QUELQUES REFLEXIONS SUR LA POESIE

I) A propos de la poésie moderne

II) Que peut la poésie ?

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    Jules Supervielle / Colette / Pierre Dhainaut / Roberto Juarroz / André du Bouchet / Eugène Guillevic

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 I ) A PROPOS DE LA POESIE MODERNE

 

Pour tenter de définir la poésie moderne, il faut commencer par effacer tout ce à quoi elle ressemble sans s’y assimiler : elle n’est pas une mystique car l’absolu ne lui est pas donné ; ni une philosophie ou une métaphysique car elle ne fait qu’effleurer le  concept ; ni une simple musique car elle effleure le concept ; ni une description car elle n’encadre ni n’ordonne le donné dans une représentation ; ni une religion car elle échappe aux dogmes ; ni une sagesse car elle n’aime guère les proverbes ni les lieux communs ; ni une thérapeutique car elle ne prescrit pas de solution ni ne fournit d’explication ; ni une science car la preuve, la certitude lui font défaut ; ni un rêve car elle s’intéresse au monde - et souvent de très près ; ni une magie car son pouvoir ne s’exerce pas dans l’ordre de la réalité ; ni une science occulte pour la double raison qu’elle n’est ni science ni magie - ni même recherche d’un savoir ou d’un pouvoir (occulte) ; ni une prière car le destinataire est incertain.

Et pourtant, force est bien d’avouer qu’elle relève un peu de toutes ces sphères de la culture. Peut-on l’identifier au dénominateur commun de tous ces domaines énumérés ? Encore faudrait-il que celui-ci existe et qu’il se définisse autrement que par la négative. Au moins la poésie possède-t-elle l’insigne mérite de procéder à un vaste décloisonnement des diverses disciplines auxquelles s’exerce l’esprit. Elle ouvre les fenêtres de notre maison mentale, qui pèche par excès de rigidité.

Ne serait-elle pas, par là même, comme le suggère de belle manière Jérôme Thélot, ce triple geste : un acte « psychocritique » [1] qui permet de « délivrer la conscience des représentations qui l’aliènent » ; une fonction « néomagique » par laquelle le poète peut « s’unir à l’Unité du monde […] quand la parole […] assemble [les mots] pour leur matérialité physique » ; et, enfin, ce qui constitue la proposition la plus originale, une « prière » [2] vécue et exprimée dans sa précarité même, prière « Précaire de ne pouvoir prier » ? Sans doute s’approche-t-on ici du plus intime de l’essence poétique, toujours, quant à elle, un peu élastique. L’activité poétique serait, selon Philippe Jaccottet, une « espèce de prière qui est dite sans intention de prière et dans l’ignorance de qui pourrait l’accueillir », un résidu de prière traditionnelle, ou, plus exactement, son ébauche.

Il y a, dans cette riche analyse, une grande justesse en même temps qu’une pureté de formulation. La seule réticence que j’éprouve face à elle réside dans le fait que, finalement, la poésie ne semble toujours se définir que d’une manière négative ; elle paraît ne pouvoir naître que d’un échec, d’une pauvreté essentiels qui sont, certes, sa grandeur et sa lucidité, mais qui la condamnent à l’impuissance. Une sorte de piétinement, de repli toujours recommencé sur soi-même. Le lieu d’une nostalgie. Une prière pour presque rien, agenouillée sur des ruines. Certes libératrice, mais enclose dans l’indéfinissable, dans la précarité de son propre geste toujours à recommencer sans qu’il y ait progrès.

Peut-être qu’en prolongeant cette analyse de Jérôme Thélot, précieuse parce que trop rare, il est possible d’aboutir. Ou tout au moins qu’une voie, une vraie, se dessine. Echappant au modèle séduisant de la circularité et en laquelle le geste poétique, tout en demeurant geste pur, puiserait une force, une puissance susceptible de nous faire avancer et, par là même, de nous concerner vraiment, nous, ses lecteurs. Perdus dans la masse des non-lecteurs de la poésie, dont la multitude, naturellement, pose questions, au pluriel.

Car l’indifférence, aujourd’hui déplorée, envers la poésie ne vient-elle pas en partie de ce que les critiques, ces montreurs de chemin, tendent souvent à s’arrêter en route ? Et, du même coup, à obscurcir et complexifier ce qui, peut-être, reste à révéler, tout au bout, à l’horizon peut-être, comme lumineuse simplicité ?

   Cette simplicité n’est, bien sûr, en aucun cas celle du message univoque. Et sans doute est-ce d’abord ce fait qui déroute (au sens propre de ce verbe). Mais il est des simplicités qui exigent, pour qu’on y accède, que l’on consente à renoncer à l’univoque, aux cadres du confortable concept, ainsi qu'à la manie de séparer, de diviser, d'analyser. Sans pour autant, point essentiel, se maintenir dans l’insatisfaction de l’équivoque. Il incombe au critique, à mes yeux, de pointer le doigt vers l’éblouissement qui est l’indispensable revers de cette simplicité.

Je parle d’expérience. Depuis longtemps férue de littérature mais, aussi longtemps, rétive à tout écrit critique. Je ne comprenais pas. Et me bien sentais seule parmi mes pairs qui consommaient avidement tout ce que les critiques leur offraient. Parmi ceux-ci, deux perspectives semblaient se proposer : d’un côté la mise en oeuvre d’une solide armature de clefs, de routes philosophiquement bien balisées mais amenées à durcir la fluidité inhérente à la poésie moderne ; et si par hasard elles voulaient corriger ce durcissement, elles étaient comme forcées de se ramifier en tous sens, de se compliquer pour rendre compte de ce qui ne s’ouvre pas à l’aide des instruments que met à notre disposition la réalité des choses. L’autre orientation, plus féconde, refusait d’interpréter ; mais, ce faisant, menaçait de s’engloutir dans le culte de l’ambivalence, du paradoxe pour le paradoxe. Celui-ci devenant à son tour une sorte de système. Aussi avais-je fini par me persuader que la littérature n’offrait rien de compréhensible et qu’elle n’était là que comme un jeu plaisant, un rêve allègre et allégeant.

Jusqu’à ce qu’on me prenne par la main, qu’on me tire hors de toute théorie pour me montrer que la poésie et l’évidence pouvaient, devaient même, avoir partie liée. Il me fallait franchir ce pas. Je me souviens d’une conférence portant sur René Char. Poussée par la seule curiosité, une dame, dans l’assistance, avait demandé à la fin la parole. Elle avait expliqué qu’elle ne lisait jamais de poésie, a fortiori jamais de travaux critiques. Mais que là, subitement, dans cet espace un peu intime, chaleureux, grâce à des lectures et à un discours adressés de manière vivante à un public auquel était offert le droit de réponse ou de questionnement, enfin elle avait été touchée par Char. Non pas simplement émue. Mais incitée à entreprendre et à poursuivre la lecture, afin d’en retirer quelque chose pour elle-même. Cette anecdote m’a frappée ; j’y retrouvais un peu de mes difficultés de lectrice.

