DEUXIEME TRIMESTRE 2003 :
LES TEXTES ZEN
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La véritable pratique zen
de Maurine Stuart
Il n'est rien qui ne soit pas sacré, rien qui ne soit pas pratique spirituelle. Hakuin est ce grand maître zen du XVIIIe siècle qui a redonné, au Japon, toute sa vitalité au Zen. Il mettait en garde contre l'idée selon laquelle le Zen exige le rejet forcené de toutes les préoccupations du monde.
La véritable pratique zen se fait au centre même de notre activité. Quand nous cuisinons, nous sommes en profond samadhi cuisinant. Quand nous nettoyons, nous sommes en profond samadhi nettoyant... Cette condition de samadhi n'est pas une absence, un état de stupeur, un état situé en dehors de l'esprit. C'est un état de conscience profonde. L'esprit est en alerte, l'état de présence est éclatant, et c'est bien sûr un moment de bonheur.
Il peut arriver que notre conscience soit si aiguë que l'on entende le bruit que fait la cendre de l'encens quand elle tombe. Chaque activité dans laquelle nous nous engageons, si l'on y porte toute notre attention, sans sentiment de ressentiment ni de comparaison, est une occasion d'expérimenter quelque chose, d'ouvrir nos yeux un peu plus grand.
Quand nous abandonnons l'emprise égocentrique sur les choses, nous nous apercevons qu'il y a là quelque chose de magnifique, quelque chose qui a toujours été là, qui ne nous a jamais manqué.
MAURINE STUART
Les vies humaines...
de Yuan Wu (1063-1135)
Les vies humaines dépendent des circonstances.
Il n'est pas nécessaire de rejeter l'activité et de rechercher le calme.
Videz-vous à l'intérieur, et à l'extérieur soyez harmonieux.
Alors, en paix, vous avancerez au milieu de l'activité frénétique du monde.
Sérénité et Sagesse
de Houei Neng (638-713)
Sérénité et sagesse ne sont à la base qu'une seule chose et non deux choses. La sérénité est la base de la sagesse. La sagesse est la fonction de la sérénité.
Quand la vertu se tient dans la bouche et non dans l'esprit, la sérénité et la sagesse sont inutiles et ne peuvent d'aucune façon être identiques l'une à l'autre.
Quand vous êtes engagé dans la réalisation du Soi, ne vous laissez plus entraîner dans des discussions. Si vous débattez sur ce qui précède ou ce qui va suivre, vous vous conduisez comme une personne aveuglée par l'illusion, vous n'êtes pas libéré du gain et de la perte, vous aggravez votre égotisme...
A quoi pourrions-nous comparer la sérénité et la sagesse ?
À la lumière d'une flamme. Avec une flamme vous avez la lumière et sans flamme, il fera nuit. Car la flamme est la base de la lumière et la lumière l'usage de la flamme. La doctrine de la sérénité et de la sagesse est tout à fait semblable.
L'anxiété
de Charlotte Joko Beck
L'anxiété est toujours un intervalle entre ce que les choses sont et ce que l'on voudrait qu'elles soient. L'anxiété est un espace qui s'étend entre le réel et l’irréel.
Notre désir d'être humain nous pousse à éviter ce qui est réel pour y mettre, à la place, nos idées sur le monde. « Je suis terrible », « Tu es terrible », « Vous êtes extraordinaire ».
L'idée est séparée de la réalité et l'anxiété se loge dans l’intervalle entre l’idée et la réalité des choses telles qu'elles sont. Quand nous cessons de croire en l'objet que nous avons créé, qui est, si l'on peut dire, en dehors de la réalité, les choses se replacent au centre. C'est ce que signifie : être centré. L'anxiété alors disparaît.
La voie parfaite
de SOSAN (526-606)
La voie parfaite n'est pas difficile. Il suffit que votre conscience ne soit pas discriminante. Quand vous êtes au-delà de l'amour et de la haine, tout est clair comme en plein jour.
