QUELQUES TEXTES
DE BERTRAND VIBERT
SPECIALISTE DE VILLIERS DE L'ISLE ADAM
|
|
|
|
L'Amour, l'érotisme et la mort chez Villiers de l'Isle-Adam
Conférence-lecture dans le cadre du cycle
proposé par le département Formation continue
Lettres de l’université Stendhal (Grenoble)
Puisque la tâche délicate me revient d’inaugurer ce cycle de
conférences consacrées à l’érotisme dans la littérature,
je voudrais d’emblée vous prévenir que mon propos ne sera pas
celui d’un érotologue patenté. Je ne me livrerai donc pas à de
savantes considérations théoriques sur le sujet. C’est un fait
avéré d’ailleurs que le goût pour l’érotisme et
le goût pour la théorie vont souvent de pair, – ce qui s’explique
assez bien puisque, après tout, ils sont tous les deux sont cosa mentale.
Vous l’avez compris, mon propos sera par nécessité plus modeste.
Je voudrais en effet vous inviter plutôt à une « promenade
littéraire » dans l’œuvre de Villiers de l’Isle-Adam, écrivain
notoirement hanté par les questions connexes de l’amour, de la mort
et, entre les deux – de façon sans doute plus secrète mais néanmoins
insistante – de l’érotisme. Afin que le mot – sinon la chose – soit
aussi clair que possible, je me risque à vous livrer d’entrée
de jeu ma définition de l’érotisme. Partons du dictionnaire (Petit
Robert). L’érotisme y désigne à la fois une disposition,
un « penchant », un « goût » marqué pour « la
chose » par excellence, à savoir la sexualité. En ce sens,
le terme peut s’appliquer couramment aux œuvres d’art, en particulier à la
littérature et aux arts plastiques. L’érotisme de l’œuvre de
Villiers de l’Isle-Adam par exemple désignerait l’intérêt
qu’elle montre – elle ou son auteur – à représenter des personnages,
des situations ou des scènes qui ont trait à la sexualité ;
par quoi évidemment elle nous intéresse nous aussi lecteurs –
je veux dire elle nous concerne. C’est pourquoi l’érotisme est fondamentalement
un terrain de rencontre entre l’œuvre et le lecteur ou le spectateur. Or il
est aussi un lieu de rencontre – ou de rendez-vous – dans un autre sens, qui
tient, je crois, à son caractère intrinsèquement double
: l’érotisme est d’abord « branché » sur la sexualité,
et plus précisément sur l’énergie sexuelle, et par là il
tient à la part animale de l’homme, à sa chair. Mais, en même
temps, la chair étant d’emblée ressaisie à travers ce
prisme et ce coefficient multiplicateur virtuellement infini qu’est l’imaginaire,
l’érotisme est aussi ce désir qui touche paradoxalement au plus
profond et au plus spécifique de l’humain. Il fait ainsi la part belle à la
singularité individuelle – puisqu’il n’y a pas deux destins d’hommes
semblables ; et néanmoins il est traversé par des mythes collectifs,
et il s’intègre dans des pratiques culturelles, qui sont souvent contraignantes
et génératrices d’interdits … donc de désirs. En d’autres
termes, et pour me résumer en une formule, j’entendrai par « érotisme » le
désir de la chair touché (presque comme on dit « touché par
la grâce ») ou encore métamorphosé par le pouvoir
de l’imaginaire. (Pour ce dernier terme, m’inspirant de Gilbert Durand, je
définirai l’imaginaire, au niveau anthropologique où il le situe,
comme « l’ensemble [dynamique] des images et des relations d’images qui
constitue le capital pensé de l’homo sapiens. ») Sur son chemin,
on ne s’étonnera pas que l’érotisme rencontre l’amour et la mort,
qui sont, tout comme lui-même, des phénomènes tout autant
imaginaires que réels, et, comme lui encore, des expériences
de la limite et de la transgression. C’est pourquoi je poserais volontiers
que, à l’instar du rire, ou encore du fait de lire et d’écrire,
l’érotisme peut passer à juste titre pour le propre de l’homme.
Ainsi s’explique qu’il s’investisse partout, et de façon privilégiée
dans des pratiques créatives et esthétiques. L’érotisme,
donc, pourrait bien être le point de jonction de l’amour et de la mort.