Il y a eu, sur mon chemin de critique, des rencontres capitales : d’abord de modestes invitations à lire, sans encombrer la lecture d’interprétations. J’ai découvert là Saint-John Perse, Michaux, Bonnefoy, Ponge, Maïakovski, Reverdy… Coup de foudre. Jusqu’à cet autre foudroiement que fut la révélation, tardive et obtenue avec peine, que l’on pouvait faire de la critique sans passer par le crible des grilles de lecture, à la fois complexes et réductrices, excessives et insuffisantes, en somme. J’ai d’abord tenté de résister à cette sorte de voie folle que me proposait Jean Decottignies. Puis, dépourvue du moindre contre-argument, je me suis lancée dans ce sentier somme toute assez limpide.

Depuis, j’ai ce besoin d’une limpidité toujours accrue ; besoin exacerbé par la lecture de (rares) études - je pense à celles de Gérard Farasse (Cf. Empreintes - Baudelaire, Colette, Friedrich, Gombrowicz, Jaccottet, Larbaud, Mallarmé, Michaux, Ponge, Réda, Saint-John Perse, Supervielle, Thomas, Coll. Objet, Presses Universitaires du Septentrion, 1998) - dont l’exigence n’avaient d’égale que la transparence  : pour la première fois, en effet, je lisais des textes critiques comme on dévore un roman. Etait-ce possible ? C’était cela, oui : j’étais prise dans un suspense, j’avais envie, pour reprendre de ces formulations naïves que tout le monde comprend sans effort, de savoir la suite. Comment un critique peut-il parvenir à faire en sorte que le complexe s’intègre harmonieusement dans la plus grande simplicité ? Il faut d’abord que ses mots soient simples et qu’il évite (à la manière de Supervielle ou de Jaccottet) tout jargon. Ensuite qu’il se place chaque fois dans la peau du lecteur débutant, qui aborde l’oeuvre sans rien y connaître. En acceptant, en se dépouillant de tout savoir préconçu, de se laisser fermer les yeux, comme un enfant :  

De telles expériences, plutôt qu’illuminer comme j’ai eu tort de le donner à croire, enténèbrent d’abord. Les grands textes ne nous apprennent rien, sinon notre ignorance : ils ne font pas la lumière mais la défont. Je lis les yeux fermés. […] Ces oeuvres m’offrent les premiers mots : ce sont des textes maternels, qui donnent la parole au critique, toujours infans.[3]

Et enfin, fermant ainsi les yeux, qu’il suive une piste, un but. Collectant les indices, recueillant les témoignages, bref, en détective. Pour, ultime dessein, nous fournir une provision de « leçons », comme les aimait Francis Ponge : leçons non dogmatiques, cela va sans dire.

Poursuivant cette route, j’en suis venue à m’interroger, toujours très simplement, de la sorte : pourquoi donc les gens devraient-ils demeurer imperméables à la poésie alors même qu’ils recherchent avec une espèce de frénésie, en cette fin de siècle, des leçons ou recettes ou autres arts de vivre qui, précisément les aiderait à vivre sans pour autant les enfermer dans les dogmes que, massivement, ils en sont venus à rejeter ? Si je me pose cette question, c’est que je partage avec eux, faisant partie du commun des mortels, ces deux besoins non contradictoires et que, simultanément, ma soif de poésie n’est pas près de s’éteindre.

Voilà pourquoi au mot « prière », même nuancé comme il l’est sous la plume de Thélot, je préfère celui de méditation : le poète serait une forme de méditation verbale ; un exercice spirituel, qui, loin de se replier sur lui-même comme une rose étouffée sous ses propres pétales, ouvre une voie par laquelle vivre mieux, plus pleinement.

N’est-ce pas ainsi que Matisse envisageait l’acte de peindre ? Un repos de l’esprit - exempt de mauvaise oisiveté - grâce auquel celui-ci amassait sa récolte de sérénité. Pour vivre plus tranquillement, après.

Sans doute le geste poétique (ou pictural) est-il toujours à recommencer. Car il aiguise l’esprit et le rafraîchit avant de le laisser se ramollir au contact de la réalité. Mais peut-être est-il toujours à approfondir, à épurer.

Ainsi le texte poétique m’apparaît-il comme un brouillon, jamais achevé. Mais pour autant l’insatisfaction n’est-elle pas vraiment son lot. Ou alors elle doit être conçue comme un moteur, un élan. Enveloppant comme un noyau précieux la jouissance éprouvée face à la perte du sens univoque. Le texte échappe alors à la fois à l’orgueil et, à l’inverse, à une insatisfaction douloureuse. Si le poète est un écorché vif (mais pas forcément), il transmue sa souffrance par l’écriture.

Il convient de s’attarder davantage sur la nature de ce geste ; plusieurs perspectives se dessinent ici : c’est d’abord à mes yeux un apaisement, une quiétude ; le poète écrit quelque chose qu’il ne comprend pas immédiatement. Comment son esprit ne se délecterait-il pas de cette opacité du sens ? Il peut en effet s’espacer, s’emplir d’air, blanchir ou bleuir, jusqu’à se faire transparent, les pensées demeurant en suspens. Ma lecture, en tout cas, épouse ce processus mental. Lisant par exemple Du Bouchet, je vois une sorte d’équivalence s’établir entre le brouillard dont sont faits les fragments insolites du texte et les blancs qui le trouent. Sans doute rejoint-on là la fonction psychocritique dont parle Thélot. Mais un second mouvement se met en oeuvre : il s’agit alors d’embrasser les significations, ou plutôt de les faire circuler. Le verbe se faisant alternance, succession de pointillés (excès de sens : le texte / absence de sens : les blancs), balancier d’ivresse : une autre fonction commence, qui brasse les concepts pour les faire éclater, ouvrant le sentier de la vérité.

Entendons-nous bien : ce n’est pas l’édification d’un ou de plusieurs sens qui est ici recherchée. Les mots se mettent bien plutôt au service d’un mouvement, d’un rythme, d’une respiration. Et cela, tout en nous parlant du monde. Celui-ci existe alors sous la forme de rythmes, de souffles, de glissements. La réalité se dissout sous l’action des mots pour se refaire, mais non-réelle, non duelle, pure circulation. Si le poème moderne a quelque chose à nous dire, c’est bien cette remise en question du concept de réalité.

Ce questionnement touche bien sûr non seulement le monde extérieur mais aussi l’univers intérieur, le moi. Si bien que les mots mettent à l’unisson le moi et le monde, également dissous, mais aussi également  existants. Co-existants. C’est-à-dire dépourvus de toute nature, de tout statut figé. Les voici aptes à coopérer vraiment, à glisser l’un dans la peau de l’autre et réciproquement ; c’est leur cohérence ou coexistence qui se manifeste à travers les mots.

Rien, ici, n’est gratuit : la science moderne tend elle-même à corroborer ce besoin de traverser le concept pour s’en aller au-delà, toujours au coeur du monde, cependant, dans l’immanence. Certains scientifiques, parmi les plus illustres et les plus modernes (je songe ici à Heisenberg, père de la physique quantique), nous laissent entrevoir dans les béances de leur système un monde absolument étrange au sein même de notre monde le plus familier. N’est-ce pas à la découverte de cet univers autre, contenu dans le même, que nous convient bien des poètes modernes ? Tout comme les très anciennes philosophies orientales, à la mode mais souvent ignorées dans leur profondeur métaphysique…

La poésie moderne serait donc une forme de méditation verbale destinée à nous reconnecter (paisiblement, car, sinon, quel serait l’intérêt d’une telle entreprise ?) à l’univers. Elle recouvre par là un statut pleinement positif : instrument d’une vérité non conceptuelle et vitale. Elle aurait donc partie liée, tout au moins en ce qui concerne une de ses branches majeures, avec la dimension du sacré.

