TROISIEME TRIMESTRE 2003 :
L'HARMONIE AVEC LA NATURE
Accueil |
La fin de la vie et le début de la survivance
du Chef Seatle
En 1854, le président américain propose aux Indiens de la tribu Suquamish, au Nord-Est des Etats-Unis, de céder leurs terres en échange d'une vie parquée dans une « réserve » . Voici la magnifique réponse du chef Seattle (1786-1866), célèbre mais rarement éditée, dans sa traduction d’anthologie1.
Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L'idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l'air et le miroitement de l'eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ?
Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d'insecte est sacré dans le souvenir et l’expérience de mon peuple.
La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l'homme rouge. Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu'ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n'oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l'homme rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs ; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l'homme tous appartiennent à la même famille.
Aussi lorsque le Grand Chef à Washington envoie dire qu'il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand Chef envoie dire qu’il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre confortablement entre nous. Il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous considérons donc votre offre d'acheter notre terre. Mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée.
Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n'est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu'elle est sacrée et que chaque reflet spectral dans l’eau claire des lacs parle d'événements et de souvenirs de la vie de mon peuple. Le murmure de l'eau est la voix du père de mon père.
Les rivières sont nos frères, elles étanchent notre soif. Les rivières portent nos canoës et nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l’enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos frères et les vôtres, et vous devez désormais montrer pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour un frère.
Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c'est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n'est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu'il la conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu'un désert.
Je ne sais pas. Nos mœurs sont différentes des vôtres. La vue de vos villes fait mal aux yeux de l’homme rouge. Mais peut-être est-ce parce que l'homme rouge est un sauvage et ne comprend pas.
Il n'y a pas d'endroit paisible dans les villes de l'homme blanc. Pas d'endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps, ou le froissement des ailes d'un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre si l'homme ne peut entendre le cri solitaire de l'engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d'un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et ne comprends pas. L’Indien préfère le son doux du vent s'élançant au-dessus de la face d'un étang, et l'odeur du vent lui-même, lavé par la pluie de midi, ou parfumé par le pin pignon.
L'air est précieux à l'homme rouge, car toutes choses partagent le même souffle - la bête, l'arbre, l'homme, ils partagent tous le même souffle. L’homme blanc ne semble pas remarquer l'air qu'il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la puanteur. Mais si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler que l'air nous est précieux, que l'air partage son esprit avec tout ce qu'il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons notre terre, vous devez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme un endroit où même l'homme blanc peut aller goûter le vent adouci par les fleurs des prés.
Nous considérerons donc votre offre d'acheter notre terre. Mais si nous décidons de l'accepter, j'y mettrai une condition : l'homme blanc devra traiter les bêtes de cette terre comme ses frères.
Je suis un sauvage et je ne connais pas d’autre façon de vivre. J’ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l’homme blanc qui les avait abattus d'un train qui passait. Je suis un sauvage et ne comprends pas comment le cheval de fer fumant peut être plus important que le bison que nous ne tuons que pour subsister.
Qu'est-ce que l'homme sans les bêtes. Si toutes les bêtes disparaissaient, l'homme mourrait d'une grande solitude de l’esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l'homme. Toutes choses se tiennent.
Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu'ils foulent est fait des cendres de nos aïeux. Pour qu'ils respectent la terre, dites à vos enfants qu'elle est enrichie par les vies de notre race. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes.
Nous savons au moins ceci : la terre n'appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se tiennent.
Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Ce n'est pas l'homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil. Tout ce qu'il fait à la trame, il le fait à lui-même.
Même l'homme blanc, dont le Dieu se promène et parle avec lui comme deux amis ensemble, ne peut être dispensé de la destinée commune. Après tout, nous sommes peut-être frères. Nous verrons bien. Il y a une chose que nous savons, et que l'homme blanc découvrira peut-être un jour - c'est que notre Dieu est le même Dieu. Il se peut que vous pensiez maintenant le posséder comme vous voulez posséder notre terre, mais vous ne pouvez pas. Il est le Dieu de l'homme, et sa pitié est égale pour l'homme rouge et le blanc. Cette terre Lui est précieuse, et nuire à la terre, c'est accabler de mépris son créateur. Les Blancs aussi disparaîtront ; peut-être plus tôt que toutes les autres tribus. Contaminez votre lit, et vous suffoquerez une nuit dans vos propres détritus.
Mais en mourant vous brillerez avec éclat, ardents de la force du Dieu qui vous a amenés jusqu'à cette terre et qui pour quelque dessein particulier vous a fait dominer cette terre et (homme rouge. Cette destinée est un mystère pour nous, car nous ne comprenons pas lorsque les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domptés, les coins secrets de la forêt chargés du fumet de beaucoup d'hommes et la vue des collines en pleines fleurs ternies par des fils qui parlent.
Où est le hallier ? Disparu. Où est l’aigle ? Disparu. La fin de la vie et le début de la survivance.
