TROISIEME TRIMESTRE 2004 :

LE JARDIN 

semaine 27

 

semaine 28 semaine 29  

semaine 30

semaine 38

semaine 39

 

semaine 31

semaine 37

semaine 32

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semaine 35

 

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Les Maîtres spirituels

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semaine 27

Le jardinier...

de Beverly Nichols

Le jardinier apporte la toile, monte le chevalet et esquisse le paysage. Mais, au fur et à mesure que le temps passe, il lui faut constamment s'écarter de son ébauche et remettre son pinceau dans les mains de la Nature.

Voir tout ce que l'on chérit vigoureusement modifié par la main sans pitié de la nature peut-être une agonie mais également une source d'extase.

Extraits de "L'Art du jardin Zen" de Monica Ray.

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  semaine 28

La fontaine de Diane

de Sabine Dewulf

Case n° 7 : La fontaine de Diane

- La citation : «Tout un jardin de reflets se renverse au-dessous de moi et tourne, décomposé dans l’eau d’aigue-marine, au bleu obscur, au violet de pêche meurtrie, au marron de sang sec... [...] Tout ceci est encore mon royaume, un petit morceau des biens magnifiques que Dieu dispense aux passants, aux nomades, aux solitaires. La terre appartient à celui qui s’arrête un instant, contemple et s’en va. » (La Vagabonde de Colette)

- Le symbole : Au jardin de la fontaine, Renée la vagabonde fait une pause au bord de l’eau, attirée par le jardin qui s’y reflète, plus beau encore que le vrai. Elle médite sur le tourbillon et la décomposition des formes : les bains de Diane la chasseresse symbolisent les reflets d’un monde fragile, éphémère, où l’on ne peut rien posséder, hormis l’instant fugace. Cette image de la fontaine correspond, dans le jeu de l’oie traditionnel, à celle de l’hôtellerie : le joueur y fait une pause, conscient qu’il doit renoncer à construire sur cette terre un logis éternel.

- Pour une application pratique : Rien ne dure en ce monde, pas même la « maison » de notre ego : notre corps physique. Tout naît et meurt ; c’est la loi fondamentale. Le problème est qu’entre cette naissance et cette mort, nous inventons une durée, follement désireux que nous sommes d’empêcher ce passage incessant des choses et des êtres. Comme la déesse Diane , nous désirons chasser, nous emparer des biens de ce monde. Or, comme elle, nous sommes condamnés au vagabondage car tout naît et meurt à chaque instant. Tout nous échappe ! Pour bien prendre conscience de cela, prenons le temps d’observer le monde autour de nous – choses et êtres vivants : où trouver la moindre stabilité ? Nulle part : même dans l’objet en apparence le plus lisse et immobile (un rocher, une table, un mur...), l’énergie bouillonne en permanence. Dans le monde subatomique, les physiciens ne sont pas en mesure de détecter la plus petite particule de matière ! La matière semble complètement insaisissable. Si l’univers entier est semblable à un jardin de reflets où les formes se font et se défont, pourquoi s’accrocher à l’une d’entre elles ? Pourquoi ne pas accepter joyeusement, au cœur de l’instant présent, cette danse perpétuelle des formes, de la vie qui va et vient, du passé qui s’évapore pour faire jaillir les promesses du futur ?

   Extraits de Les jardins de Colette de Sabine Dewulf, aux éditions Le Souffle d'Or, 2004

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semaine 29

"Le jardin de mon père"

de Michel Besnier

   