Au demeurant, toutes les références culturelles dont se réclament les courants de la poésie depuis le XIXème siècle ont, à l’évidence, cette caractéristique en commun ; qu’il s’agisse de la pensée et de l’art moyennageux - lesquels baignaient dans une culture riche d’un foisonnement religieux, mystique et ésotérique - redécouverts par les romantiques, cet intérêt se prolongeant au XXème siècle, et jusqu’au terme de celui-ci ; ou des arts dits primitifs, parfaitement inséparables du contexte sacré où ils plongent leurs racines. (A ce sujet, n’est-il pas paradoxal et frappant qu’André Breton, lui-même, pape de l’anticléricalisme s’il en est, ait concentré toute son attention sur ces arts sacrés, jusqu’à déplorer que les occidentaux ignorent tout du contexte culturel qui justifiait leur existence et tendent à s’approprier de telles oeuvres pour les admirer d’un oeil purement esthétique et extérieur à leur essence ?) On ajoutera bien entendu à ces références le souvenir des philosophes pré-socratiques (chez tous les artistes qui se partagent les héritages de Nietzsche et de Heidegger), ainsi que celui des philosophies orientales, pour un nombre non négligeables de poètes et d’écrivains contemporains comme, auparavant, pour les héritiers de Schoppenhauer. Toutes ces références convergent en une zone qui relève de cette vaste sphère de la culture qu’est le domaine du sacré.

Si l’on tente de préciser quelque peu ce dernier terme, on invoquera une autre référence, négative celle-là : toutes les cultures que je viens d’évoquer s’inscrivent en effet dans un espace qui se situe très exactement en marge du classicisme (entendu en son acception la plus large) occidental : qu’il s’agisse de l’idéalisme inspiré de Platon, de la statuaire gréco-romaine, des peintures italiennes de la Renaissance ; ou encore du classicisme européen de la deuxième moitié des XVIIème et XIIIème siècles. Toutes ces cultures sont fondées sur le socle même de ce qu’il est convenu d’appeler la pensée occidentale : pensée gouvernée par le binaire, le contradictoire ; pensée s’abreuvant donc à la source du logos, de la raison. D’une raison qui cherche de toutes ses forces à extirper de son champ d’investigation toutes les racines de l’irrationnel. Sur laquelle se greffent toutes les formes de culture qui ont besoin de cadres théoriques pour s’épanouir ; citons, dans le désordre, les dogmes chrétiens, le matérialisme athée, l’idéalisme qui nie la réalité extérieure, le totalitarisme politique, les sciences physique, biologique, humaine… 

Cependant, si l’occident prise les systèmes, on devra toujours se souvenir qu'à toutes les époques certains mouvements s’inscrivent contre l’esprit de système : c’est le cas bien sûr du Moyen-Age, mais aussi du courant baroque, de bien des oeuvres, dites classiques, du XVIIème siècle qui échappent, dans leur réalité profonde, à la dichotomie classique/baroque, de certaines oeuvres de la Renaissance aussi, qui à la fois sont imprégnées de culture moyennageuse et anticipent très nettement sur le foisonnement baroque. En histoire de l’art, la prudence et la nuance sont des guides nécessaires. Même si l'on est frappé, lorsqu’on se tourne par exemple vers les civilisations orientales, par l’abîme qu’il faut franchir pour sortir de notre contexte culturel et véritablement appréhender cette culture autre, il convient d'incriminer davantage les interprétations hâtives que l'on a pu faire de notre héritage grec, par exemple, plutôt que cet héritage lui-même. Que l'on songe aux stoïciens, aux épicuriens, à Plotin, à Socrate et à Platon lui-même, quoi qu'en dise Nietzsche... Etaient-ils si éloignés des philosophes bouddhistes ? Retournons à la source... ignorée par le rationalisme qui s'est peu à peu insinué dans notre culture.

En allant se ressourcer dans les arts orientaux, les romantiques et leurs successeurs ont eu, au-delà d’un goût éphémère pour l’exotisme dépaysant, ce geste fondateur : dénier à la raison sa toute-puissance et, surtout, l’effet séparateur ou, au strict sens du terme, sectaire que celle-ci produisait au sein du domaine culturel. Ce n’est pas, en effet, la raison et sa force naturelle qui est ici en cause, mais son détachement du reste de la pensée humaine. La pensée orientale fait coopérer étroitement la raison et les autres facultés mentales de l'être humain. Tout comme le faisaient, à leur manière, la pensée moyennageuse, la philosophie pré-socratique ou platonicienne.

Comment, donc, définir le sacré ? Cette dimension qui touche au religieux sans s’enfermer dans le dogme me paraît intimement liée à la communion que l’homme a si souvent cherché à établir entre lui et l’univers. Communion qui n’est ni une fusion (ce qu’induirait le matérialisme) ni, à l’autre extrême, une absorption (produite par l’idéalisme). Elle est bien plutôt une relation faite d’équilibre, d’harmonie non rationnelle et d’interdépendance. Et si la poésie moderne joue un rôle majeur et spécifique dans la culture occidentale, c’est, me semble-t-il, dans la mesure où elle se fait seul dépositaire du sacré ; c’est-à-dire qu’elle crée une brèche dans la demeure bien cloisonnée de l’occident, un pont où peuvent enfin se rejoindre l’idéalisme et le matérialisme qui s’épurent de leurs rigidités respectives : la réalité et le sujet perdent de leur consistance propre pour entrer en relation. N’est-ce pas la forme moderne de l’aspiration, manifestée par les civilisations les plus anciennes, à intégrer l’homme dans le cosmos ? Et n’est-ce pas pour la raison que l’occident a perdu ce sens du cosmos que la poésie moderne a de son côté perdu la faveur du grand public ?

C’est sans doute pour la même raison que cette faveur pourrait bien ressurgir et qu’il faut travailler à cette   résurgence : la soif de spiritualité qui s’exprime à l’aube du XXIème siècle a quelque chose à voir avec la quête poétique de la modernité. Dépassant le surréalisme tout en profitant pleinement de son héritage, la poésie contemporaine témoigne tout entière de cette quête du lien de l’homme et de l’univers. A propos du surréalisme, précisons ceci : il importe en effet, pour ne pas tomber dans un autre extrême où s’embourbent trop de critiques actuels, de ne pas rejeter l’héritage surréaliste sous prétexte qu’il perpétuerait une certaine forme d’idéalisme ou de subjectivisme. Bien sûr, le surréalisme a porté le fardeau de ses excès dogmatiques. A force de rejeter le dogme, il s'est enlisé dans le dogme de l’anti-dogme, conduisant parfois à une certaine gratuité et à une échappée dans un imaginaire oublieux du monde. Mais nul ne peut ignorer que la plupart des poètes contemporains se sont formés au contact du surréalisme. Ils y ont sans doute puisé l’essentiel : une profonde curiosité intellectuelle pour les pensées qui battaient en brèche le dualisme occidental. Ce cheminement ouvrait les portes d’autres civilisations qu’il ne s’agissait pas pour eux de dévorer et de digérer. Il était au contraire question de s’ouvrir. On ignore trop, par exemple, que la démarche d’André Breton à l’endroit des arts primitifs n’était pas si éloignée de celle des ethnologues soucieux avant tout de respecter la pensée de l’autre.

