QUATRIEME TRIMESTRE 2004 :
Le Centre
Le centre est l'un des quatre symboles fondamentaux avec le cercle, la croix et le carré.
Le centre est partout
de Frédéric Nietzsche
C'est entre les choses les plus semblables que
mentent les plus beaux mirages ; car les abîmes les plus étroits sont plus les
difficiles à
franchir.
Pour moi - comment y aurait-il quelque chose en dehors de moi ? Il n'y
pas de non-moi! Mais tous les sons nous font oublier cela ; comme il
est doux que nous puissions l'oublier!
Les noms et les sons n'ont-ils pas été donnés aux choses, pour que
l'homme s'en réconforte ? N'est-ce pas une douce folie que le langage :
en parlant l'homme danse sur toutes les choses.
Comme toute parole est douce, comme tous les mensonges des sons
paraissent doux ! Les sons font danser notre amour sur des arcs-en-ciel
diaprés." -
- "O Zarathoustra , dirent alors les animaux, pour ceux qui pensent
comme nous, ce sont les choses elles-mêmes qui dansent : tout vient et
se tend la main, et rit, et s'enfuit - et revient.
Tout va, tout revient, la roue de l'existence tourne éternellement.
Tout meurt, tout refleurit, le cycle de l'existence se poursuit
éternellement.
Tout se brise, tout s'assemble à nouveau; éternellement se bâtit le
même édifice de l'existence. Tout se sépare, tout se salue de nouveau;
l'anneau de l'existence se reste éternellement fidèle à lui-même.
A chaque moment commence l'existence; autour de chaque _ ici _ se déploie la
sphère _ là-bas _. Le centre est partout. Le sentier de l'éternité
est tortueux." -
Extrait de "Ainsi parlait Zarathoustra" de Frédéric Nietzsche.(ebook mars 2004)
L'Art
de Victor Hugo
L'art est grand. Quel que soit le sujet qu'il
traite, qu'il s'adresse
au passé ou au contemporain, lors même qu'il mêle le rire et l'ironie
au groupe sévère des vices, des vertus, des crimes et des passions,
l'art doit être grave, candide, moral et religieux. Au théâtre
surtout, il n'y a que deux choses auxquelles l'art puisse dignement
aboutir. Dieu et le peuple. Dieu d'où tout vient, le peuple où tout
va; Dieu qui est le principe, le peuple qui est la fin. Dieu manifesté
au peuple, la providence expliquée à l'homme, voilà le fond un et
simple de toute tragédie, depuis _Oedipe roi_ jusqu'à _Macbeth_. La
providence est le centre des drames comme des choses. Dieu est le
grand milieu. _Deus centrum et locus rerum_, dit Filesac.
Au centre...suspendu
de Manuel Van Thienen
Extrait du recueil Au centre,
suspendu, de Manuel Van Thienen, Ed. L'Ancrier Editeur
Manuel VAN THIENEN est né le 2
Août 1953, à Grenoble. Sculpteur et poète à découvrir sur son site :
http://manuel.vanthienen.free.fr
Mandala
Brigitte Spillmann-Jenny
Extrait de Mandala
Voyage vers le centre, de Bailey Cunningham, préfacé par le docteur Brigitte
Spillmann-Jenny du C.G. Jung-institut,
Ed. Le Club
Au dessus de l'arbre
de Gabriel Caressa
Extrait de L'aventure spirituelle, de Gabriel Caressa, chez Les éditions littéraires
Poésie verticale II
de Roberto Juarroz
Le centre n'est pas un point.
Sinon il serait facile de l'atteindre.
Il n'est pas
Le centre est une absence
de point, d'infini et même d'absence
et ne s'atteint que par l'absence.
Regarde-moi après t'en être allé,
bien que je reste là quand je m'en vais.
Le centre m'a appris maintenant à ne pas être en un lieu,
mais plus tard le centre sera ici.
Extrait de Poésie verticale II, de Roberto Juarroz, Ed. Le Cormier, 1965
Un diamant pur
de Thomas Merton
Après plusieurs années je me retrouvai un jour dans mon village natal... C'était comme si soudain je voyais la beauté secrète de tous ces murs, la profondeur de ces coeurs où ni le péché ni le désir ni l'autoconscience ne peuvent atteindre, le noyau de leur réalité, la personne que chacun est aux yeux de Dieu.