Je n'y vais pas par quatre chemins, dans mon jardin. J'y vais par celui de la fidélité au Père, chemin pavé de joie et de culpabilité. Depuis mon jardin de banlieue, je vois une « zone d'activité », ses palettes, ses camions, ses grillages. Plus loin, les immeubles de Villejuif. Plus près, un terrain vague qui attend d'être loti, avec son fouillis de cerisiers qui ont poussé seuls, ses cartons, ses plastiques, ses bouteilles, ses restes de cabanes. Mais si je baisse la tête, si je me penche pour tâter une salade, caresser le collet d'un navet, je change de lieu et de temps, je suis dans le jardin normand de mon père, cet idéal que je n'atteindrai jamais, qui m'interdit de semer du gazon, m'impose d'entretenir une mémoire potagère. Une pomme de terre de mon jardin ressemble comme une sœur à celles que mon père arrachait. Comme lui, je râle si ma fourche blesse un tubercule. Comme lui, je parie sur ce que va donner un pied, au vu de la grosseur des tiges. Comme lui, je laisse les patates sécher au sole, classées en trois catégories, les grosses pour la consommation, les moyennes pour la semence, les petites pour les lapins. J'en caresse une de temps à antre, enlève la terre, vérifie la qualité de la peau, la serre dans ma main pour sentir sa fermeté, la repose délicatement, comme lui.

"L'amour des jardins", hors-série de Télérama"

Michel Besnier par André Servant,président de l'association "Atout lire" (Texte publié en juillet 1998 dans le reflets n°26.)
    Professeur de lettres dans la région parisienne, ce n'est pas pour cette activité qu'on le connaît. Selon moi, il est avant tout un écrivain. Celui qui se fait guetteur de mots et poète pour offrir à ses lecteurs cet enchantement inexplicable, cet univers qu'on partage avec lui dans un tête à tête irremplaçable. Il est celui qui sait nous capter et, tout en nous proposant ses mots, ses rêves, ses mondes imaginaires, offrir à nos pensées les plus personnelles un univers qui leur permet d'exister dans toute leur singularité. Miracle de l'écriture que de satisfaire à la fois un auteur et un lecteur dans leurs similitudes et dans leurs différences !
Michel Besnier, peu enclin aux grands remue-ménage médiatiques, est un véritable écrivain, de ceux qui laissent une trace dans la mémoire du lecteur, qu'on a plaisir à connaître, à faire connaître.

 

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semaine 30

Le maître du jardin

Conte arménien

 

Il y a fort longtemps, en Arménie, un roi possédait un rosier qu'il faisait choyer comme le plus précieux de ses enfants. Car on prétendait que si sur ses maigres branches une rose fleurissait, elle donnerait l’immortalité au maître du jardin. Dès qu'arrivait le printemps, le roi venait chaque matin dans le jardin. Il examinait le rosier attentivement, cherchant désespérément le bourgeon qui le rendrait immortel. Et comme il n'en trouvait pas la moindre trace, il se fâchait contre son jardinier, qu'il finissait par chasser. Les années passaient et les plus grands experts s'étaient relayés sans succès au chevet du rosier, lorsqu'arriva un tout jeune homme.

- Seigneur, dit il au roi, j'aime les roses par dessus tout, je souhaite tenter ma chance.

Le roi s'apprêtait à le congédier, mais devant l'assurance et la détermination du jeune homme, il lui ouvrit les portes du jardin. À compter de ce jour, le garçon ne vécut plus que pour son rosier. Il bêchait tendrement la terre autour de son pied. Il l'arrosait goutte à goutte. II demeurait près de lui nuit et jour. Il le protégeait du vent et, aux premières gelées, il l'habillait de paille. Il n'avait d'yeux et de souffle que pour lui. Dans sa folie d'amour, il finit même par lui parler :

- Rosier, où as tu mal ?

À peine eut-il prononcé ces mots qu'un ver noir et luisant sortit des racines. Il allait le saisir, mais une hirondelle qui passait, le happa et l'emporta. Alors un bourgeon vint sur le rosier. Et au petit matin, quand le jeune homme le caressa, une rose s'ouvrit. Fou de joie, le garçon courut annoncer au roi la nouvelle.

- Me voilà immortel, me voilà immortel ! s'écria le monarque.

Il couvrit son jardinier de cadeaux et lui confia à tout jamais les soins de la rose.

Dix années passèrent et, un soir d’hiver, le vieux roi rendit son dernier souffle :

- Finalement, se dit-il, tout cela n’était qu’une légende. Le maître du jardin meurt, comme tout le monde.

- Non, lui murmura le jardinier agenouillé près de lui. Le maître du jardin, ce ne fut jamais vous, mais celui qui a veillé et veille encore.

