A PROPOS DE L'ENSEIGNEMENT DES RELIGIONS A L'ECOLE
Tout d’abord, un grand nombre d’élèves manifestent, y compris dans beaucoup d’établissements non sensibles, des problèmes d’instabilité, voire d’hyperactivité. Or, ces phénomènes de société récents et fréquents ne reçoivent pas de réponse appropriée dans le cadre des établissements. Dans ces conditions, pourquoi ne pas expérimenter (comme je le fais cette année dans un groupe de soutien) les bienfaits de brefs exercices de concentration et de relaxation inspirés par les sagesses antiques – l’Antiquité étant au programme d’histoire et de français en 6ème ? Je pense notamment au stoïcisme gréco-romain et à la vigilance à laquelle, de tout temps, se sont exercés les moines chrétiens.
De plus, pour avoir abordé cette année les textes fondateurs d’une façon totalement différente, à la lumière des sagesses antiques d’occident et d’orient et en mettant l’accent sur leurs convergences, j’ai pu constater avec surprise à quel point mes élèves de 6ème (dont le niveau est pourtant faible) étaient réceptifs et demandeurs : les questions existentielles et philosophiques les passionnent, d’autant qu’elles sont inséparables d’applications dans la vie quotidienne.
Par ailleurs, notre société connaît une vogue extrême-orientale souvent superficielle et ignore le lien profond qui unit les techniques de bien-être personnel à leurs fondements théoriques ; ceux-ci permettent pourtant de penser les notions de solidarité et de respect d’autrui – valeurs dont se réclame notre enseignement laïc. Par ailleurs, elle ignore que sa propre tradition occidentale présente des ressources similaires (chez les stoïciens et les épicuriens, pour ne parler que de la culture grecque). Je pense que l’école est le lieu privilégié de découverte de ces ressources.
Il s’agirait de lier la question théorique : qu’est-ce qu’avoir un comportement citoyen dans l’Antiquité et aujourd’hui ? à une pratique véritable : comment devenir un citoyen vraiment responsable ?, en travaillant à la fois, (en les dissociant le moins possible), sur le corps, l’esprit et la vie en groupe.
Je me situe ainsi dans la perspective innovante et fortement dessinée par M. Luc Ferry dans son dernier livre : Qu’est-ce qu’une vie réussie ? – où il jette les bases de ce qu’il appelle une « spiritualité laïque », laquelle implique, dans le strict cadre de la laïcité, la reconnaissance d’une transcendance des valeurs et la mise en pratique d’une forme de sagesse – comme certains aspects du stoïcisme, que l’on peut d’ailleurs rapprocher d’une autre sagesse, très en vogue mais paradoxalement mal connue : le bouddhisme. En outre, le stoïcisme a exercé une influence notable sur le christianisme. Une ouverture vers une autre sagesse antique encore valide aujourd’hui (le taoïsme) serait également très utile. Toutes ces sagesses, comme y insiste du reste Luc Ferry, ont en commun de valoriser l’instant présent, dans une société où stress rime avec vitesse.
Cette étude des religions et sagesses antiques apporterait une véritable ouverture culturelle à nos élèves : philosophique, scientifique, artistique, physique… Devenir citoyen passe en effet par l’appropriation d’une culture commune, par une prise de conscience de l’importance du patrimoine et de l’identité culturelle et par une tolérance à l’endroit d’autres manières de penser qui viennent enrichir notre vision de la citoyenneté.
Une telle étude permettrait aussi de développer la connaissance des religions et la tolérance religieuse : elle montrerait qu’il existe, au delà des dogmes, des sagesses pratiques contenues dans les enseignements non seulement extrême-orientaux mais aussi ceux du judaïsme, du christianisme et de l’islam (par exemple celle des soufis, musulmans exemplaires sur le plan de la tolérance) ; il s’agirait également de montrer que ces sagesses ont de nombreux points communs, contrairement à ce que peuvent laisser penser les idéologies actuelles.
Cette étude des sagesses aurait un autre avantage : permettre aux élèves d’être constamment acteurs de leur apprentissage dans la mesure où ils apprendraient à se connaître eux-mêmes et à connaître autrui, à se maîtriser et à se détendre, à unifier en eux-mêmes le corps et l’esprit au lieu de les séparer comme y invite l’enseignement traditionnel. La créativité (physique et artistique) des élèves pourrait en être stimulée.
En outre, les apprentissages seraient mis en relation avec une manière de vivre concrète et plus épanouissante dans le quotidien. On est loin ici de la culture pour la culture.
Enfin, cette étude ferait prendre conscience aux élèves de l’interdépendance qui existe naturellement entre les différentes disciplines pour donner plus de sens et de profondeur à notre enseignement, ainsi qu’une dimension plus concrète. L’interdisciplinarité aurait ce mérite d’être articulée autour d’une véritable problématique commune et non de donner lieu à des travaux parallèles, sans lien véritable.
V) Etapes possibles de l’action :
A)
Découverte chronologique des civilisations de l’Antiquité :
1)
Introduction à la civilisation mésopotamienne (berceau des sagesses de
l’occident).
2)
La sagesse égyptienne (le symbole de la Maât : observer la nature
et trouver son équilibre).
3) La sagesse des Hébreux (les dix commandements : respecter autrui).
4) La politique (l’invention de la démocratie), le sport et la philosophie grecs (trouver sa place dans la cité et le cosmos).
5) La politique (origines de la République) et la sagesse romaines (stoïcisme : mieux maîtriser ses émotions en vivant l’instant présent).
