisible.»
Les êtres ne sont séparés de la Divinité que comme la goutte d'eau est séparée de l'Océan, auquel elle appartient, duquel elle sort, dans lequel elle rentre.

Omar Khhayyàm

La mer et l'écume
de Djalàl Al-Din Rùmi
 
 

Dieu a caché la mer et montré l'écume
il a caché le vent et montré la poussière...
Comment la poussière pourrait-elle s'élever d'elle-même ?...
Tu vois pourtant la poussière, et pas le vent.
Comment l'écume pourrait-elle sans la mer se mouvoir ?
Mais tu vois l'écume et pas la mer.

Djalal Al-Din Rumi (poète mystique du XIIème siècle)
Extrait de Paroles d'Islam chez Albin Michel

 
Marine
de Paul Verlaine
 
 

L'Océan sonore
Palpite sous l'oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore.

Tandis qu'un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D'un long zigzag clair,

Er que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,

Et qu'au firmament,
Où l'ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.

Poêmes saturniens de Paul Verlaine

Eclaicie
de Victor Hugo
 
 

L'océan resplendit sous sa vaste nuée.
L'onde, de son combat sans fin exténuée,
S'assoupit, et, laissant l'écueil se reposer,
Fait de toute la rive un immense baiser.
On dirait qu'en tous lieux, en même temps, la vie
Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la nuit, l'envie,
Et que le mort couché dit au vivant debout :
Aime! et qu'une âme obscure, épanouie en tout,
Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.
L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres,
Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses coeurs épars,
Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts
La pénétration de la sève sacrée.
La grande paix d'en haut vient comme une marée.
Le brin d'herbe palpite aux fentes du pavé;
Et l'âme a chaud. On sent que le nid est couvé.
L'infini semble plein d'un frisson de feuillée.
On croit être à cette heure où la terre éveillée
Entend le bruit que fait l'ouverture du jour,
Le premier pas du vent, du travail, de l'amour,
De l'homme, et le verrou de la porte sonore,
Et le hennissement du blanc cheval aurore.
Le moineau d'un coup d'aile, ainsi qu'un fol esprit,
Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit;
L'air joue avec la mouche et l'écume avec l'aigle;
Le grave laboureur fait ses sillons et règle
La page où s'écrira le poème des blés;
Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés;
L'horizon semble un rêve éblouissant où nage
L'écaille de la mer, la plume du nuage,
Car l'Océan est hydre et le nuage oiseau.
Une lueur, rayon vague, part du berceau
Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière,
Dore les champs, les fleurs, l'onde, et devient lumière
En touchant un tombeau qui dort près du clocher.
Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher
L'ombre, et la baise au front sous l'eau sombre et hagarde.
Tout est doux, calme, heureux, apaisé; Dieu regarde.

Marine-Terrace, juillet 1866.

Extrait de "Les Contemplations (Au bord de l'infini)",de Victor Hugo, chez Poèsie/Gallimard

"dans les mots"
de Henri Dufor
 
 


dans les mots
de la nuit
les océans la vague
tout ce qui craint et bouge et renaît soulevé

par le doute l'absence
en quel lieu en parler
un nom à dire loin des branches

le dernier chant à oublier
le vent dans les alisiers

... ombres délicates et fleuries et chantées
ombres de la vertu
ou de ma loyauté


Poème de Henri Dufor, dans A feu ouvert, aux éditions Subervie (1982)

Sur le socle des mers
de Edmond Jabès
 
 

Pour Philippe Rebeyrol

Sur le socle des mers
le bruit apaise le sang
femme nue aux gestes accordés
à l'onde femme nue aux gestes
couronnés d'écume
Furieuses sont les maîtresses des îles
aux pins de granit douces pourtant
avec les feuilles et Ies fruits
Océan où finissent nos hésitations et nos blessures
Une fois a marqué ma vie pour toujours
Au camp des esclaves les grelots bavent
comme des nouveau-nés Il faut la patience
des murs pour retenir les forçats la confiance
du plomb et du fer Il faut aussi la mort
au collier de ruisseau perdu
Sur le socle des mers
le soleil est un vautour
que les vents enivrent
Jamais plus
les larmes fleuriront sur l'eau des champs
Jamais plus la révolte ne hantera les sentiers vendus
La route est tracée vous dis-je
et les pas des poètes sont sûrs
Le souci de vivre est une fleur pressentie
sa forme le parfum sont lieux précis d'exil
Le rêve est assis entre ses deux bourreaux
et ce sont eux qui pâlissent