Il ferma les paupières du roi et sortit, souriant, sous les étoiles. Il avait le temps, désormais, tout son temps !

 

D’après un conte arménien

 

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semaine 31

"Les jardins de Sophie"

de La Comtesse de Ségur

    Sophie eut une nuit un peu agitée; elle rêva qu'elle était près d'un jardin dont elle était séparée par une barrière ; ce jardin était rempli de fleurs et de fruits qui semblaient délicieux. Elle cherchait à y entrer ; son bon ange la tirait en arrière et lui disait d'une voix triste : « N'entre pas, Sophie; ne goûte pas à ces fruits qui te semblent si bons, et qui sont amers et empoisonnés ; ne sens pas ces fleurs qui paraissent si belles et qui répandent une odeur infecte et empoisonnée. Ce jardin est le jardin du mal. Laisse-moi te mener dans le jardin du bien. — Mais, dit Sophie, le chemin pour y aller est raboteux, plein de pierres, tandis que l'autre est couvert d'un sable fin, doux aux pieds. — Oui, dit l'ange, mais le chemin raboteux te mènera dans un jardin de délices. L'autre chemin te mènera dans un lieu de souffrance, de tristesse; tout y est mauvais ; les êtres qui l'habitent sont méchants et cruels ; au lieu de te consoler, ils riront de tes souffrances, ils les augmenteront en te tourmentant eux-mêmes. » Sophie hésita; elle regardait le beau jardin rempli de fleurs, de fruits, les allées sablées et ombragées ; puis, jetant un coup d'oeil sur le chemin raboteux et aride qui semblait n'avoir pas de fin, elle se retourna vers la barrière, qui s'ouvrit devant elle, et, s'arrachant des mains de son bon ange, elle entra dans le jardin. L'ange lui cria : « Reviens, reviens, Sophie, je t'attendrai à la barrière ; je t'y attendrai jusqu'à ta mort, et, si jamais tu reviens à moi, je te mènerai au jardin de délices par le chemin raboteux, qui s'adoucira et s'embellira à mesure que tu y avanceras. » Sophie n'écouta pas la voix du bon ange : de jolis enfants lui faisaient signe d'avancer, elle courut à eux, ils l'entourèrent en riant, et se mirent les uns à la pincer, les autres à la tirailler, à lui jeter du sable dans les yeux.

Sophie se débarrassa d'eux avec peine, et s'éloignant, elle cueillit une fleur d'une apparence charmante; elle la sentit et la rejeta loin d'elle : l'odeur en était affreuse. Elle continua à avancer, et, voyant les arbres chargés des plus beaux fruits, elle en prit un et y goûta; mais elle le jeta avec plus d'horreur encore que la fleur : le goût en ' était amer et détestable. Sophie, un peu attristée, continua sa promenade, mais partout elle fut trompée comme pour les fleurs et les fruits. Quand elle fut restée quelque temps dans ce jardin où tout était mauvais, elle pensa à son bon ange, et, malgré les promesses et les cris des méchants, elle courut à la barrière et aperçut son bon ange, qui lui tendait les bras. Repoussant les méchants enfants, elle se jeta dans les bras de l'ange, qui l'entraîna dans le chemin raboteux. Les premiers pas lui parurent difficiles, mais plus elle avançait et plus le chemin devenait doux, plus le pays lui semblait frais et agréable. Elle allait entrer dans le jardin du bien, lorsqu'elle s'éveilla agitée et baignée de sueur. Elle pensa longtemps à ce rêve. « Il faudra, se dit-elle, que je demande à maman de me l'expliquer » ; et elle se rendormit jusqu'au lendemain.

