MAITRES HINDOUS
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Mohandas
Karamchand Gandhî (18691948), qui joua un rôle majeur dans la lutte pour l'indépendance
de l'Inde moderne, se définissait simplement comme un chercheur de vérité,
mais aux yeux de l'Asie - et même du monde -, il fut un maître spirituel, un
pacifiste sans compromis, un idéaliste intrépide et un patriote humble autant
que passionné, digne de son surnom de « Mahâtmâ » (« Grande Âme »). Fils
d'un riche ministre du gouvernement de Kathiawar, dans le Gujarat, Gandhi étudia
le droit à Londres. Mais en 1893, il quitta Bombay pour (Afrique du Sud, où il
passa vingt-deux années à défendre les droits des immigrés indiens,
organisant des manifestations contre les pratiques discriminatoires du
gouvernement blanc. Il acquit alors la conviction que la voie du changement réside
dans la persuasion et faction non-violente.
En
1914, il revint en Inde, mais avant de se lancer corps et âme dans la lutte
pour l'indépendance et les activités du parti du Congrès, il passa une année
à écouter et à apprendre, approfondissant les enseignements qui allaient
orienter le reste de sa vie. La doctrine de l'ahimsâ
(non-violence), qui prit forme dans son Gujarat natal, fut la pierre
angulaire de sa réflexion.
Gandhî
trouva certains éléments de cette doctrine dans la Bhagavad-Gîtâ,
dans le Nouveau Testament (particulièrement le Sermon sur la Montagne) et
dans les écrits de saint François d'Assise, du poète indien Raychandbaï, du
critique anglais John Ruskin et de Léon Tolstoï, avec lequel il correspondit.
À partir de ces sources, il créa une philosophie centrée sur le satyagraha (adhésion à la vérité). " La vérité, disait-il,
est le plus grand nom de Dieu. " S'il enseignait qu'aucune circonstance, si
terrible soit-elle, ne pouvait justifier la violence, il affirmait aussi
qu'aucune entorse à la vérité n'était acceptable. Mais ces principes n'étaient
ni négatifs ni passifs. Il s'agissait au contraire, pour Gandhi, d'armes
positives. S'il ne pouvait persuader ses opposants par la raison, il jeûnait ou
il acceptait d'être emprisonné, utilisant sa souffrance pour transformer le
coeur de ses adversaires et les conduire à sa vérité.
Gandhi
s'intéressait plus à la transformation humaine qu'au changement social. Son rêve
de liberté loin de s'arrêter à l'indépendance visait à transcender le matérialisme
et les injustices du système des castes. Avant de s'engager dans l'action
politique, il abandonna les vêtements occidentaux qu'il portait en Afrique du
sud pour le pagne (dhoti) des paysans
indiens.
En
1920, après qu'un général britannique eût ordonné à ses soldats musulmans
et bouddhistes de tirer sur la foule à Amritsâr, Gandhi entreprit de rendre
l'Inde ingouvernable. Durant les dix-sept années suivantes, à l'exception de
quelques repos forcés en prison, il passa son temps à défier les Anglais et
conduisit le peuple dans une campagne nationale de désobéissance civile.
Lorsque la victoire vint en 1947, elle engendra malheureusement la partition.
Une année plus tard, Gandhi fut assassiné par un extrémiste, qui refusait
toute réconciliation entre hindous et musulmans.
« Je suis réformateur de la plante de mes
pieds jusqu'au sommet de ma tête, disait‑il, mais mon zèle ne me pousse
jamais ais a rejeter aucun des éléments essentiel de l'hindouisme. » Sa
divinité de prédilection était Râma, sur le mythe duquel il prenait toujours
modèle. Sur le plan social, comme tous les grands réformateurs hindous - sauf
Bouddha -, il ne remit pas en question le système des castes, mais voulut en
assouplir l'application. Surtout, il s'opposa avec 1a plus vive énergie à
l'ostracisme touchant les « intouchables », qu'il considérait comme
fondamentalement étranger à l'hindouisme.
![]() | LE FILAGE DOMESTIQUE |
Dans les années vingt,
Gandhi relança le mouvement de boycott, qui avait commencé au Bengale au début
du siècle. Il s'agissait d'affaiblir l'économie impériale en rejetant les
biens britanniques, et de favoriser l'indépendance économique en encourageant
la fabrication de marchandise locales (swadéshi).
Gandhi s'opposa également aux appareils ménagers, " instruments
d'avidité " qui provoquaient le chômage de millions d'Indiens. Il prônait
le retour au roue domestique pour boycotter les vêtements anglais.