Extraits de L'écorce du monde (1953-1954), de Edmond Jabès, Poèsies complètes 1943-1988, Poèsie/Gallimard

Edmond Jabès est né au Caire en 1912 et est mort à Paris en 1991. En 1957, il est contraint, à cause de ses origines juives, de quitter l'Egypte, pays où il a toujours vécu. En 1967, il opte pour la nationalité française. D'éducation française, très jeune, il commence à écrire. Max Jacob, qu'il rencontre à Paris en 1935, mais avec lequel il correspond déjà, le conseille et le guide. Proche des poètes surréalistes, il se refuse, néanmoins, à faire partie de leur groupe. En 1959, Edmond Jabès publie, sous le titre Je bâtis ma demeure ses poèmes et aphorismes écrits entre 1943 et 1957.

L'émigrant de Landor road
de Apollinaire
 
 

A André Billy.

Le chapeau à la main il entra du pied droit
Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi
Ce commerçant venait de couper quelques têtes
De mannequins vêtus comme il faut qu'on se vête

La foule en tous sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre
Et des mains vers le ciel pleins de lacs de lumière
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs

Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gardé dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais

Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes

Les mannequins pour lui s'étant déshabillés
Battirent leurs habits puis les lui essayèrent
Le vêtement d'un lord mort sans avoir payé
Au rabais l'habilla comme un millionnaire

Au dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées

Intercalées dans l'an c'étaient les journées neuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant

Puis dans un port d'automne aux feuilles indécises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s'assit

Les vents de l'Océan en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés
Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'étaient agenouillés

Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d'enfants tremblaient à l'horizon
Un tout petit bouquet flottant à l'aventure
Couvrit l'Océan d'une immense floraison

Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
Et l'on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire

Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirène moderne sans époux

Gonfle-toi vers la nuit O Mer Les yeux des squales
Jusqu'à l'aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et des derniers serments

Extrait de Alcools de Guillaume Apollinaire
The Project Gutenberg EBook of Alcools, by Guillaume Apollinaire

Et vous, Mers
de Saint-John Perse
 
 

Et vous, Mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous laisserez-vous un soir aux rostres de la Ville, parmi la pierre publique et les pampres de bronze?

Plus large, ô foule, notre audience sur ce versant d'un âge sans déclin : la Mer, immense et verte comme une aube à l'orient des hommes,
La Mer en fête sur ses marches comme une ode de pierre : vigile et fête à nos frontières, murmure et fête à hauteur d'hommes — la Mer elle-même notre veille, comme une promulgation divine...

L'odeur funèbre de la rose n'assiégera plus les grilles du tombeau ; l'heure vivante dans les palmes ne taira plus son âme d'étrangère... Amères, nos lèvres de vivants le furent-elles jamais?
J'ai vu sourire aux feux du large la grande chose fériée : la Mer en fête de nos songes, comme
une Pâque d'herbe verte et comme fête que l'on fête,
Toute la Mer en fête des confins, sous sa fauconnerie de nuées blanches, comme domaine de franchise et comme terre de mainmorte, comme province d'herbe folle et qui fut jouée aux dés...

Inonde, ô brise, ma naissance! Et ma faveur s'en aille au cirque de plus vastes pupilles!... Les sagaies de Midi vibrent aux portes de la joie. Les tambours du néant cèdent aux fifres de lumière.
Et l'Océan, de toutes parts, foulant son poids de roses mortes,
Sur nos terrasses de calcium lève sa tête de Tétrarque !

Extrait deAmers de Saint-John Perse, Poèsie/Gallimard

Une vrai tempête
de Arnaud Desjardins
 
 

Souvenez-vous de ces mots historiques : "Tu trembles, carcasse ! Mais tu tremblerais encore plus si tu savais où je te conduis." "En fait, yu trembles d'autant plus que tu sais très bien où je te conduis." C'est pour cela qu'il faut une solidité, une strusture, une compréhension, une certitude quant à la voie sur laquelle on est engagé. Sans cetts préparation, vous vous lancez sur l'océan sans savoir naviguer et si vous rencontrez une vraie tempête la voile sera déchirée, le mât brisé et vous-même noyés.