Extrait de Les malheurs de Sophie, par La Comtesse de Ségur, chez Hachette

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semaine 32

Evocation du Paradis

de Jean Delumeau

 

La Légende dorée contient une autre évocation du paradis dans l'article consacré à saint Josaphat. Troublé par la vue d'une jeune fille, le saint se mit à prier et s'endormit : 

Il se vit conduire dans une belle prairie ornée de belles fleurs, où les feuilles des arbres agitées par un vent agréable émettaient un bruit charmant et exhalaient une odeur merveilleuse, où [se rencontraient] des fruits de très belle apparence que l'on désirait goûter, où se trouvaient des sièges d'or et de pierres précieuses, des lits de repos brillants avec des parures de très grande valeur [et] que bordaient des eaux courantes d'une très grande limpidité. De là, [ses guides] le firent entrer dans la ville dont les murs étaient en or [...] ; elle brillait d'une merveilleuse clarté, des choeurs célestes y chantaient une hymne que jamais oreille mortelle n'avait entendue. Et on lui dit : c'est ici le séjour des bienheureux .

 

Extrait de Que reste-t-il du paradis ?, Jean Delumeau, Ed. Fayard, 2000

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semaine 33

Jardin labyrinthe

de Jean-Pierre Bayard

 

Le Cantique des cantiques célèbre le lieu de notre naissance, l'espace édénique où la connaissance nous a été donnée ; d'après la Genèse (II, 8), ce jardin est situé « vers l'est, où naît la lumière ». Toutes les quêtes s'organisent pour trouver le Paradis.

Pourtant des expéditions se dirigent vers l'ouest, lieu où se couche le soleil et qui devient la patrie des morts, le royaume de ceux qui nous ont quittés pour rejoindre un autre monde.

À la fin du Moyen Âge, le jardin sacré donne lieu à l'évocation du jardin d'amour courtois, lieu allégorique qui marque les tapisseries aux mille fleurs, comme celle de la Dame à la Licorne. Le Roman de la rose, le Décaméron évoquent ce lieu où s'épanouit un bonheur idéal.

L'Eden, d'après la kabbale hébraïque, surplombe la mer et se trouve sur une hauteur, sans doute une montagne puisque quatre fleuves y prennent naissance et qu'un axe vertical traverse ce plateau. Le jardin du Paradis perdu hante notre imaginaire. C'est le verger des Hespérides avec sa couleur de base, le vert de l'espérance, et où le pommier joue un rôle bien symbolique.

Après les pèlerinages aux Lieux saints, l'éclatement de la lumière, les parcs prennent de plus en plus d'importance. Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung donne lieu à de remarquables peintures sur parchemin tel Le Verger de Déduit (Bruges 1500).

Succédant au thème de l'arbre et de la forêt, les XVIII et XIXe siècles marquent parcs, jardins et folies d'une pensée symbolique. Avec le « Jardinier » on évoque un maître qui conduit vers la recherche intérieure, qui communique l'apaisement grâce à ses tracés directs ou aux courbes qui forment des entrelacs : l'esprit dépaysé peut vagabonder et trouver, dans la galanterie et l'amusement, des réflexions plus philosophiques.

Après la réserve d'Ermenonville célébrée par Gérard de Nerval, on songe au Désert de Retz dans la forêt de Marly à Chambourcy où les constructions sont établies selon un circuit ésotérique bien établi mais dont le fil reste invisible.

 Extrait de Symbolique du labyrinthe, de Jean-Pierre Bayard, Ed. Le Club

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semaine 34

Hospitalité

de Luc Decaunes (1913 - )

 
Ce coin de campagne imprévu 
S'adossait par force à la ville, 
Lui tournait le dos,
L'ignorait,
Offrant ses arbres, ses chevaux 
Aux seuls regards dépossédés.
 
Le mur ancien bordait le pré,
Souvenir des âges tranquilles,
Et le soleil s'y reposait
Entre deux fuites de nuages.
 
Le coeur était à l'innocence, à la bonté,
Caresses rares.
On oubliait insulteurs et bourreaux,
Ravageurs têtus de la Terre
Qui n'en ont jamais assez
De l'user, de la mettre aux fers.
 
Un chant d'oiseau filait parfois
Aux chambres fraîches de l'aube,
Mince comme un fil d'eau pure.
 
