QUELQUES POEMES DE PIERRE DHAINAUT

 

Le Don des souffles

 

(…) Mais ininterrompue, que serait la poésie ? Le laisser-faire, le savoir-faire. C'est la fraîcheur que je souhaite maintenir pour qu'il n'y ait plus de hiérarchie entre tous les états d'une vie, poème ou non. Tout est plus modeste, presque banal, ou du moins peut l'être. On écrit, on  s'épuise. On n'écrit pas, on  se  ressource. J'aurais pu dire exactement l'inverse. La perte égale la  résurgence.  Ni  perte  ni  résurgence,  en  fait.  Je n'arrête rien, et dans ce permanent va-et-vient, cet équilibre instable, il n'y a que le présent qui se régénère. Je n'appelle pas autrement la poésie.

Quand je parle des vagues ou des branches, il est certain que je parle de moi : parlant de moi, je voudrais parler des vagues ou des branches. 

Ce ne sont pas nos bras que pressent nos bras, ce ne sont pas nos mots que nos mots font entendre : le soleil lui-même, de qui est-il la lumière ?

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Relèves de veilles

 

En permanence, espérais-tu, mais écrire

ou marcher sur des plages de sable,

tu as fini par les confondre, aucune empreinte

ne résiste au destin qui la ronge,

la disperse, la tempête est moins lourde,

et rien ne fixe une frontière

à l’estran comme à cette ligne. Tu ne cesseras pas

de t'étourdir, d'être lucide : poursuivre à ce rythme,

entrer à son gré dans le passage inapaisable,

l'éphémère en s'y ressourçant

te ressource avec lui. 

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Fragments et louanges

 

Partout l'air nous appelle, de l'horizon

aussi bien que de la poitrine. L'avons-nous vivifié

à notre tour, lui apportant une forme lucide

avec des mots comme parmi les arbres ?

Seraient-ils nus et noirs, isolés en hiver,

pour eux le jardin sans clôture, l'océan proche,

la marée haute, ils font mieux que s'ouvrir,

ils livrent un passage. Ces lèvres minces, durcies,

après tant de refus, que craignons-nous de perdre ?

Plutôt murmurer, plutôt balbutier :

quelques syllabes prononcées lorsque nous avançons,

les mots justes, généreux, se découvrent d'eux-mêmes,

ils n'ont pas à parler de nous, ils ne demandent pas

qui habite le seuil.

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Prières errantes

 

Tout ce temps que nous donnons au temps

sur le seuil dont les marches sont lisses,

n'exige aucune récompense, laisse apparaître

la neige, le pollen, les embruns, puis l'ombre,

cette ombre sourde, quand les années se comptent,

a besoin de tendresse : que tu la rendes, enfin,

légère au sol comme dans la poitrine,

entrer, sortir, que tu sois équitable,

quelle saison nous reniera ? 

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Introduction au large

 

La prudence, le coeur sec, le seul souci de soi,

nous avons cru tenir ferme, nous suffire,

nous ne fixerons rien de nous, pas plus sur cette page

qu'à travers l'espace. Par exemple arbre ou sable,

une main n'écrivant ces noms que pour eux-mêmes

ne craindra ni le froid ni la blessure

là-bas comme en profondeur sous l'écorce et parviendra

à réunir la sève au souffle. Un seuil,

partout, le seuil d'avril, la grande force est libre

de s'engendrer, de nous conduire.

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Passage par le choeur

 

Mais la morsure plus aiguë, la poitrine soumise

à la poussée de glace, les noms s'éteignent

qui furent un secours : toute la hiérarchie des proies,

demain sera plus que demain, nous l'aurons

descendue. Le sens se borne-t-il à cette servitude,

la nuit complète ou la pleine insomnie ?

Un mot que tu dirais seulement pour lui-même,

si bref le nombre de syllabes, que tu écouterais

entre les draps comme entre les sillons

des champs sous les étoiles, clairvoyant le murmure,

nous n'aurions pas à attendre le jour,

nous y serions un visage de l'air. 

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A travers les commencements               

(…)

Pour le sentir présent nous n'avons plus à regarder l'arbre sur la crête : sans lui le ciel serait immense, il ne serait pas épanoui. Et ce poème, les heures qui suivent sa lecture ne nous sembleront inutiles que si nous l'avons lu distraitement.

Poèmes, lieux ou visages qui n'ont pas à séduire, ils rendent accueillants.

Que signifie le geste même de commencer ? Nous n'avons pas de trop de tout un poème pour que la question se ranime.

La voix commande, c'est elle qui choisit les mots en fonction de ce qu'elle a de plus singulier, l'ampleur ou l'étroitesse du souffle, l'accent, le rythme... Elle ne le fait pas pour s'en emparer : ils prennent chair comme elle prend chair. Et nous lirons leur poème comme si les mots venaient d'une langue étrangère que notre propre voix ne cesse de découvrir et de comprendre.

Lumière du poème qui ne s'inquiète pas de savoir s'il fait nuit, s'il fait jour.

Nous fier à l'acte de marcher ou de parler, nous fier à l'inconnu. 

Paroles de vie, quoi qu'il arrive. 

Ce que serre la paume et qu'elle réchauffe, ce que le caillou arrondit, il ne faudrait plus dire paume et caillou : le poème emploie les noms communs, qu'il rend nouveaux, méconnaissables, les noms de l'échange. 

Aussi rigoureuse que possible, l'association des mots d'un poème, rien ne semble laissé au hasard, mais ce qui fera qu'un lecteur y pénètre est imprévisible, plus imprévisible sa lecture. Elle ressemble au vent parmi les branches, l'arbre est immuable, toujours neuf. 

Poème plus lucide que nous, il a changé la cible en seuil. 

La marche a-t-elle engendré ce poème ? Il n'entretient aucun rapport avec ce que nous avons vu ou entendu, mais nous saurons qu'il a été mené à bien si nous retrouvons notre envie de marcher, si nous la retrouvons plus ardente. 

L'air à l'avant du poème aussi réel pour la voix, aussi rugueux, que pour la main l'écorce ou le grain des pierres. 

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Mise en arbres d’échos

 

Ne cherche

aucune issue,

contente-toi de respirer.

 

Etre présent,

rendre présent le seuil

ou le bord des falaises.

 

Un jour entier

sur la terrasse,

transmettre,

agrandir le matin.

 

Il n'y a de secret

que l'origine,

l'offrande, la frondaison.

 

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