Extrait de Bienvenue sur la voie, de Arnaud Desjardins aux éditions La table ronde, 2005

Bienvenue sur la voieson livre

La paix de l'esprit
du Dharmapada
 
 

 

Il n'y a pas de brûlure
Egale à la convoitise.
Pas de péché
Egal à la haine.
Nul bonheur n'est
Aussi grand
Que la paix de l'esprit

Dharmapada

Cette conviction erronée
de Arnaud Desjardins
 
 

Nous avons tous cette conviction erronée que le bonheur est dans les objets : si je peux être uni à ce que j'aime je suis heureux, si je ne peux pas, je souffre. Et l'affirmation étonnante de ces enseignements qui nous sont proposés et que nous pouvons vérifier, c'est qu'il y a là une illusion. Le bonheur, l'état complètement heureux, nous est intrinsèque, c'est notre véritable nature dont le jeu des désirs et des refus nous exile sans cesse. Un désir se lève : je veux quelque chose et, tant que je ne l'ai pas, il y a une frustration, il y a un manque et ce manque est ressenti comme souffrance. Il nous aliène de ce qu'on appelle généralement notre vraie nature ou la vraie nature de l'esprit, qui, elle, est naturellement, intrinsèquement heureuse et parfaite. Au moment où nous nous unissons à ce que nous aimons, nous croyons : cette femme m'a rendu heureux ou cette chaîne hi-fi m'a rendu heureuse, alors que c'est faux, que ce n'est pas ainsi que cela se passe. En fait, la frustration, la tension due au désir ressenti comme un manque à combler vous a exilés de votre vraie nature qui est complètement heureuse : sat chit ananda, l'être, la conscience, l'état de bonheur parfait, qu'on traduit par béatitude ou bliss en anglais.

Extrait de Bienvenue sur la voie, de Arnaud Desjardins aux éditions La table ronde, 2005

Bienvenue sur la voieson dernier livre

L'avare
de Alain
 
 

L'avare se prive de beaucoup de plaisirs, et il se fait un bonheur vif, d'abord en triomphant des plaisirs, et aussi en accumulant de la puissance ; mais il veut la devoir à lui-même. Celui qui devient riche par héritage est un avare triste, s'il est avare ; car tout bonheur est poésie essentiellement, et poésie veut dire action ; l'on n'aime guère un bonheur qui vous tombe ; on veut l'avoir fait. L'enfant se moque de nos jardins, et il se fait un beau jardin, avec des tas de sable et des brins de paille. Imaginez-vous un collectionneur qui n'aurait pas fait sa collection  ?

Alain (Émile Chartier) (1868-1951)
Extrait de "Propos sur le Bonheur"

« Le bonheur n'est pas le fruit de la paix ;  le bonheur, c'est la paix même.»  Alain  

Le bonheur suprême
de Vijayananda
 
 

Quand vous dîtes "le bonheur suprême", qu'est-ce que c'est ?

Qu'est-ce que c'est ?
Le bonheur suprême, c'est votre vraie nature, voilà.

Quand vous avez enlevé tous les voiles, tous les obstacles, ça vient spontanément.

C'est comme le soleil, il est toujours là, n'est-ce pas ?

Alors pourquoi parfois vous ne le voyez pas ?

Parce qu'il y a les nuages.

Parfois les nuages sont clairs.

Parfois ils sont noirs.

Même les nuages noirs, vous ne les voyez que parce que le soleil est derrière.

D'origine française, disciple de Mâ Ananda Moyi – figure spirituelle majeure de l'Inde moderne – Vijayânanda mène depuis plus d'un demi-siècle une intense démarche intérieure. Ce long parcours au sein de la tradition mystique de l'Inde, marqué de longues périodes de solitude, lui donne – indépendamment de toute tradition – une énergie et une autorité exceptionnelles pour la transmission de la spiritualité. Vijayânanda, qui ne délivre pas à proprement parler d'enseignement, répond ici avec simplicité et concision …

Extrait de la revue "Terre du Ciel" n°73, juillet 2005