On était calme, on était bien ; 
La vie se remettait en place, 
Prêtant l'oreille, là, derrière, 
Aux voix unies de l'amitié
Comme au bruit d'un ruisseau dans l'herbe.
(Inédit, Rodez, 1981)

Né en 1913, ce poète et prosateur a été le premier éditeur de Jacques Prévert. Pédagogue à l'esprit profondément indépendant et militant, spécialiste de Baudelaire et d'Eluard, Decaunes commit de nombreuses anthologies chez Seghers. Fondateur de la revue Soutes, homme de radio, animateur de théâtre, également compositeur à ses heures, ce "visionnaire des gouffres" laisse une oeuvre forte d'une trentaine d'ouvrages (dont Le Coeur légendaire) balisée par "le mystère du noir profond". Joë Bousquet dira de lui : "(Son oeuvre) est présence : non pas l'espoir, mais la fin de l'espoir, l'apothéose de l'instant." Lettres, articles, extraits donnent un aperçu de ce caractère lucide, engagé, au service d'une langue sombre, limpide et d'une belle modernité (toujours vif, ce monsieur, paraît-il, adore les Doors et les films de John Woo). L'un de ses romans, Les Idées noires, publié en 1946, et qui bouleversa Julien Green, est toujours épuisé...

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semaine 35

Jardins japonais

HAIKU

      

Il chie

le chat errant

dans le jardin tout blanc

Masaoka Shiki

Dans ce jardin

un siècle

de feuilles mortes !

Matsuo Bashô

Dans les jeunes herbes

le saule

oublie oublie ses racines

Yosa Buson

A l'entrée du jardin

fleurit le blanc

d'un camélia

Ueshima Onitsura

  Extraits de Haiku, anthlogie du poème court japonais, Ed. Poésie Gallimard

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semaine 36

Permanent invisible

de René Char

 

Permanent invisible aux chasses convoitées,

Proche, proche invisible et si proche à mes doigts,

O mon distant gibier la nuit où je m'abaisse

Pour un novice corps à corps.

Boire frileusement, être brutal répare.

Sur ce double jardin s'arrondit ton couvercle.

Tu as la densité de la rose qui se fera.

Extrait de Le Nu perdu (et autres poèmes 1964 - 1975) de René Char, Ed. Poésie Gallimard

Né en 1907 à L'Isle sur la Sorgue, René Char adhère à 22 ans au mouvement surréaliste. Il signe un recueil en commun avec Breton et Eluard mais reprend bien vite son indépendance en 1934. Son oeuvre sera désormais celle d'un solitaire et d'un homme d'action en prise avec son temps : en 1937, il dédie son Placard pour un chemin des écoliers aux "enfants d'Espagne". Démobilisé en 1940, il entre presque aussitôt dans la Résistance sous le nom de guerre d'Alexandre. Cette expérience sera relatée dans 'Les Feuillets d'Hypnos' (1946). Après la Libération, 'Seuls demeurent' (1945), somme des temps de guerre, est suivi du 'Poème pulvérisé' (1947), de 'Fureur et mystère' (1948) et des 'Matinaux' (1950) qui ont"mission d'éveiller", au sortir de la réclusion, aux mille ruisseaux de la vie diurne. Sa poésie est abrupte, hermétique. Tout son travail résidait dans l’épuration de ses phrases jusqu'à les réduire à de fulgurants instantanés. René Char est décédé le 19 février 1988.

 

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semaine 37

Le jardin immobile

de Philippe Delerm

On marche dans un jardin, l'été, quelque part en Aquitaine. C'est le creux du mois d'août, au début de l'après-midi. Pas un souffle de vent. Même la lumière semble dormir sur les tomates : juste un point de brillance sur chaque fruit rouge. La dernière pluie les a maculés d'un peu de terre. C'est bon, l'idée de les passer sous l'eau fraîche, et de goûter leur chair encore attiédie. A l'heure qui ne passe pas, juste déguster la déclinaison patiente des couleurs. Il y a des tomates d'un vert pâle, un peu plus foncé au cœur du réceptacle, et d'autres d'un presque orangé où dort une touche d'acide. Celles-là ne semblent pas faire ployer la branche. Seules les tomates mûres ont la sensualité penchée.