(photo :Gandhi filant dans une colonie d'intouchables à Delhi)
Le
20 février 1834 naissait à Kamarpukur, petit village du Bengale occidental, un
garçon chétif que ses parents nommèrent Gadâdhar. La famille Chatterji était
pauvre mais de bonne caste brahmanique (clan des Chattopadhyata). L'enfant
n'apprit ni à lire ni à écrire mais mémorisa sous la direction de son père
les textes nécessaires à la célébration du culte. À l'âge de vingt ans, il
put donc être choisi pour desservir une petite chapelle dédiée à la déesse Kâli.
L'important
est que, dès son adolescence, Gadâdhar eut des expériences mystiques dont la
fréquence ne cessa de s'accroître, sa vie durant. Très vite, sa renommée s'étendit
et l'on vint de toute la région entendre les homélies dont il accompagnait les
rites quotidiens (pûjâ) du culte de Kâlî. On savait que 1a déesse elle-même
lui était apparue à plusieurs reprises, et lui avait demandé de prêcher la dévotion
à son égard. De plus, Gadâdhar, bien qu'il fût marié, avait choisi la voie
ascétique et fait voeu de chasteté. Un jour, (il devait avoir trente ans), il
vit venir à lui un sâdhu qui lui donna l'initiation védântique et lui conféra
un nom nouveau, comme il est de règle pour les moines, Râmakrishna.
Après
cet événement, ce dernier infléchit son enseignement dans un sens plus « métaphysique
» : tout en continuant de dire que la dévotion à Kâlî est nécessaire et
bienfaisante, il prit l'habitude d'ajouter que tout autre forme de bhakti est également
valable, y compris hors de l'hindouisme. C'est ainsi que les Européens qui
venaient le voir étaient invités par lui à pratiquer leur religion avec plus
de ferveur, et non à en changer. Et, si des hindous s'étonnaient de l'entendre
parler ainsi, il répondait qu'il avait été gratifié d'une apparition de Jésus
qui lui avait révélé le sens profond du christianisme. Muhammad aussi l'avait
visité, au même titre que le Bouddha, Krishna, etc.
Dans
les dernières années de sa vie, Râmakrishna, quadragénaire (il mourut en
1886, à l'âge de 52 ans), était entouré d'un groupe de disciples qui le
tenaient pour un maître spirituel (gourou) de premier
plan. Des gens importants, dans le domaine de la politique aussi bien que de la
religion, venaient le consulter sur toutes sortes de sujets et l'on notait ce
qu'il disait sur des feuilles volantes qui circulaient à Calcutta et dans toute
l'Inde du Nord. Une partie de ces « paroles » du Maître furent éditées bien
des années plus tard sous le titre, quelque peu provocateur, de « Gospel (Évangile)
of Râmakrishna » (en français, plus raisonnablement : « l'Enseignement de Râmakrishna
»). Ce que l’on trouve dans ces textes, c'est d'abord une présentation de
l'hindouisme contemporain tel qu'il est vécu dans le peuple : sur le plan
pratique un culte fortement dévotionnel, associé à l'affirmation d'une unité
fondamentale transcendant la diversité des mythes et des rites.
Mais
Râmakrishna va plus loin lorsqu'il élargit cette vision des choses à
l'ensemble des manifestations religieuses. « Ne discutez pas sur les doctrines
et sur les religions, disait-il, elles sont Une. Toutes les rivières vont à
l'océan! La grande eau se fraie mille chemins le long des pentes. Selon les
races, les âges et les âmes, elle court dans des lits différents; mais c'est
toujours la même eau! »
Cette
théologie de l'unité correspondait à ce qu'entendaient de nombreux
Occidentaux, surtout anglosaxons, mais elle n'aurait eu qu'un faible écho si Râmakrishna
n'avait rencontré vers la fin de sa vie un intellectuel de Calcutta, Narèndra
Nath Datta (1863-1902) qui devint son disciple et reçut de lui le nom
monastique de Vivékânanda.
Après
la mort de Râmakrishna, Vivékânanda eut l'idée de regrouper les fidèles désorientés
en une « Mission » organisée à la façon d'une église protestante. Le choix
du terme de « mission » est en tout cas significatif de la volonté de Vivékânanda
de diffuser partout, en Inde d'abord, mais aussi
dans
le reste du monde, la pensée du Maître disparu. Son premier succès fut sa
participation au « Parlement des Religions » réuni à Chicago en 1893 qui le
fit connaître et lui permit de recruter ses premiers disciples non-indiens. Par
la suite il organisa la Communauté en un Ordre monastique dirigé par des swâmis
(maîtres) et vivant dans des monastères (math) voués à l'étude et à la
diffusion de l'enseignement de Râmakrishna. L'Ordre reste exclusivement indien,
mais les Missions ont essaimé partout dans le monde, en particulier en
Angleterre, en France, et aux États-Unis.