Toutes ces références ne doivent pas faire oublier, bien entendu, la spécificité de l’art moderne par rapport aux formes de cultures anciennes qui s’appuyaient sur la dimension sacrée. Dans la poésie contemporaine et moderne, les dieux, uniques ou pluriels, ont disparu. Le sacré semble indissociable de l’athéisme. L’union de l’homme et du cosmos ne passe plus par la médiation divine (ou angélique). Le geste médiateur est désormais dévolu au seul esprit humain, substitut -  mais non équivalent - de l’âme. Celle-ci était en effet conçue comme une entité touchant à la fois au divin et à l’humain. L’esprit, lui, a perdu cette solidité dont l’entité est douée. Il s’agit bien plutôt d’un flux indéfiniment mobile et inconsistant, d’une pure activité ou fonction. Il y a dans la  pensée moderne, disons, pour schématiser, depuis Nietzsche, une conception de l’esprit humain comme fonction et non plus réceptacle. L’esprit ne contient pas de vérité, quand bien même celle-ci serait fragmentaire ou partielle ; la vérité est toujours hors de lui, comme l’horizon ou l’arc-en-ciel, inaccessible. Elle ne peut donc surgir que lors d’un jaillissement spirituel. L’esprit n’est pas en mesure de recueillir la vérité pour la transmettre. Il est un mouvement d’accès à elle, sans qu’elle puisse être saisie par l’entendement. Effleurée, touchée peut-être même, et non pas contenue ni réduite. La vérité toujours déborde l’esprit. Elle n’est pas non plus niée. Car, sans son existence, à quoi bon penser ou créer ? Mais il est dans sa nature d’être excessive.  Et, par là-même, active. Celui qui touche du doigt la vérité s’en trouve transformé et, du même coup, infiniment mobile. Ainsi la connaissance n’est-elle pas un état mais une action.

C’est pourquoi tous nos concepts ordinaires, si pratiques dans la vie courante, aveugle au sacré, sont rendus caducs par la poésie contemporaine. La notion même de réalité, vers laquelle bien des critiques et penseurs voudraient nous faire revenir, n’a plus guère de sens, du moins si elle entendue en son sens premier de res, chose que l'on peut mettre à distance du sujet, que l'on peut donc objectiver. Car elle implique fondamentalement une séparation : entre l’esprit et la matière, entre la pensée (ou le mot) et la chose. Il n’a guère que dans l’art que l’occident moderne a cessé de réifier le monde et l’homme pensant. Pourquoi ce geste de refus, propre à la sphère poétique ? C’est que celle-ci demeure le seul dépositaire du sacré, du lien fondamental entre la conscience et le monde extérieur, la seule garantie, au fond, du sens de l’existence. Pour garantir ce sens, l’artiste brise le concept où l’on croit trop souvent qu’il est retenu. Alors qu’au contraire il y est emprisonné, mutilé, défiguré. Le sens ne devient possible que dans son propre débordement, sa richesse nutritive. 

Il y a une grande pureté dans la poésie moderne, dépouillée de ses dieux, figures encombrantes de la démarche symbolique de l’homme. Aussi épurée se montre-t-elle que ces figurines sans nom édifiées par les artistes primitifs amoureux de la courbe, du carré, du triangle, de la spirale. Beauté, simplicité qui accroche la lumière toujours semée d’ombres quand on prétend la capturer au lieu de la contempler. S’il est difficile de lire la poésie moderne et contemporaine, c’est en partie parce que la contemplation méditative, qui est la forme la plus épurée du geste poétique, est en elle-même déjà un exercice délicat, auquel nous sommes bien peu accoutumés. La poésie est pour moi « une religion de remplacement », disait Supervielle. Comment mieux dire cette importance de la dimension sacrée, délivrée du dogme, qui est l’apanage de la modernité poétique ?

Lisant et relisant, épars, les poètes contemporains, j’y pressens quelque chose de commun… un presque rien très vague mais qui a la consistance d’une conviction. Si j’essaie d’y voir un peu plus clair, voici ce que j’y trouve, en vrac :

Tout d’abord, le refus d’un certain épanchement : on aime la sobriété, la retenue, la mesure… De cet état d’esprit projeté dans les textes, Jaccottet, Guillevic, et, plus loin de nous, Reverdy ou Supervielle, sont de parfaits exemples. Narcisse s’est, semble-t-il, définitivement noyé dans les eaux de son miroir…

Ensuite, un souci nouveau, lié au précédent sans doute, du monde, de l’univers, de la matière, des choses, du monde extérieur, bref, de ce qui nous résiste, de ce qui paraît hors de notre esprit. Une attention nouvelle au réel, qui permet d'en arracher les masques.

Et puis aussi la quête d’une forme, après les déformations induites par la pratique de l’écriture automatique. On rejette la gratuité. On veut qu’une architecture éclose. Du Bouchet lui-même parle d’axiomes et de non-gratuité… On frôle le souci mathématique de la mise en forme. Voir peut-être Jacques Roubaud.

Mais cette forme ne vaut pas pour elle-même. Elle est étroitement liée au sens du poème. Je continue à souscrire à l’heureuse et célébrissime formule de Jean-Louis Joubert : une « forme-sens ». On est aux antipodes de l’art pour l’art. On serait bien plus proche, mais c’est à creuser, de la « poésie pour vivre » de Brindeau et Breton (Jean, bien sûr !) Il s’agit d’une forme en forme d’expérience. L’apparence, à la fois provisoire et nécessaire, de l’insaisissable vérité.

Il y a, parallèlement à cette dernière remarque, comme un souci éthique, non séparé du point de vue philosophique et critique : Ponge veut ainsi régénérer le langage, lui rendre une sorte de noble utilité (mot à prendre avec des pincettes) ; nombre de poètes sont en quête d’une Vérité, ou d’un Autre qui les transcende ou encore d’un « vrai lieu », d’une « présence » authentique. Les mots vérité, sincérité, authenticité, leçon ne sont plus regardés comme d’effrayants démons mais comme des mots de poids, des termes valables, lumineux. Supervielle songe à une « pansympathie » ; Char fait de la Résistance jusque dans ses poèmes. D’autres ont le souci de la nature et se battent pour une écologie sans dogmes. On voit refleurir comme au temps d’Héraclite ou de La Rochefoucauld, des aphorismes. Jabès est reconnu.