6)
Le double message chrétien des Evangiles (avoir confiance en soi ;
aimer son prochain et apprendre à
juger l’acte sans juger la personne qui le commet). 7) On peut y ajouter, dans le cadre des
textes fondateurs en français avec des prolongements possibles en arts
plastiques et EPS, une introduction à l’Islam et au soufisme (anticipation
utile sur le programme d’histoire en 5ème) et aux sagesses d’extrême-orient
(yoga hindou, méditation taoïste, zazen bouddhiste).
B)
En parallèle : connaissance interdisciplinaire de la citoyenneté contemporaine
(réflexion sur tous les éléments qui font que vivre ensemble
harmonieusement est possible) :
1)
Le lien à l’environnement : responsabilité
solidaire à l’égard des générations et du patrimoine ; étude de la géologie
et des paysages ; dimension terrestre, aérienne et aquatique de l’EPS ;
relation à la nature dans les textes et les images. 2) La vie en collectivité :
respect des règles, participation à la vie de la commune ; tolérance,
communication, solidarité et altruisme ; capacité à s’opposer
physiquement et verbalement tout en se respectant ; apprentissage des règles de
sécurité.
3)
La relation à soi-même : santé et maîtrise de soi ; conscience de
son identité, sens critique et autonomie ; épanouissement personnel,
élaboration d’une image positive de soi et créativité ; goût
de l’effort et du dépassement des obstacles.
1) Evaluations propres à chaque discipline dans le cadre du projet commun.
2) Evaluations transversales :
- Grille commune d’évaluation formative, utilisable tout au long de l’année par les quatre enseignants et la documentaliste et comprenant notamment les critères suivants : faculté de concentration ; capacité à se détendre physiquement et mentalement ; connaissance de soi ; respect des autres ; capacité de travailler en groupe ; acquisition des connaissances ; motivation ; autonomie ; recherches documentaires ; créativité.
- Constitution d’un carnet de bord (commun aux disciplines impliquées) sur les sagesses antiques.
-
Elaboration d’un cahier de recherches commun sur le patrimoine de
l’humanité.
- Exposés oraux face à d’autres classes présentant une charte de l’élève citoyen.
- Enquêtes et restitution d’enquêtes auprès d’un adjoint du maire de la commune.
- Evaluation de la production finale : par exemple, spectacle théâtral à la fin de l’année.
1) Amélioration des relations à autrui : écoute de l’autre, respect des règles de vie en société, acceptation des différences et de l’opinion d’autrui, capacité à dépasser la tendance à l’égoïsme, solidarité, capacité à communiquer à l’écrit et à l’oral.
2) Amélioration de la relation à soi-même : connaissance et maîtrise de soi ; estime de soi ; concentration et vécu de l’instant présent ; facilitation des apprentissages ; épanouissement personnel, détente, confiance en soi, créativité.
3) Prise de conscience de l’importance de la préservation de l’environnement : respect et protection des milieux naturels ; respect du patrimoine ; conscience de la solidarité des générations.
1) Dynamique de travail et de réflexion liée à la concertation, à l’aide des intervenants extérieurs et à la convergence des projets.
2) Meilleure connaissance du travail des collègues et harmonisation des objectifs.
3) Plus forte solidarité des enseignants entre eux, ce qui ne peut manquer de rejaillir positivement sur la relation aux élèves.
4) Collaboration plus étroite entre les enseignants et le documentaliste du CDI.
- Charte de l’élève citoyen, réutilisée l’année suivante en étant intégrée en tant que document officiel au carnet de liaison.
- Production finale : spectacle théâtral sur les sagesses antiques et la citoyenneté contemporaine : décors antiques, recherche sur les costumes, présentation d’exercices et de sports antiques, mise en scène de sagesses pratiques susceptibles d’enrichir notre conception de la citoyenneté
-
Initiation à l’art du tai-chi-chuan et aux arts martiaux, contrôle de la
respiration, concentration
- Productions narratives : contes et fables inspirées par les sagesses antiques
- Pratique du haïku en relation avec le bouddhisme zen (poésie)
- Récits et compte-rendu de voyage après les sorties organisées
- Ecriture et mise en scène en vue de la production finale
- Exposition sur le patrimoine de l’humanité
- Enquête et exposition sur les associations et leurs liens avec la vie communale
- Travaux en groupe sur l’apprentissage de la tolérance et du respect des autres
- Campagne d’affichage sur le thème : « Respectons-nous ».
- Travaux d’arts plastiques en référence à l’Antiquité
- Pratique de sports antiques
- Course d’orientation pour une sensibilisation à l’environnement naturel
Je fais donc l’hypothèse suivante :
Si l’on cesse de séparer le corps et l’esprit de l’élève et si on aide celui-ci à vivre dans le présent et à accéder à une connaissance plus profonde de lui-même et d’autrui grâce aux enseignements des sagesses antiques, on améliorera à la fois la relation à soi-même, la mémorisation des savoirs, la réalisation des savoir-faire, la relation aux autres et le sens des responsabilités.
Naturellement, des questions restent en suspens, comme celles-ci :
- Quelle place exacte accorder au corps dans les enseignements traditionnellement dévolus à l’esprit et aux savoirs ?
- Quelle place accorder à la réflexion et au travail sur l’esprit en EPS ?
- Comment rendre l’interdisciplinarité la plus efficace possible sans pour autant nuire aux savoirs disciplinaires ?
- Comment contribuer le mieux possible, dans chaque discipline, à l’élaboration d’une image positive de soi et à l’épanouissement créatif ?
- Comment aider les élèves en difficulté à devenir vraiment acteurs dans les travaux imposés ?
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