Ne poursuivez pas de conditions extérieures, et ne vous maintenez pas non plus dans le vide. Reposez-vous dans l'unité de toutes choses et toutes les barrières disparaîtront. Dès que votre mental fonctionne en bien ou en mal, vous êtes dans la confusion et perdez votre esprit véritable. Deux vient de Un, mais on ne doit pas non plus s'attacher à Un.
En contemplant de manière égale tous les phénomènes vous pourrez retourner à l'état de nature. En éliminant toutes les conditions, vous serez au-delà de toutes les discriminations.
Un est multitude et la multitude est Un. Si vous êtes capable d'atteindre ce savoir, vous serez libéré de toutes préoccupations.
L'esprit sincère c'est l'absolu. L'absolu, c'est l'esprit sincère. En coupant la route au langage, vous serez au-delà du passé, du présent et du futur.
La pratique
de Robert Aitken
Tous les phénomènes se reflètent les uns dans les autres, s’interpénètrent et contiennent tous les autres phénomènes. Dans la vision classique du bouddhisme, on l'appelle mutuelle inter-dépendance, c'est la nature organique de l’univers. En surface ses manifestations sont les coïncidences ou les affinités.
L'autre n'est rien d'autre que moi-même. C'est le fondement des Préceptes, et ce qui inspire une conduite humaine authentique.
Reconnaître
sa propre part d'ombre avec un sourire, et reconnaître la part lumineuse de
l’autre avec un sourire, c'est la pratique. Garder sa propre part lumineuse
toujours en vue, et déceler rapidement la part d'ombre de l’autre, ce n'est
pas la pratique.
Le cerveau occidental
de Nancy Wilson Ross
L'importance que l'on
donne au cerveau au détriment des autres parties de l’ensemble de la conscience étonne et amuse
les penseurs d'Asie.
Un jour, un moine zen,
assis face â un étudiant américain, installa devant lui deux petites poupées japonaises qui sont
représentées sans jambes. L'une était lestée dans la partie basse, l'autre dans la partie haute.
Le moine renversa la poupée lestée en haut, elle chuta et resta par terre. Il renversa la poupée
lestée en bas qui aussitôt se releva.
Le moine éclata de rire devant cette illustration de l’attitude de l’homme occidental qui insiste continuellement sur la fonction pensante au détriment de sa totalité.
Confusion de l'esprit
de D.T. Suzuki (1870 - 1966)
L'esprit des êtres vivants est dans une telle confusion, qu'il a conçu dans l'Inconscient, l’idée illusoire d'une réalité individuelle, et en créant toutes sortes d'actions, s'attache de manière erronée à l'idée qu'il y a en réalité un esprit conscient...
C'est comme un homme, qui apercevant dans le noir une table ou un morceau de corde, croit y voir un esprit fantomatique ou un serpent et est envahi de peur par sa propre imagination.
De la même façon tous les êtres s'attachent de manière illusoire à leurs propres créations. Et ils imaginent à tort que là où est l'Inconscient est aussi la réalité de leur esprit conscient.
Pour créer...
de Philip Kapleau
Pour créer, le peintre a besoin de peinture, de pinceaux, de toiles. Le sculpteur a besoin de bois, de pierre, de métal et d’outils. Le poète a besoin de mots, d'un crayon et de papier ou d'un ordinateur. Le compositeur a besoin de sons, de notes et de papier. Mais pour celui qui est éveillé à la nature de l'Esprit, l'univers entier est une toile, et les mains, les pieds, les émotions et l'intellect, les matériaux.
Quand nous sommes libérés des notions esclavagistes comme : « Ceci est ma tête, ceci est mon corps, ceci est mon esprit », chaque moment est une joie dévoilée, mûre et créative.
Au cœur de chacun de nous il y a créativité et art de vivre. Si la mission de l'artiste est de « rendre l'invisible visible », comme le disait Léonard de Vinci, le but du Zen est d'apporter dans l'état de conscience à la fois le substrat de l'inconscient et du conscient.