Il y a également chez nos poètes une grande modestie. Jaccottet, Ponge, Michaux, Guillevic, Reverdy, Supervielle, Du Bouchet, pour ne citer qu’eux : ils tâtonnent, brouillonnent, griffent parfois leur papier d’ombres gesticulantes, ils s’effacent pour mieux resplendir, ils hésitent continuellement. A la manière d’un Montaigne s’essayant… On ne les voit pas fréquenter le grand monde, les cercles parisiens, non. Ils préfèrent de beaucoup leurs montagnes, leurs rivages marins, leur campagne, leurs paysages discrets, leur province, leur intériorité, leur solitude ouverte sur l’infini. Comme du Bellay, peut-être… Pas de cour, pas d’intrigue, pas de faire-valoir… Ils ne sont jamais sûrs de détenir la vérité, y compris et surtout celle qui les concerne au premier chef, celle de leur métier de poète. Pas de définition de la poésie, pas de manifeste ni de banderole. Des anti-Bretons, par un certain côté…

On trouve aussi chez eux comme un souci religieux ou un sens du sacré qui n’a rien bien sûr à voir avec les superstitions du panthéisme, les terreurs ancestrales ; un sens du spirituel qui rejette tout dogmatisme -  et l’athéisme en est un… Comme dit joliment Eric-Emmanuel Schmitt : « Je voudrais empêcher que les choses aillent de soi, tant il est vrai qu’aujourd’hui l’athéisme va de soi. C’est la superstition dominante. » S’élevant contre toute superstition, la poésie interroge, aiguise son esprit comme la pointe d’un crayon ou comme le sommet d’une montagne. Il y a des poètes agnostiques, chrétiens, judaïques, mystiques, humanistes, priant, non-priant mais désireux d’élever leur poésie jusqu’à l’altitude d’une prière… Quels qu’ils soient, le spirituel fait partie de leurs affaires les plus quotidiennes. Ils veulent se relier au monde car là est le salut et la raison d’être de leur geste poétique. Non pas plonger ou s’enfuir vers un au-delà ! (Car il n’est pas de dogme qui puisse de celui-ci tracer les frontières…) Ils proposent simplement, sans jamais la figer, une vision autre de l’univers et, surtout, une manière différente de l’habiter.

Au centre de tout cela se dresse une pensée nouvelle, qui s’inscrit à la fois contre le matérialisme forcené et l’idéalisme forcené. Une double tradition aussi contradictoire que mutilante est en train de s’effondrer.

Là réside, me semble-t-il, la vraie révolution poétique : non pas un bouleversement qui prétendrait faire table rase du ou des passé(s) immédiat(s) mais un changement en profondeur qui cherche à réconcilier des époques différentes. Car cette pensée contemporaine puise à des sources ancestrales ou anciennes (philosophes pré-socratiques, pensée du Moyen Age, mythes pré-colombiens, philosophes orientales d’avant le  christianisme…) ; mais elle présente la particularité et la faculté d’intégrer ces dernières à notre vision moderne du monde : vision sans dieux, désenchantée ou, plus exactement, désensorcelée, fondée sur la puissance et les gigantesques failles de la science moderne.

Sur la question de la forme, la frontière entre prose et poésie, malgré le combat de certains formalistes qui ont peut-être du temps à perdre, m’apparaît souvent indécise (qu’on relise Ponge, Michaux, Le Clézio et bien d’autres !) : la poésie n’est plus le réceptacle figé, académique des épanchements du je, fût-il inconscient. Il me semble que la forme stricto sensu est liée au lyrisme hérité de la Renaissance, au sujet, même réduit à ses ombres, ses cavernes profondes. Le signe que la trop étroite subjectivité vacille et s’incline ou s’élève vers l’universel, le tout, l’unique, le vrai lieu… Il y a bien sûr des poètes contemporains qui revendiquent l’usage du vers, en font l’objet d’un véritable enjeu. C’est même un courant. Mais il me semble que bien d’autres passent d’un genre à l’autre avec beaucoup d’aisance sans que cela leur soit dicté par autre chose que la nécessité des sens qui sont en jeu. Ce qui ne veut pas dire que la forme soit pour autant un réceptacle du sens ! Car à son tour elle influe sur ces sens.

D’où la vraie nouveauté de cette seconde moitié de XXème siècle qui ne demande qu’à s’étendre et se prolonger : la poésie est devenue une attitude plus qu’un genre. Et une attitude complète, entière, décloisonnante, évitant de danser sur les crêtes étroites du poétique. Est-ce un hasard si certains de nos poètes contemporains sont des philosophes de formation ? Comme si une part de la philosophie, après les difficultés de la métaphysique occidentale, s’était réfugiée en poésie… De même, une part de la spiritualité.

Il est important de souligner l’idée qu’il n’y a pas eu de révolution de type surréaliste : tout casser d’un seul coup en brandissant des mots d’ordre. Si révolution contemporaine il y a, c’est un mouvement souterrain, non dogmatique, qui s’effectue dans la durée, d’où son côté peu spectaculaire…, dans la profondeur aussi et qui, de surcroît, possède des qualités de synthèse : loin de couper, de trancher dans le vif, la nouveauté de nos poètes est conciliatrice, ouverte. A la manière de Michaux ou de Daniel Biga capable de passer d’un bricolage à la Andy Warhol au plus concentré des gestes de méditation.

La poésie française, de toute façon, comme l’art occidental tout entier, a cette particularité de marcher à reculons, contrairement à l’art oriental qui demeure fidèle à lui-même. L’art occidental est oscillant : il rompt avec le passé immédiat pour aller chercher très loin derrière lui de quoi fonder son avenir. Il me semble qu’à l’heure actuelle on rompt moins, on concilie davantage et cette ampleur nouvelle est à la mesure d’une ambition autre.  Il ne s’agit plus de changer la vie en tirant à boulets rouges mais à la transformer lentement, posément, patiemment, de l’intérieur, en intégrant toutes les richesses passées : la liberté surréaliste, le lyrisme romantique ou renaissant, la spiritualité claudélienne, l’espérance rimbaldienne, le charme des troubadours, le sens baroque de l’illusoire et du précaire, … oui, tout cela et bien d’autres mouvements, mais sans cloisons ni rigidité avec dans le regard une immense incertitude…

Il m’apparaît aussi que cette incertitude présente deux versants : l’un est pétri d’angoisse devant l’absurde, l’obscur et l’éphémère ; l’autre est fait de foi, d’espoir, de jouissance et de liberté. C’est le second versant qui m’intéresse, le plus fécond car il rend à la poésie sa raison d’être : non pas d’être une simple catharsis mais une force, une arme, une raison de vivre. Pensons, sur un plan plus modeste, aux chansons poétiques qui touchent tant de monde sans pour autant verser dans le commercial : Nougaro, Baschung, M. C. Solaar…  

La poésie véritablement contemporaine s’inscrit dans un contexte ; il convient de ne pas ignorer celui-ci si on veut le comprendre : c’est un tissu culturel complexe où la science elle-même se révèle comme recherche plus que comme savoir ; où des écrivains majeurs pour leur réflexion philosophique sur l’art et la littérature - je songe à Blanchot ou Borgès - se refusent à figer dans quelque interprétation.

Celui qui interroge se trompe, / Celui qui répond se trompe.

Ainsi parlait le Bouddha. Or, le poète contemporain n’est-il pas précisément celui qui se tient à mi-chemin entre l’interrogation et la réponse ? Suspens miraculeux en quoi la poésie se trouve un équilibre. On objectera peut-être que, de Supervielle à Jacottet, le texte n’est qu’interrogation. Ne serait-il pas plus juste de dire que l’interrogation qui surgit est celle qui sait par avance qu’elle ne recevra nulle réponse ? De même, l’affirmation est toujours précaire, telle une fausse, une impossible réponse. Du Bouchet, par exemple, ne sait nous offrir autre chose qu’une marche incessante qui ressemble, par sa perpétuité même, à du repos, un repos oscillant, ou si l’on préfère une marche sans but. Une marche pour elle-même, comme une méditation sur la vacuité des choses.  