Un escabeau s'appuie contre le prunier d'ente. Plusieurs fruits sont tombés dans la petite allée qui court autour du potager. De loin, les prunes paraissent mauves, mais on découvre en les approchant toute une lutte entre bleu sombre et rose, et quelques grains de sucre collés sur la peau fragile : les fruits tombés se sont ouverts et pleurent une chair abricot brunie par la terre mouillée. Dans l'arbre, les prunes pas tout à fait mûres ont des rougeurs tachetées sur fond d'ocre-vert : le bleuté de leurs aînées les tente et les effraie.

On voudrait s'en tenir à l'ombre. Mais le soleil pleut dans les branches avec une implacable douceur. C'est lui qui fait le blond de tout le potager : celui des laitues paresseuses, mais aussi des bettes affalées contre le sol. Seules les feuilles des carottes résistent en piquante verdeur, comme si leur minceur les préservait d'un abandon languide. Au bout, contre la haie, c'est trop tard pour les framboisiers : loin du velours rubis-grenat, on en est déjà là au dessèchement brun, à la scorie parcheminée. De l'autre côté, le long du petit mur de pierre, court le poirier en espalier, avec cet ordonnancement symétrique des bras que vient féminiser l'oblongue matité du fruit moucheté de sable roux. Mais la fraîcheur la plus acidulée, la plus désaltérante monte du pied de vigne muscate déployé juste à côté. Les grappes hésitent entre l'or pâle et le vert d'eau, entre l'opaque et le translucide ; les unes se gorgent de lumière quand les autres, plus réservées, préservent une pellicule de buée-poussière. Mais quelques grains déjà se nuancent de lie-de-vin, et dérangent la séduction adolescente des grappes vertes happant le soleil d'août.

Il fait chaud, mais le prunier, l'abricotier, le cerisier donnent leur ombre où dort aussi la table de ping-pong inemployée — quelques prunes rouges sont tombées sur la peinture émeraude écaillée. Il fait chaud, mais au plus profond d'août dort au jardin l'idée de l'eau. C'est autour d'une longue tige de bambou le tuyau d'arrosage aux couleurs délavées. La courbe irrégularité de ses méandres, la vétusté de ses raccords emmaillotés de chatterton et de ficelle ont quelque chose de familial, de pacifiant ; l'eau qui viendra de là ne peut avoir de violence calcaire, de fraîcheur mécanique. De là coulera dans le soir une eau-douceur, une eau-sagesse, juste assez.

Mais maintenant, c'est l'heure du soleil, de l'immobilité sur tous les blonds, les verts, les roses — c'est l'heure de cueillir et d'arrêter.

 Extrait de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Philippe Delerm, Ed. L’arpenteur

 Né en 1950, Philippe Delerm a notamment publié La cinquième saison, le Buveur de temps, Mister Mouse et Sundborn ou les jours de lumière. 

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semaine 38

L'Espérance

de Jules Supervielle

 

Dans l’obscurité pressentir la joie

Savoir susciter la fraîcheur des roses,

Leur jeune parfum qui vient sous vos doigts

Comme une douceur cherche un autre corps.

Le cœur précédé d’antennes agiles,

Avancer en soi, et grâce à quels yeux,

Eclairer ceci, déceler cela

Rien qu’en approchant des mains lumineuses.

Mais dans quel jardin erre-t-on ainsi

Qui ne serait clos que par la pensée ?

Ah pensons tout bas, n’effarouchons rien,

Je sens que se forme un secret soleil.

( La Fable du monde )

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semaine 39

On voit...

Philippe Jaccottet

 

On voit ces choses en passant

(même si la main tremble un peu,

si le coeur boite),

et d'autres sous le même ciel :

les courges rutilantes au jardin,

qui sont comme les oeufs du soleil,

les fleurs couleurs de vieillesse, violette.

 

Cette lumière de fin d'été,

si elle n'était que l'ombre d'une autre,

éblouissante,

j'en serais presque moins surpris.  

Extrait de A la lumière d'hiver, Philippe Jaccottet, Ed. Poèsie Gallimard

 

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