Elles
éditent des traductions d'ouvrages fondamentaux de l'hindouisme, organisent des
conférences, accueillent des retraitants et patronnent des ouvres charitables.
Pour le centième anniversaire du rassemblement de Chicago, une conférence mondiale des religions s'est tenue en 1993 aux États-Unis. Celle-ci témoigne d'un nouvel essor du dialogue interreligieux auquel Vivékânanda avait attaché tout le prix.
Tout
au sud de l’Inde, se dresse une petite montagne (855 m d'altitude) qui domine
la plaine avoisinante. On l'appelle Arunâchala et on la tient pour sacrée. A
son pied, près du village de Tiruvannamalaï, un grand temple, dédié à
Shiva, a été construit au XVIème siècle. Ce lieu de pèlerinage n'aurait eu
qu'une importance locale s'il n'était devenu un centre de rayonnement spirituel
connu dans le monde entier, grâce au séjour qu'y fit un sage nommé Râmana
que ses disciples saluaient du titre de Mahârshi « Grand Voyant » (par référence
aux Prophètes des premiers temps qui eurent la révélation du Véda). Né en
1879 dans une famille de brahmanes tamouls, il vécut à l'âge de seize ans une
expérience mystique qui détermina son destin. Devenu ermite, il séjourna
plusieurs années dans une grotte de la montagne sacrée en observant une ascèse
très contraignante (par exemple : mutisme absolu), ne vivant que de ce que
disposaient devant lui les pèlerins de passage.
Plus
tard, il accepta de communiquer avec ceux qui désiraient devenir ses disciples
et il s'installa dans la plaine, près du temple. On vint de toute part entendre
son message et une petite communauté (âshram) se constitua autour de lui. Dès
les années trente, des occidentaux prirent le chemin de Tiruvannamalaï pour le
rencontrer. Vers la fin de sa vie (1950) il était mondialement connu.
L'enseignement
qu'il donnait n'avait cependant rien d'original : c'était le Védânta de
stricte obédience. Mais un Védânta plus « vécu » que livresque, compte
tenu, notamment, du fait que le Mahârshi n'avait reçu qu'une éducation
succincte et tôt interrompue. Ce qui frappait ses auditeurs c'était surtout sa
« présence » et la sérénité qui s'en dégageait.
De
plus, la méthode du Maître avait de quoi surprendre : à toutes les questions
qu'on lui posait, il répondait par d'autres questions, visant à faire dire par
son interlocuteur ce qu'il aurait pu, lui-même, enseigner dogmatiquement.
Inlassablement, à la manière de Socrate, il obligeait le disciple à découvrir
la Vérité au plus profond de son être et non pas à l'extérieur : «
Personne ne saurait vous donner la Connaissance, disait-il, elle est un trésor
caché dans votre propre coeur. »
Connaissance qui se révèle d'un coup, de soi-même, lorsque le sujet comprend enfin qu'il n'est « ni ce corps, ni ce mental ni cet ego, mais le Soi (âtman) immuable, éternel. » Une autre originalité du Mahârshi était son refus du statut de gourou. N'ayant reçu l'initiation de personne, affirmant n'avoir jamais étudié aucun texte sacré, ignorant le sanskrit, il prétendait n'être qu'un témoin, un conseiller, un « accoucheur » aurait dit Socrate. Mais sans doute est-ce cette autonomie par rapport à la norme brahmanique qui attirait les individus « en recherche » et notamment les non-hindous : bouddhistes, musulmans, chrétiens. En ce qui concerne ces derniers, on peut citer Raimundo Panikkar, Bede Grifftths et surtout le père Henri Le Saux, bon exemple du contact subtil qui pouvait s'établir, à l'occasion, entre deux personnalités également engagées dans la Quête spirituelle.
Nirmalâ
Sundarî Dévî naquit dans un petit village du Bangladesh en avril 1896. Sa
famille était de caste brahmanique et, selon la tradition, on l'éleva dans la
perspective du mariage. Ce qui fut fait dès l'âge de sa puberté. Elle était
cependant déjà tentée par l'ascèse et elle eut la chance que son mari acceptât
son voeu de chasteté.
De nombreuses expériences mystiques marquèrent
dès lors son existence et elle assura au début des années vingt qu'elle s'était
donné l'initiation lui permettant de prétendre au titre et au rôle de
« maître spirituel », ajoutant que son nom religieux était ânanda-moyî
(« faite de béatitude »). Son mari la soutint, alors qu’une telle
situation est en Inde, tout à fait insolite (il n’y a pas de féminin au mot
gourou). On prit donc l’habitude de lui décerner le titre de mère (Mâ)
en signe de révérence.
De nombreux disciples se pressaient autour d'elle
: hindous, bien sûr, mais aussi musulmans et chrétiens d'Europe et d'Amérique.