[1] Jérôme Thélot, dans La Poésie précaire, « La fonction d’oraison dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy », Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 111.

[2] La Poésie précaire, « Philippe Jaccottet, ou la poésie précaire », Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 130.

[3] Gérard Farasse, Empreintes, Lille, Presses du Septentrion, 1998, p. 15.

 

 II ) QUE PEUT LA POESIE ?

A qui s’adresse cette question ? L’éventail de ses destinataires suffirait à faire se déployer un faisceau de réponses.

Si c’est à moi que cette question s’adresse, la poésie peut tout. Car elle possède à mes yeux la faculté suprême : le tranchant de la simplicité.

Simplicité foisonnante, fluide. Et qui foudroie la simpliste complexité du monde que l’on nous dit réel, dont les plis se chevauchent maladroitement, se combattent, formant des angles obtus. Simplement utile, la poésie, insinuée dans les choses opaques, fourmillantes, qui encombrent la moindre de mes journées. Mais utile jusque dans l’ultime de mon existence. « Métaphysique expérimentale », selon Daumal.

J’ai longtemps pensé que la poésie était réparatrice. Or, elle ne console pas, elle ne répare rien : elle m’indique bien plutôt que rien n’est, n’a jamais été déchiré. Elle m’invite à rejoindre la plus haute simplicité.

J’ai cru aussi, au long de mes lectures, ne devoir éprouver par la poésie que le plaisir-désir (certes intense) de mots en quête d’eux-mêmes et tâtonnant tous azimuts vers un semblant de connaissance. Le plaisir du questionnement infini. En somme, une émotion née de la précarité même du langage poétique. Jusqu'à ce que je reçoive, dans un passé récent, le choc d’une rencontre aride : Douzième poésie verticale de Roberto Juarroz. Conversion. Brusque arrachement au brouillard de toutes mes lectures précédentes. Subitement, le poème se révélait initiation, leçon non dogmatique mais inflexible, exigeante, bannissant d’un trait la rêverie, les images et le monde multicolore. Dans le désert de cette parole, je ne disposais plus du luxe de la soif. Il me fallait apprendre à boire, réellement.

Voix d’éveil.

Voie d’accès à la simplicité verticale - qui relie l’une à l’autre l’altitude transcendante et l’immanente profondeur.

J’ai pu alors relire les poèmes que mes lectures passées avait affadis : leur pouvoir, jusqu’alors à peine pressenti, me parlait enfin.

La poésie peut tout car devant elle s’étend un champ d’actions, et non d’idées ; elle est elle-même un acte, un élan. Vers la pure intensité - celle qui ne se laisse pas mesurer - du naître-mourir, à chaque instant de l’existence. Elle sait me débarrasser des quantités, des qualités. Par elle, j’apprends l’adhésion à ce qui est.

Le poète dispose de cette vertu sportive et rare : il pratique l’art du lâcher-prise. Au lieu de s’agripper aux éléments du monde observé, ses mots leur insufflent une capacité d’envol. Et voici que, dans le souffle du poème, les choses d’elles-mêmes effacent leurs contours ; elles ébauchent, indéfiniment, leur métamorphose :

Saisir le pied, le cou de la femme couchée / Et puis ouvrir les mains. Combien d’oiseaux lâchés [...]. / Une à une les choses / (Jules Supervielle)

Ce faisant, elles tracent en filigrane l’impossible contour du non-lieu et du non-temps qui les a fait naître. Elles s’éveillent à leur propre vacuité.

Très vieux pouvoir et toujours neuf : le poème est un casse-noix (« casse-dogme », disait Gilbert-Lecomte) qui fendille, fissure, à coups de silence, de petites coques étouffantes aux fruits ratatinés : les catégories. Et dans lesquelles, depuis longtemps, malgré mes efforts, je me plais à m’endormir, à m’obscurcir. Boîtes maigrichonnes où m’enferme ma perception ordinaire, mutilante de l’univers. Petits compartiments verbaux que je m’obstine à partager avec tout le monde - ils sont si commodes ! Petit mobilier immobile, pétrifiant. Si petit et familier que, presque toujours, il passe inaperçu.

Jusqu’au jour où un poète les pulvérise. Juarroz est de ceux-là : sous sa plume impitoyable, chaque concept s’écroule face à l’apparition de son contraire ; de cet écroulement surgit un fruit nouveau, composé de ces deux opposés : « La veille est un autre sommeil » [1]. Mais cela ne suffit pas au poète : encore faut-il qu’à l’intérieur du fruit s’inverse l’ordre des moitiés : « Le sommeil ne serait-il pas une autre veille ? » Non content d’avoir bouleversé nos idées bien rangées pour nous ouvrir au monde réel, il franchit un pas de plus, de sa manière méthodique, implacable : d’abord montrées dans leur complémentarité fusionnelle (« Peut-être que la veille et le sommeil / ne sont que deux regards / d’une seule vision »), les deux moitiés en viennent à perdre cette relation privilégiée pour entrer dans un plus vaste tableau, où s’éteignent brutalement tous nos repères : « deux profils d’une face / aux profils innombrables, / deux côtés d’un polyèdre infini / qui tourne dans un vent infini. » La veille et le sommeil se sont trouvé d’autres jumeaux : « La mort est peut-être un autre côté. / Et la folie un autre. » 

Cependant, à peine installé dans cet espace tout neuf, le lecteur doit aussitôt se préparer à un nouveau virage : le destin de ce nouveau réel n’est nullement scellé ; l’aléatoire y creuse ses propres conditions. Le poème bifurque brusquement vers une éventualité énigmatique (« Mais qu’adviendrait-il / si jamais le vent / cessait de souffler ? »), qui engendre elle-même une double interrogation ; laquelle dédouble cette vision d’un réel inconcevablement plus réel que l’autre, la projetant définitivement dans le champ de l’indécision et des pures hypothèses ; comme si le réel lui-même, enfin prêt, tout au bord du silence, à se dévoiler, devait encore - ultime volte-face - aller s’abîmer dans son hésitation - perpétuelle, car le poème s’achève ici - entre deux abîmes ; l’absurdité totale d’un côté, le sens absolu de l’autre : « Le polyèdre perdu en soi continuerait-il / de faire des tours dans le néant ? / Ou s’arrêterait-il enfin / et ses côtés n’en feraient plus qu’un seul ? »  Comme si cette ultime opposition entre le noir néant et le sens éblouissant devait, elle aussi, se dissoudre dans une immense incertitude.

En cette matière, peu importent les procédés dont use le poète. Seul compte le résultat : l’aptitude à ouvrir enfin la possibilité d’une expérience du réel, en faisant exploser nos valises d’idées.