Si seulement ils pouvaient tous se voir eux-mêmes comme ils sont réellement. Si seulement nous pouvions nous voir les uns les autres constamment de cette façon. Il n'y aurait plus de guerre, ni de haine, ni de cruauté, ni de cupidité... Mais cela ne peut être vu, seulement cru et « saisi » par un don particulier. Encore cette expression qui me revient : le point vierge. Au centre de notre être il y a un point de néant qui n'est pas touché par le péché ni par l'illusion, un point de vérité pure, un point ou une étincelle qui appartient totalement à Dieu, qui n'est jamais à notre disposition, d'où Dieu dispose de nos vies, qui est inaccessible aux fantaisies de notre propre mental ou aux brutalités de notre volonté. Ce petit point de néant et de pauvreté absolue est la plus grande gloire de Dieu en nous. C'est en somme son nom écrit en nous, en tant que notre filiation. C'est comme un diamant pur, brillant de la lumière invisible. II est en chacun. (...) La porte du ciel est partout.
Extrait de Un torrent de silence,
de Thomas Merton, issu du livre de Eric Eddelmann : Eclairs d'éternité
chez Pocket.
La notion de centre
de Didier Colin
[…] Car la notion de cercle implique toujours celle de centre ou point central qui est, lui aussi, circulaire.
Là encore, pour tenter de comprendre la portée symbolique du centre, essayons de raisonner comme nos ancêtres, tout en considérant un aspect de la physique incontournable, selon lequel l'axe et la roue vont de pair. En effet, comment purent-ils prendre conscience du mouvement circulaire, sinon en se fondant sur un point fixe autour duquel ils voyaient certains éléments extérieurs tourner ou autour duquel ils pouvaient tourner eux-mêmes ? C'est ainsi qu'ils comprirent sans doute peu à peu que le centre était le point de convergence vers lequel se dirigeaient ou autour duquel se rassemblaient tous les éléments. Le chef du clan ou de la tribu eut donc tôt fait de se placer au centre.
Par extension, le monde ne pouvait être placé qu'au centre de l'univers, puisque le Ciel était un cercle. Au fil des millénaires, poursuivant ses spéculations, l'homme vit sa place au centre de l'univers, point de convergence primordial et ultime de tous les éléments et de tous les phénomènes de la nature.
Plus encore que le cercle, le centre devint un symbole de perfection, d'absolu et d'unité, mais cette fois-ci d'unité retrouvée. « Ne t'étonne pas si nous disons que cela est en toi ; comprends que tu es un autre monde en petit, et qu'en toi il y a le Soleil, il y a la Lune et il y a les étoiles. Vois que tu as tout ce qu'a le monde », proclame Origène, le Père de l'Église grecque, au IIème siècle, dans ses Homélies (Levit, Hom., V, 2).
On peut penser que c'est en suivant ce cheminement intellectuel que l'homme fit une découverte qui allait révolutionner sa vie sociale et ses mœurs : la roue ! Mais s'agissait-il vraiment d'une découverte ? Non, c'était simplement une habile mise en application pratique et utilitaire du symbole vivant du cercle : le centre était devenu axe ; dès lors, le cercle pouvait tourner : Ce n'était donc plus autour du centre que tout tournait, mais c'était l'axe du monde qui faisait tourner le Soleil, la Lune, les astres et les étoiles autour de la Terre. La roue céleste n'était donc pas une roue folle tournant dans le vide et n'importe comment, mais un axe : le monde.
Mais d'où venait la roue et qui la faisait
tourner sur son axe ?
De la même façon qu'il fallait l'intelligence et la main de l'homme pour
fabriquer la roue, n'était-il pas nécessaire qu'il y ait une poussée, un
mouvement, une traction pour la faire tourner ? La roue céleste devait, elle
aussi, être actionnée, mais ne pouvait l'être que par une intelligence
suprême et une main divine.