Le maître Ryôkan
de Paul Reps
Le maître Ryôkan vivait la plus simple des existences, dans un petit ermitage au flanc
d'une montagne. Un soir, survint un voleur qui se rendit vite compte qu'il n'y avait rien à voler.
Ryôkan se retourna et attrapa le voleur :
« Vous avez dû faire
un long chemin pour me rendre visite lui dit-il, il ne faut pas que vous repartiez les mains vides.
Prenez mon vêtement, c'est un présent. »
Le voleur, stupéfait,
prit le vêtement et s'enfuit.
Ryôkan assis, vêtu
de ses seuls sous-vêtements, regarda la lune.
« Pauvre homme, murmura-t-il. J'aurais tant voulu lui donner cette splendide lune. »
Le célèbre Poème de Ryôkan (1758-1831) est le suivant :
« Le voleur parti
N’a oublié qu’une chose
La lune à la fenêtre. »
Qu'est-ce que mon propre esprit ?
de Bassui Tokusho (1327 - 1386)
N’essayez pas d'empêcher les pensées de surgir, et ne vous attachez pas à celles qui ont surgi. Laissez-les apparaître et disparaître comme elles veulent, ne les combattez pas.
Il suffit que vous vous demandiez de tout cœur et sans relâche : « Qu'est-ce que mon propre Esprit ? »
J'insiste là-dessus parce que je veux vous mener à la réalisation du Soi. Si vous persistez à essayer de comprendre avec l’intellect ce qui est au-delà du domaine de l’intellect, vous êtes condamné à atteindre une impasse totalement décevante. Mais allez plus loin. Assis, debout, au travail ou en dormant, sondez sans répit les profondeurs de votre « moi » avec la question
« Qu'est-ce que mon propre Esprit ? » Ne craignez rien d'autre que de rater l’expérience de votre vraie nature. C'est ça la pratique zen.
Quand l'intensive interrogation enveloppera chaque millimètre de votre être et pénétrera au fin fond du fond, la question explosera soudain et la substance de l’esprit de Bouddha vous sera révélée exactement comme un miroir au fond d'une boîte offre son reflet une fois que la boîte est ouverte. La luminosité de cet esprit éclairera chaque coin d'un univers libre de toute imperfection... Aucun mot ne peut exprimer la joie de ce moment.
Si elle clapote...
de Shundo Ayoama
Répondant à l’invitation à une cérémonie du Thé, j'entrai dans une pièce située à proximité d'un temple. Je remarquai un rouleau accroché dans l’alcôve. La peinture représentait une gourde et la calligraphie due au maître zen Rosen Takashina indiquait : « Si elle clapote, c'est qu'il n'y en a pas assez. » Quel est le sens de ce message de sagesse ?
Une gourde remplie à ras bords de vin ne fait pas de bruit quand on la secoue. S'il ne reste qu'un peu de vin dans la gourde, elle clapote.
Les gens sont comme des gourdes. Les êtres humains vraiment conscients restent imperturbables et calmes quoi qu'il arrive. Ceux qui courent à droite et à gauche, toujours très occupés, se plaignant et s'excusant, ceux-là trahissent leur manque de sagesse.
Un jour où je descendais une rivière dans un petit bateau, je me fis une réflexion similaire. En amont, là où l'eau était peu profonde, la surface clapotait et s'écoulait bruyamment. En aval où la rivière était plus grosse et l'eau profonde, la surface était douce, calme et l'eau s'écoulait silencieusement.
À chaque fois que j'ai tendance à m'agiter, les mots de ce rouleau me reviennent à l’esprit.
Si vous voulez être libre...
de Lin Chi
Si vous voulez être libre, efforcez-vous de connaître votre moi réel.
Il n'a pas de forme, pas d'apparence, pas de racine, pas de base, pas de demeure mais il est vivant et flottant. Il est versatile et répond avec facilité mais on ne peut localiser sa fonction.
Donc quand vous le cherchez, vous vous en éloignez, et quand vous le poursuivez, vous allez encore plus à son encontre.
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