Telle sera mon hypothèse, qui, si elle n’est pas profondément
originale, a du moins le mérite de m’obliger dans un premier temps à considérer
les deux autres termes de mon sujet : l’amour, la mort.
Une première remarque : l’œuvre de Villiers est marquée du sceau
de l’absolu, et l’amour en est la figure récurrente, celle tout à la
fois d’une expérience humaine et d’une expression poétique voulues
indépassables. À ce degré presque surhumain, il voisine
bien souvent avec la mort, dont il partage la tonalité sombre. Et pourtant
il ne suffit pas de l’inscrire dans la longue tradition littéraire évoquée
par Denis de Rougemont dans L’Amour et l’occident. À un bout de la chaîne,
on placerait donc le texte fondateur de Tristan et Iseult, et, à l’autre
bout, avant Villiers lui-même, « Les Amants de Montmorency » de
Vigny, « La Mort des amants » de Baudelaire et par dessus tout
Tristan et Isolde de Wagner, magnifique exemple s’il en fut d’érotisme
musical. Certes, on ne saurait récuser pour l’œuvre de Villiers des
héritages qu’il a revendiqués avec beaucoup de ferveur. Mais
il serait sans doute injuste de dissoudre la part de son génie propre
dans un climat général de la fin de siècle dont on sait à quel
point elle a cultivé les signes ambigus de l’amour et de la mort. En
d’autres termes, il y a là chez Villiers la marque de ce que Charles
Mauron nommait naguère un « mythe personnel » et que je
voudrais tenter d’approcher avec vous.
Deuxième remarque, en forme de petit détour nécessaire
dans ma promenade… et fin des prolégomènes. Pour comprendre Villiers,
il faut recourir à la notion capitale d’« auto-engendrement » de
l’œuvre . En effet, d’un texte à l’autre en général, et
en particulier pour ce qui touche à l’entrelacement de l’amour et de
la mort, Villiers se reprend, se complète ou se répond d’une
manière telle que l’œuvre gagne à être lue comme un tout.
Pour ma part, loin de mettre cette tentation au compte d’un ressassement stérile
ou purement obsessionnel, je la verserai plutôt au crédit d’une
pratique inventive et créatrice de la variation qui, par le truchement
du même, parvient à faire surgir une part d’altérité,
celle d’une possibilité jusque là inexplorée et insoupçonnée.
Ainsi les choses deviennent, selon le mot profond de Verlaine, « plus
les mêmes qu’autrefois ». C’est dans cette perspective qu’il faut
considérer l’amour et la mort, et entre eux l’érotisme, comme
autant d’éléments intriqués, de leitmotive qui parcourent
l’ensemble de l’œuvre et tissent une forme de continuité sans cesse
renouvelée.
Pour la clarté du propos, et quitte à procéder d’une manière
dialectique un peu lourdement charpentée, j’évoquerai dans un
premier temps l’amour villiérien comme expérience des limites
– je dirais volontiers comme amour à mort ; dans un second temps nous
le retrouverons sous la forme d’un éros meurtrier ; enfin, au terme
de cette promenade dans l’œuvre, j’évoquerai la sublime et absolue coïncidence
d’éros et de l’amour dans la mort d’amour, sommet villiérien
indépassable où, sur une même bannière, se marient
les couleurs de l’amour, de l’érotisme et de la mort.
AMOUR À MORT
1. Très tôt le ton est donné. Ainsi, dans les Premières
poésies, son premier recueil – Villiers a 21 ans –, la jeune Arabe répond à l’homme
qui lui laisse entrevoir la menace d’être abandonnée par son amant
:
« Ô perle du désert ! dis-moi
:
Si le giaour infidèle
Ne s’en revenait plus vers toi ?
– Je te comprends bien, lui dit-elle :
Mais, je m’appelle Zaïra,
Va, mon cœur l’aimerait quand même.