Pour les bouddhistes, par exemple, le Bouddha est surnommé « Chakvati ou
celui qui fait tourner la roue ». La roue du Soleil est donc conduite par la
main d'un dieu tout-puissant. Sur le parcours qu'elle effectue autour du
cercle du ciel, le jour et la nuit se succèdent. Sur celui qu’elle poursuit
autour du carré de la Terre, la vie et la mort alternent. Tel est le grand
principe de la Roue magique ou encore de la Roue divinatoire égyptienne ou
de la Roue des renaissances ou Roue de la Loi (dharmachakra) des
bouddhistes.
Vivre, mourir, renaître, sinon ici-bas du
moins dans un autre monde, tel est le grand principe de cette Roue de
Fortune, de cette roue du destin ou de la chance dont les rayons sont
semblables à ceux du Soleil.
Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes de Didier Colin, chez Hachette.
Trente rayons
de Lao-Tseu
Trente rayons convergent au moyeu
mais c'est le vide médian
qui fait
marcher le char.
On façonne l'argile pour en faire des vases,
mais c'est du vide interne
que
dépend leur usage.
Une maison est percée de portes et de fenêtres,
c'est encore le vide
qui permet
l'habitat.
L'Être donne des possibilités,
c'est par le Non-Être qu'on les utilise.
Extrait du
Tao-tö king de Lao-Tseu,
chez folio
Spirale
de Eugène Guillevic
Je sais qu'amenuisant
Durant mon aventure
L'espace que j'enclave,
Je sais que tournoyant
Autour de quelque chose
Qui est moi-même et ne l'est pas,
Je finirai par être
Ce point auquel je tends :
Vrai moi-même, le centre,
Et qui n'est pas.
Extrait de Du Domaine Euclidiennes, de Guillevic, Ed. Poèsie Gallimard
Le dehors et le dedans
de Jean Biès
Comme Arjuna le dit au dieu Krishna, le sage pourrait dire : « Ta gloire remplit l’espace !.. » Dont rapprocher l’invocation byzantine à l’Esprit Saint : « Toi qui es partout présent et qui remplit tout… » ; ou encore le verset coranique : « de quelque côté que vous vous tourniez, là est la face de Dieu ».
Cette omniprésence divine nous fait un devoir d’aimer, d’honorer tout point d’un espace qui, dès lors, cesse de nous emprisonner dans ses limites apparentes pour nous ouvrir à son infini. Honorer l’espace, ce pourrait être d’abord disposer à tel endroit de la maison un bouquet, une simple fleur concrétisant, cristallisant l’essence de cet endroit ; ou encore, y faire brûler du santal ou de l’encens ; ou n’y rien mettre qu’une pensée en forme de bénédiction.
Pour nous, nomadisant sans cesse dans l’instabilité et la distraction, qui ne sommes jamais totalement là où nous sommes, que faire pour vivre l’endroit plutôt que le subir ? Avant de se sentir bien partout, encore faut-il s’entraîner à se sentir bien en soi et avec soi. Tout lieu ne devient supportable, ne se trouve vraiment agréable, agréé, que lorsqu’on s’est fixé dans son propre lieu : au cœur du Cœur.
Parce que le Divin n’est pas seulement partout autour de nous, mais parce qu’il réside aussi, et surtout, et d’abord au Centre, on voit combien aisée apparaît en réalité la corrélation entre le dehors et le dedans.
Extraits du numéro 70 de la revue Terre du Ciel, texte de Jean Biès, écrivain, auteur notamment de Paroles d’urgence, éd. Terre du Ciel.
L'initié
de Gérard de Sorval
Si l'initié est citoyen de l'univers entier, c'est paradoxalement, qu'il s'est pleinement identifié à son lieu propre, et qu'il y a réalisé son habitation. Habiter un espace est signe de sa possession. Résider au centre de soi-même, à l'endroit unique déterminé par la Providence, c'est l'investir d'une présence spirituelle. Le centre de soi-même coïncide alors avec le centre de la présence ordonnatrice de l'univers. Et, pour celui qui a réalisé cette habitation dans sa racine et qui s'est replacé entre ciel et terre, le monde demeure en lui. La parole, la locution n'est possible qu'à partir d'un "locus" qui en est le support : centre d'émission et de résonance. Dans toutes les voies initiatiques, il s'agit de retrouver un lieu, le Pardes, qui correspond dans l'âme au lieu intérieur de l'Eden, à partir duquel est réalisé un état, celui de l'Adam primordial.