Sans cesse en déplacement dans la basse vallée du Gange (de Bénarès à
Dacca), elle laisse se fonder en divers endroits des âshrams qu'elle visite à l'occasion. Cette façon d'agir est, elle
aussi, inhabituelle, de même que l'est sa façon d'enseigner : informelle,
spontanée et dispensée le plus souvent à la façon d'un jeu, à grand renfort
de rires et d'anecdotes humoristiques. Il est vrai aussi que, de façon
inattendue, elle peut s'engager dans des pratiques ascétiques très dures : jeûnes
prolongés, voeu de silence, etc.
Contestée par certains (surtout, on le devine,
dans le milieu des brahmanes orthodoxes), elle est tenue par d'autres pour une
incarnation de la déesse Kâlî. Quoiqu'il en soit son enseignement peut se résumer
en cette affirmation qu'elle répétait souvent : « La vocation de l'homme est
de trouver Dieu », ajoutant que tout le reste (doctrines théologiques, ascèses,
prières, etc.) est secondaire car, « dans cette vie, toutes les vérités sont
vraies ». Ce qui revient à dire que, par quelque chemin spirituel que ce soit,
on est sûr de progresser, si l'on s'adonne avec sincérité à la recherche de
Dieu. À ses yeux cependant, c'est la dévotion ardente (bhakti)
qui est la plus efficace: « Quelle que soit la situation où Dieu vous
place... sachez que c'est ce qu'il y a de mieux pour vous. Entraînez‑vous
à traverser la vie en remettant votre fardeau entre ses mains ; il est le
Protecteur, le Guide ; en toutes choses, il est le Tout ». De là,
chez elle, le refus de s'engager dans des polémiques ou des discussions qu'elle
juge oiseuses : rien ne vaut la joie de chanter en commun des cantiques dévotionnels.
On comprend ainsi le succès d'un enseignement qui correspond parfaitement à la
sensibilité religieuse des milieux populaires de notre temps, en Inde comme
ailleurs.
Les disciples s'étonnaient parfois que Mâ
accepte sans protester que des foules s'assemblent autour d'elles et que tant de
gens viennent lui raconter leurs ennuis et leurs soucis domestiques. À cela,
elle répondait : « Si vous pensez que cela m'est désagréable, c'est
uniquement parce que vous faites une distinction entre votre corps et le leur.
Vous ne ressentez pas comme un lourd fardeau de porter votre tête, vos mains et
vos pieds, vos doigts, vos membres, parce que vous les considérez comme parties
intrinsèques de votre propre corps ; de même je sens que toutes ces personnes
sont des membres organiques de ce corps ici. Elles ne me pèsent donc pas, pas
plus que leurs soucis. Leurs joies et leurs peines, leurs problèmes et leurs
solutions sont une partie vitale de moi-même ; je n'ai aucun sens de l'ego ni
de la séparation. En moi, chacun de vous a dans une égale mesure la hauteur et
la profondeur de l'éternité ». Le grand orientaliste Jean Herbert disait de
cette femme remarquable : « Elle tire le meilleur de chacun, suscite ce qui
doit arriver. Mais son plus grand miracle, c'est qu'elle donne à chacun ce dont
il a besoin à l'instant précis. Chacun reçoit d'elle réponse et bénédiction
en rapport avec sa sincérité ». N'est-ce pas là le propre du maître
spirituel ?
Extraits de L'Inde éternelle, de Richard Waterstone, Ed. Taschen, 2001
Svâmi
Prajnânpad, appelé Svâmiji par ses disciples indiens et français,
était un sarnnyâsin bengali,
très peu connu aussi bien en Inde qu'en Occident. Depuis sa mort en
1974, ses disciples, peu nombreux, donnent chacun une vision différente
de cet homme, qui leur paru exceptionnel à bien des égards. Rassembler
quelques-unes de leurs remarques permettra de donner une première
approximation. de ce qu'il a été: -
« Un esprit scientifique qui a montré la logique de l'élan vers la
libération et qui offre, dans un langage réinventé pour notre époque,
les vérités de toujours, qui présentées traditionnellement n'ont
pour nous plus de signification. » -
« II s'est servi de Freud comme d'un marchepied pour faire découvrir
les vérités de l'advaita. » -
«L'être parfait par excellence. Celui dont on ne peut rien dire
justement parce qu'il est parfait. » -« II
est avant tout amour, amour d'une qualité telle qu'une fois entré dans
le coeur d'une personne, non seulement cet amour ne meurt pas avec le
temps, mais se développe et grandit au gré des circonstances de la
vie. » Au
travers de ces appréciations diverses transparaissent quelques-uns des
traits qui rendent la personnalité et l'enseignement de Svâmi Prajnânpad
si attirants pour un Occidental. |
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