(1)
Le chef des Indiens Suquamish adressa un discours, en 1854, à un commissaire américain préposé
aux questions indiennes et chargé de concrétiser des « arrangements territoriaux ». La plus
ancienne trace écrite de ce discours est une transcription, à partir de notes prises en 1854,
publiée dans le Seattle Sunday Star du 29 octobre 1887 par Henri Smith. Le texte publié ici est la
très belle traduction libre de ce dernier document, tout à fait fidèle dans l'esprit, rédigée
par le scénariste Ted Perry pour des besoins filmographiques dans les années soixante-dix. On
trouvera le texte original de Henri Smith reproduit sur le site Internet de la tribu Suquamish : www.suquamish.nsn.us
et l'on pourra lire un recueil de textes indiens exprimant la même sensibilité dans le recueil
Pieds nus sur la Terre sacrée, Denoël, 1971.
L'ÉCOLOGISTE - Vol. 4 - N° 1
. Février 2003
Il est un arbre
de Joseph Paul Schneider
Il
est un arbre
qui
résiste à tous les vents
c'est
l’arbre d'enfance
Ses
racines creusent
la
terre des ancêtres
Au
bord du vert
ses
branches retiennent
dans
son feuillage
Le
chuchotement de l’invisible
Fantaisie
de Gabrielle Marquet
Lorsque
livres et journaux
eurent
dévoré des forêts,
on
n'imprima plus.
Un
poète un peu fou
proposa
de planter
le
contenu des bibliothèques.
Peut-être
- va savoir
en
ressurgirait-il quelques arbres ?
Cela
marcha.
On
attribua ces années-là
le
Goncourt à un chêne,
le
Fémina à un tilleul
et
le Renaudot à un hêtre.
(Inédit)
Pour ma femme enceinte
de Pierre Della Faille (1906-1989)
C'est
trois yeux qu'il aura, notre enfant, tant nous aurons écarquillé nos yeux sur l'horreur de l'atome
- deux nez, entends-tu, tant nous aurons reniflé de charniers.
La
mule aura huit pattes pour notre fuite au bout des ossuaires - et si Dieu est juste, il n'aura pas
de sexe, notre enfant, pour qu'un jour les oiseaux vivent en paix dans la forêt reverdie.
(L'Homme
inhabitable)
Jardin
de José Millas-Martin (1921-)
Fongicide
Poudre mouillable 80 % de Thirame pour avoir de beaux fruits sans tache Limatok détruit escargots
limaces sauterelles Granulés 5 de Métaldéhyque C'est pour votre bien mon ami En période végétation
des plantes à détruire Idéal mon brave pour transformer la terre en béton armé Propre et net
Antigermes Très bon pour les patates Qu'on se bouffe I % de Chlorprophame Vous en prendrez bien une
de plus ? Baroudeur 100 g de Glyphosate H n° 769 Désherbant systémique Détruit liserons blancs
et pissenlits à fleurs jaunes Pièges à glu pour oiseaux Pas besoin de ça Fleurs qui bouffent Le
jardin potager Moi j'ai un jardin propre Monsieur Comme un cimetière.
(Inédit)
Extrait de "L'esprit du Ch'an"
de Taisen Deshimaru
Si nous faisons confiance à la nature,
Nous pouvons être en harmonie avec la Voie.
La
condition de Bouddha, l'abandon de l'ego, la vie cosmique, cela est la nature, notre nature
originelle. Si nous suivons le système cosmique, nous sommes en unité avec la Voie. Sho signifie
nature, quelquefois paysage, mais également «caractéristique originelle de chaque être vivant».
L'activité donnée par le cosmos (ki) devient, en dernier lieu, conscience cosmique.
Maître
Keizan a donné, de ce verset, le commentaire suivant
«
Ne rien rechercher, ne rien espérer.
Ni
Bouddha ni démons ne peuvent surprendre.
N'être jamais dérangé ni effrayé.
Voir
la montagne, vivre à la montagne.
Contempler
le fil de l'eau, vivre dans l'eau.
Vouloir
se coucher et se coucher.
Vouloir
se lever et se lever.
Ne
désirer ni ne fuir les sons.
N'aimer
ni ne haïr les couleurs.
Comme
le reflet de la lune flottant à la surface de l'eau.
Comme
l'image reflétée sur le miroir.
Le
dharma n'est pas troublé par le vulgaire.
La
parole est bruyante comme le chant
de
la grenouille à l'époque des amours.
Le
silence est semblable à une colonne.
Sans
peur de l'enfer ni désir du paradis,
embrasser
tout le cosmos. »
En
zazen, le cerveau frontal entre dans une phase de repos. La posture juste et la respiration exacte mènent
notre cerveau vers sa condition normale, permettant au cerveau primitif de se renforcer.
Ainsi
pouvons-nous adhérer complètement à la nature, comprendre notre propre nature originelle et éternelle.
D'un
seul regard rapide les maîtres de la transmission et le Bouddha embrassent les trois mondes (passé,
présent et futur), leur compréhension englobe tout le cosmos. Avoir foi en l'esprit, croire en
notre propre nature originelle, faire confiance à la vérité du cosmos : Shin Jin Mei.