C’est si facile de répartir ses pensées dans ces tiroirs-là. Toujours ma perception s’encage derrière ces grilles verbales, forgées, renforcées à longueur de journée : carré-circulaire, temporel-spatial, lisse-rugueux, coloré-transparent, atome-électron, onde-particule, obscur-lumineux, plein-vide... Me voilà déjà - dès le premier regard jeté sur le dehors - séparée du monde. Alors que suffirait un peu de vigilance. Et je persiste, m’évertuant à vider, pour mieux les remplir, ces doubles tiroirs fermés, crispés sur leur contenu alors même que je crois les ouvrir, les élargir sans cesse : agréable-désagréable ou assez désagréable, fascinant-indifférent, différent-banal, étrange-familier, sympathique-distant, attirant-bougonnant, que sais-je encore ?...  Quelle débauche de paroles. Et je m’insurge, m’étonne, admire et juge, lançant des flèches d’acier, piquant des colères comme des joies... Ainsi, toujours, je manifeste mon écart d’avec le monde réel. Bien sûr, j’exhibe du mieux que je le peux mon sens de la nuance en jouant de toute la gamme multicolore qui sépare chaque paire d’opposés : ordinaire - habituel - fréquent - courant - intermittent - rare - insolite - étrange - extraordinaire...

Mais aucun langage, sinon la poésie, ne m’empêche de rester prisonnière de la gamme des nuances. Le contenu du tiroir - à double, triple ou quadruple fond - peut bien s’étendre à l’infini ; ses bornes antithétiques reculent d’autant pour mieux affirmer leur présence inflexible. Au bord même de l’infini, qu’elles enserrent et éclipsent.

La poésie me donne l’énergie de suspendre, en toute forme, sa solidification. M’extirpant de la réalité convenue, elle est prête à me projeter dans le réel. Le poème dissout les images où je me cogne tous les jours. Ou, plus exactement : il fait coïncider la forme avec le vide dont elle est issue.

C’est bien de la nuance que me délivre la poésie. Car la nuance, sous ses airs doucereux, est la perfidie même : tout en me prêtant bonne conscience, elle m’enchaîne à l’échelle d’un réel mesurable ; elle compte, arpente, quadrille, grillage... Elle manipule les synonymes. Elle se cache dans les interstices qui séparent les uns des autres les barreaux de ma cage à penser. Colle invisible, qui tient ensemble ces barreaux. Elle m’enjoint de penser qu’entre courant et rare il y a intermittent, lequel se pétrit d’un peu de courant et d’un peu de rare... Elle compose une symphonie savante, étale comme une toile d’araignée la puissance de son ordre borné.

Mais j’oublie le plus important : à l’actif de la nuance, il y a d’abord le grand échafaudage du Je, réversible en un Moi : construction compliquée, admirable, nuancée à l’extrême... Voici donc le donjon, dieu-soleil, centre du système que nous prenons pour le réel. Babel diabolique, qui sépare le dehors du dedans, le conscient de l’inconscient. Epineuse forteresse, enchevêtrée de sommeil, endormant par contagion les alentours et même au-delà.

Que peut la poésie ? Me réveiller de moi-même et de ce qui m’entoure.

Puissance radicale. Tellement que les superlatifs eux-mêmes y perdent leur latin :

La part du oui / qu’il y a dans le non / et la part du non / qu’il y a dans le oui / sortent parfois de leur lit / et s’unissent dans un autre lit / qui n’est ni oui ni non. / Dans ce lit court le fleuve / des plus vives eaux. (Roberto Juarroz)

A la nuance, la poésie préfère le renversement pur et simple. Cette indéfinie dialectique où les contraires se renversent l’un dans l’autre. Par laquelle l’envers (l’inverse) devient le revers. Oscillation sans fin. Le réel et l’irréel : une même et unique pièce de monnaie. De même que l’existence et l’inexistence, l’objet et le sujet, l’être et la pensée. Et surtout, catégories suprêmes d’où naissent toutes les autres : la chose et le rien. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? nous ressasse la tradition occidentale. La poésie me délivre de cette fausse question en répondant par la double négative : ni quelque chose, ni rien. Qu’y a-t-il d’autre, poursuit-elle, que le geste ou l’énergie d’être, qui est aussi passage (ou non-être) et vision (ou pensée) ? Comme si l’acte de voir coïncidait avec la chose vue et avec l’observateur.

Bien entendu, depuis Baudelaire et Mallarmé, beaucoup savent très bien tout cela. Et pourtant, j’ai la conviction profonde que presque personne ne sait cela vraiment.

Parce que la poésie ne peut rien si elle n’envahit pas tout l’espace vital de celui qui la lit ; si elle ne se dégage pas du livre pour s’inscrire dans la vie. Or, qui aujourd’hui, en occident (et en dehors, peut-être, des poètes eux-mêmes, de certains d’entre eux, du moins), pourrait prétendre pratiquer la poésie, en toutes circonstances, c’est-à-dire en dehors du cadre étroit de sa feuille de papier ou des murs de l’université ? Qui se soucie encore des ambitions (je ne parle pas des moyens) de Rimbaud ou des surréalistes, qui ne réduisaient pas le surréel à l’irréel ? Qui écoute véritablement, en profondeur, la parole des maîtres bouddhistes zen ou tibétains, des gourous hindous ou des sages taoïstes, ou encore celle des grands mystiques de l’occident (Maître Eckhart en tête) - tous ces êtres pour qui le langage était, est encore, à la fois poétique et pratique ? Et pourquoi tout l’effort d’une pensée tendue vers le silence, pleinement ouverte à l’ici-maintenant ou au naître-mourir (à ce que Juarroz appelle l’éternel « commencement » de l’existence), va-t-il se consumer dans les affaires ordinaires de la vie ?

Pour que puisse la poésie, il ne faut pas seulement que ma lecture épouse ce geste verbal qu’est le poème ; encore doit-elle se muer à son tour en un acte, une attitude poétiques, jusqu’à perpétuer en moi cette posture de jouvence. Jusqu’au moment où, par manque de vigilance, défaut d’attention au réel, je la laisserai s’échapper. Il me faudra me retremper dans le bain du poème - pour espérer n’en plus sortir.

Gigantesque pouvoir : longuement pratiquée, la poésie peut finalement me délivrer de l’émotion, arme par laquelle le mental, toujours mesurant et mensonger, s’interpose entre le monde et moi, étalant son jeu de nuances. Et m’ouvrir le sentier du sentiment - ou assentiment, qui est écoute plus que parole. D’un geste unique, la poésie peut me relier à l’univers et à moi-même, tout en me déliant de leur image conventionnelle et figée. Elaborer une religion sans dogme.

Jules Supervielle voyait la poésie comme une « religion de remplacement ». Entrons donc au « beau milieu » de son poème, comme il nous y invite ; nous y retrouverons le monde dans sa virginité - moins première qu’à la fois primordiale et ultime  :

Vous y trouverez un air, un ciel plus clément que l’autre, / Dans un grand imprévu d’arbres ignorés des saisons, / Une attentive floraison comme aux premiers jours du monde [...].

Le poème n’est-il pas ce labyrinthe initiatique dont il s’agit d’atteindre le centre vide où, me perdant, j’atteins la plénitude ?