L'on notera au demeurant que les initiales grecques de ce nom sont celles des quatre points cardinaux, comme les lettres hébraïques du mot Pardes désignent les quatre sens de l'Écriture. Et cet état central, enraciné au-delà de l'"espace temporel", permet de retrouver et prononcer la Parole perdue, c'est-à-dire d'identifier réellement son verbe intérieur avec le Nom divin central qui régit l'Homme et l'Univers [...]
extrait de La Marelle ou les sept marches du paradis, de Gérard de Sorval, Ed. Dervy
Le sabre et le pinceau
de Olivier Meyer
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L'acte artistique, pictural ou martial, appartient à une sphère d'exposant élevé, ou doit tendre vers cela.Lorsque, au début du XIVème siècle, l'Occident est passé d'une vision du monde dictée par le supraterrestre, à une vision du monde issue de son intériorité, l'homme est devenu un « point d'où l'on voit ». Sa relation au monde a changé. François d'Assise et Giotto marquent ce passage d'une conception platonicienne du monde à une conception aristotélicienne. Depuis, il appartient à chacun d'établir un contact vrai, une relation d'échange et d'amour avec le monde et ses phénomènes. C'est une tâche solitaire et difficile, puisque nous sommes devenus un centre de vision, et qu'il nous appartient de concrétiser la relation au monde par nos propres moyens. Pour cela, il faut un point d'appui, un centre. Postulons que ce centre existe. Il faut l'habiter. Sinon, nous ne pourrons déployer nos sens, rayonner vers l'extérieur, c'est-à-dire regarder et toucher le monde. L'art et le Shintaïdô sont des pratiques physiques d'introspection qui permettent de rechercher et d'habiter notre centre, c'est-à-dire de nous incarner. Ce sont des approches scientifiques pra- tiques (du grec praktikê, signifiant science pratique par opposition à la science spéculative) qui nous mettent en relation avec le monde, à la différence de l'approche rationaliste pure qui nous en coupe. Pour mener à bien ces actes de recherche et de foi que sont le dessin, la peinture, le kata, il est nécessaire de trouver son centre. Cette nécessité d'un point d'appui, je l'éprouve devant un paysage ou un visage. Je ne pourrai cerner le sujet en copiant ses parties une à une. Ça ne marche pas. Je dois trouver le dénominateur commun à ces parties. Un centre virtuel situé « partout et nulle part » les anime. Trouver ce centre, c'est trouver leur sens. Comment mon regard parcourt-il mon sujet ? Comment l'air (ou le vide) circule-t-il ? Comment le sujet capte-t-il mon regard ? La façon dont je me positionne par rapport à lui permet d'éclairer ma compréhension : c'est le cadrage. Ce que j'élimine de ses apparences et ce que je mets en valeur, c'est la composition. Dans les deux cas, j'apporte quelque chose de moi-même. Ma présence complexifie les choses, comme la présence du chercheur devant le phénomène observé. Pour surmonter cette complexité, je dois moi-même être simple. Je dois donc faire un travail de nettoyage intérieur. Ce nettoyage me permettra d'habiter mon centre, m'offrira un point d'appui. Je dois voir plus clair en moi, pour mieux voir, et pour dévoiler la réalité. Donnez-moi un point d'appui, et je soulèverai le voile du monde, pourrait-on dire en paraphrasant Cendrars et Archimède. Mais ce voile du monde n'est-il pas, en réalité, le voile de ma propre vision ? Comment voit-on ? La vision est active. En effet, nous ne voyons nettement qu'une infime portion de notre champ visuel. L'oeil, en perpétuel déplacement, recueille un grand nombre d'informations, qui sont emmagasinées, triées et ordonnées par le cerveau, pour former une image. Cette image est donc une composition, elle résulte d'une action, d'un travail. C'est pourquoi deux personnes décrivent souvent un même événement très différemment. Chacun s'y est projeté, et voit la réalité à travers son propre écran – un écran mental. |
Extrait L'Esprit du geste, Question de -chez Albin Michel |
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