Deux
hommes marchaient dans la nuit, sur un chemin traversant l'obscure forêt d'une montagne reculée.
L'un des deux était aveugle, et son compagnon le guidait dans le chemin difficile. Soudain, dans
les fourrés sombres, un démon se matérialisa et se dressa sur le chemin. L'aveugle n'éprouva pas
la moindre crainte, tandis que son compagnon fut terrorisé. Alors l'infirme conduisit son ami...
Le
secret du kendo, tel que le comprend l'esprit des grands maîtres, est inclus dans ces sept lignes :
Sans
désir,
sans
but,
sans
recherche,
sans
pensée,
ni
obtenir ni rejeter,
ni
saisir ni abandonner,
être libre.
Eh oui
de Robert Gélis
Ils
ont coupé
le
vieux pommier,
roi
du verger,
et
en tronçons
l'ont
débité...
De
ces morceaux
ont
fabriqué
une
échelle pour monter
cueillir
les pommes
du
pommier.
Ont
été bien déçus,
car,
de pommier...
il n'y en a plus!
L'aile facile
de Pierre Reverdy
Il
a les ailes libres
des
bateaux dans les mains
Et
les yeux pleins de givre
du
vent jusqu'au matin
En
regardant la vague
du
temps le plus amer
sur
le chemin que drague
la
houle de la mer
Et
sur la frange d'or
des
rêves mal rompus
Dans
l'esprit qui s'endort
la
mort ne veille plus
Mort
mords les moulures du remords
les
pavages dans la glace
l'image
bleue qui s'efface
le
visage blanc sans yeux
Le
front pâle sans cheveux
La
lune rebelle
Et
sous l'arc du ciel pluvieux
L'agonie des étincelles
Extrait de Pierre Reverdy, Main d’œuvre, Ed. Gallimard, 2000
Je suis là...
de Maurice Carême
Je
suis là où la pluie commence,
Je
suis là où la pluie finit.
Je
suis la paix et le silence,
La
source reflétant la nuit.
Ne
me demandez pas pourquoi
Je
vois les arbres me sourire,
Les
fauvettes fondre de joie,
Le
ciel de juin s'approfondir,
Pourquoi
je me sens comme un champ
Où,
dès l'aube déjà, l'on sème
Autant de joie que de froment.
Extrait de A l'ami Carême, Ed. Hachette jeunesse, 1993
La présence
de Adonis
J’ouvre
une porte sur ta terre
J
allume le feu de la présence
dans
les nuages qui se croisent ou se poursuivent
dans
l'océan et ses vagues amoureuses
dans
les montagnes et leurs forêts
dans
les rochers
créant
pour les nuits gravides
une
patrie de cendres de racines
de
chants, de tonnerre et de foudre
brûlant la momie des âges
Extrait de Mémoire du vent,(le charmeur de poussière), Ed. Gallimard, 1991
L'esprit de bienvenue ?
de Pierre Dhainaut
L'esprit
de bienvenue, nous le ramenons des falaises
ou
des forêts, nous n'entrouvrons aucune porte
sans
cet effroi de surprendre, de troubler,
il
n'y a pas de pièces vides, il n'y a pas de fenêtres éteintes.
Ceux
qui furent présents le sont encore.
Nous
laissons en suspens la moindre phrase,
le
cœur ne nous appartient pas, que nous entendons battre :
quand
la marche reprend ici comme sur l'herbe drue,
la
craie brûlante, elle agrandit l'instant
jusqu'à
réconcilier la nuit, la source,
la pulsation commune.
La rose
de Thich Nath Hanh
Quand
vous entrez dans un jardin et que vous voyez une belle rose, vous voulez la cueillir. Mais pour
cela, vous devez toucher les épines. La rose est là, mais les épines aussi. Vous devez trouver le
moyen de comprendre les épines pour cueillir la rose.
Il
en va de même pour notre pratique. Ne dites pas qu'à cause de la colère ou de la tristesse dans
votre cœur, vous ne pouvez plus rien apprécier. Vous devez savoir comment faire face à votre colère
et à votre tristesse afin de ne pas perdre les fleurs de la joie.
Il faut juste un peu de talent pour pouvoir cueillir la fleur.
Extraits de Le coeur des enseignements du Bouddha, Pocket, p 242
Inscription
de Jean Malrieu (1915-1976)
Toi
qui vivras plus loin que moi
Sois
fidèle au soleil. Il est sous terre
Des
printemps à naître qui t'épient
Et
te supplient.
Garde
l'eau pure et le regard heureux.
Responsable
un instant de la totalité de la terre
A
toi de changer l'épaule de l'aurore rêvée.
(Les Cahiers bleus, no spécial Jean Malrieu, été 83)
Accueil |
Pour rejoindre ces poètes :
Jules Supervielle / Colette / Pierre Dhainaut / Roberto Juarroz / André du Bouchet / Eugène Guillevic