[...] au centre de la fête il y a le vide, /

Le poème où je suis entrée : une vaste oreille ouverte sur le monde, un coquillage qui parle peu mais contient l’ampleur de la rumeur marine. Un oeil géant. Je me glisse dans la peau du poème : j’accueille, en grandissant. Je ne m’empare pas du monde : il m’accueille tout autant que je le laisse venir à moi. Jusqu'à me défaire de l’enveloppe du Je qui, d’ordinaire, me tient si chaud. Accueille, devrais-je plutôt dire. Accueille sans je devient l’ordre d’accueillir que je m’adresse à moi-même - tu et je confondus. Le poème m’a ouvert l’espace du nous (ou du on). Il rassemble les choses et les êtres dans une vision renversante, indicible, où tous les points de vue peuvent venir se faufiler en douce sans rien déranger.

Nous voici aux confins de la poésie et de la mystique - cette pure expérience dont l’oraison est le silence. A vrai dire, sans la promesse de cette proximité, la poésie me paraîtrait bien incertaine et défaillante, elle dont la puissance ne s’exerce que par la grâce du négatif.

Mais une autre interrogation surgit de la précédente ; elle me taraude depuis longtemps : que peut la poésie pour la plupart des gens - ceux pour qui elle ne présente, au mieux, qu’un intérêt énigmatique, lointain ? Que peut la poésie sur les écrans de télévision ? Dans la rue ? Au coeur des écoles, pour les élèves, les enseignants ? Je constate tous les jours (je parle d’expérience) que les enfants encore un peu infans - disons jusqu'à douze ans - sont les plus réceptifs au pouvoir de la poésie. Mais ce pouvoir se brise chez les adolescents : leur langage s’est trouvé une consistance nouvelle, plus rigide ; il s’est mis au service de la réalité convenue et de son cortège de catégories. Devenus adultes, ils oublieront encore davantage, pour la plupart d’entre eux, qu’il existe une puissance poétique.  

Les critiques n’auraient-ils aucune part de responsabilité dans ce non-pouvoir - très étendu - de la poésie ? Rares m’apparaissent ceux qui, armés du seul souci de transmettre leur expérience du pouvoir poétique, cherchent à faire pencher la poésie du côté de ceux qui la méconnaissent. Je suspecte souvent la démarche critique de dissimuler son ressort : un certain narcissisme, où continue, malgré les apparences, à s’exhiber le Je - qu’il soit individuel ou social. A moins qu’il ne s’agisse d’un Nous social, dont le dénominateur commun serait l’appartenance à quelque confrérie secrète.  Plaisir des mots s’entrechoquant dans l’ombre, des énigmes non partagées...

Bien entendu, le critique n’est pas seul responsable de ce défaut d’audience, loin s’en faut. Une forme d’hermétisme, inhérent à l’exercice du pouvoir poétique, filtre les lecteurs comme n’importe quel candidat à une initiation spirituelle : ou bien on entre en poésie, ou bien on reste en dehors. Impossible, en effet, de capturer des morceaux de poésie. Celle-ci est indivisible dans la mesure où son langage n’est rien s’il n’est jaillissant : qu’on en extraie une bribe, et le jaillissement, l’acte libérateur, s’épuisera aussitôt dans cette bribe. C’est un langage-force, un langage-vie, un mouvement verbal tendu vers la transformation de l’être.

Du moins pourrait-on, cependant, tendre le doigt vers l’efficacité (ou l’utilité) de ce jaillissement ; au lieu d’inlassablement explorer pour elle-même la dislocation du poème - qui est seulement la condition, négative et nécessaire, de cette efficacité. Les idéologies se sont effondrées. Etait-ce une raison pour retirer à la poésie toute grande ambition pratique et pour la retrancher hors de la vie ? Il est grand temps de la désenclaver, afin de remettre en lumière sa vigueur hérétique et vitale.

Que peut la poésie ? Question-millefeuilles, d’où se détache encore cette autre : toute poésie peut-elle quelque chose ?

Il est en tout cas, pour moi, une poésie qui peut tout : celle qui transcende toute espèce de genre, voire échappe aux contours de la chose écrite ; celle que j’ai identifiée à l’attitude poétique. Un acte de pensée qui, s’il use des mots, considère ceux-ci comme de purs instruments au service du symbole tel que le concevait Maurice Blanchot, dans un texte bien connu :

Le symbole a de tout autres prétentions [que l’allégorie]. D’emblée, il espère sauter hors de la sphère du langage, du langage sous toutes ses formes. Ce qu’il vise n’est d’aucune manière exprimable, ce qu’il donne à voir ou à entendre n’est susceptible d’aucune entente directe ni même d’aucune entente d’aucune sorte. [...] tout symbole est une expérience, un changement radical qu’il faut vivre, un saut qu’il faut accomplir. Il n’y a donc pas de symbole mais une expérience symbolique.

Cette expérience transcende naturellement la poésie comprise comme un domaine distinct des autres disciplines. Les plus grands textes mythiques, religieux, philosophiques, mystiques et scientifiques (je pense à Niels Bohr) sont avant tout poétiques. Leur pouvoir de transmission doit son énergie au langage poétique - symbolique - qu’ils ont adopter pour exprimer une conception inconcevable du réel.

Il importe de traverser la barrière des genres (pas seulement littéraires), pour reconnaître en la poésie la vertu unifiante qu’elle a pu manifester en des temps anciens ou dans d’autres civilisations que la nôtre ; ce langage transdisciplinaire dont rêvait Juarroz.

Une telle poésie requiert, me semble-t-il, une forme de transitivité. Une idée me gêne profondément, que le XXème siècle a mise à la mode : la poésie serait intransitive, ne parlerait que d’elle-même, ne dirait que ce qu’elle dit... Alors qu’il ne viendrait pas à l’idée de penser pour penser, poétise-t-on pour poétiser ? Le poète et le lecteur critique ne chercheraient-ils qu’à jouir de leur propre dire ? D’ailleurs, des poètes de cette sorte existent-ils vraiment ? Il est permis d’en douter.

Non que la poésie dise quelque chose : le message, bien entendu, n’est pas son affaire. Toute notre modernité l’a suffisamment expliqué. Le poème n’est pas non plus ce texte toujours ouvert où des interprétations successives devraient venir s’engouffrer, pour le réduire à leur mesure. Ce que peut la poésie, c’est dé-dire ce qui est dit avec toujours plus d’assurance, dé-réaliser la réalité convenue, dé-réifier les choses et le moi, dé-faire.

Ce faisant, elle ne se constitue pas, néanmoins, dans une toute-puissance autonome ; son pouvoir me paraît inséparable de ce qu’elle sert : l’ouverture à la réalité d’une expérience transformatrice :

Envier l’éclair, envier la graine. [...]

Ne pas laisser un souvenir, mais une source. [...] 

On ne traverse pas la montagne, on se traverse. (Pierre Dhainaut)   

Que peut donc pour moi la poésie ? Au sens premier du terme, me métamorphoser : me permettre de traverser la forme pour la transcender. Je ne peux ni m’exprimer, ni exprimer mon rapport au monde, par la poésie ; c’est elle qui m’exprime hors de tous les moules qui m’ont formée et me tiennent encore recluse. Hors de mes propres contours. De son côté, la poésie ne me fournit pas d’expression du réel : elle me rend à lui.

[1] Treizième poésie verticale, Corti, 1993, p. 125.

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