Je suis de la tribu d’Azra,
Chez nous on meurt lorsque l’on aime ! (T. I, p. 15)
Ce sont les derniers vers du poème. On le voit, la mort est d’emblée posée comme l’horizon d’un absolu de l’amour. Dans « Hermosa », le plus long poème du recueil, Don Juan est précisément un de ces quêteurs villiériens d’absolu, (« L’amour, c’est l’absolu » déclare-t-il, t. I, p. 49), absolu – et c’est là son malheur – qu’il a cherché en vain dans l’amour. Figure toute romantique marquée du signe sombre de la fatalité, le Don Juan de Villiers ne saurait se satisfaire des joies d’Éros. C’est pourquoi Hermosa, son amante, elle qui se sait pourtant irrésistible, essaye de percer le secret de son mélancolique amant :
« ma lèvre,
Dit-elle, peut donner le plaisir et la fièvre !
Mes baisers de velours supplicient ! mes cheveux,
Aux parfums pénétrants, enivrent ! mon haleine épuise…
Et je peux faire, ainsi qu’une Sirène,
Mourir d’amour ! si je veux. (P. 31)
On le voit, Éros ne joue pas ici sur la même partition que l’amour. Car Don Juan est précisément celui qui ne peut « mourir d’amour », parce que l’amour a été pour lui l’expérience déçue d’un inaccessible idéal, la révélation manquée de l’Absolu. Tel est bien son secret :
Je ne peux plus aimer, entends-tu, jeune femme !
Brûlé comme Caïn d’une invisible flamme,
J’ai soif d’un paradis dont je suis exilé.
Mon cœur, sépulcre sourd, ne garde qu’un blasphème
Pour ce beau ciel toujours voilé. (P. 52)
Quand le cœur est déserté – « je suis inassouvi » dira Don Juan (p. 53) –, il n’est plus hanté que par « Un fantôme : la Volupté » (p. 42), et il ne reste qu’à partir pour rejoindre dans et par la mort un royaume qui n’est pas de ce monde. Trente ans plus tard, ce sont presque les mêmes paroles que, dans Axël – le drame que Villiers a porté en lui toute une vie – le héros proférera à l’adresse de Sara, en se définissant comme « celui qui ne veut pas aimer », préférant « [s]on propre exil » à l’amour qu’il sent déjà s’emparer de lui et qu’il commence par refuser. Mais, on s’en doute, la révélation amoureuse se révèle bientôt irrévocable. En revanche, de manière plus paradoxale, l’amour fait ressurgir la mort – on a envie de dire comme Carmen « la mort, toujours la mort ! » : mort qui est la même et cependant une autre, car elle seule peut offrir la mesure absolue de leur amour comblé. On connaît le superbe refus de la terre d’Axël (sur lequel il me faudra revenir) :
Vivre ? Les serviteurs feront cela pour nous. (T. II, p. 672)
Avec une belle constance, qu’il s’agisse de
poème, de roman ou de drame,
l’intuition de l’amour chez Villiers s’éprouve donc à hauteur
d’absolu et voisine avec la mort qu’en fin de compte elle appelle. Car littéralement
on y meurt d’amour, tout comme on y meurt de n’être pas aimé,
de telle sorte que l’amour à mort n’y relève aucunement d’une
rhétorique amoureuse conventionnelle. C’est que l’amour s’y avère
toujours une expérience à hauts risques.
2. a. D’un texte à l’autre, on retrouve d’ailleurs bien souvent le même
schéma fondamental. Un jeune homme noble et/ou poète conçoit
une grande passion pour une jeune femme. Mais, à partir de là,
il s’agit d’explorer les variantes qui sont autant de solutions littéraires
possibles d’un même problème. J’en décline quelques figures
remarquables. Le poète, personnage principal du conte cruel intitulé « Sentimentalisme »,
après un dernier rendez-vous avec sa maîtresse qui lui apprend
qu’elle va le quitter le soir même pour un autre amant, rentre chez lui
et se suicide d’une balle dans le cœur – on aura compris qu’il était
déjà touché à mort. S’agit-il d’un accès
ou d’un excès de « sentimentalisme » chez le poète à qui
la jeune femme vient de reprocher sa froideur d’être supérieur
? Mais on voit bien que le reproche ne vaut qu’aux regard des sentiments communs,
ceux de la foule des passants, dirait Villiers, dont le poète, à l’instar
de son auteur, entend se désolidariser. Et Villiers de conclure la nouvelle
par cet épilogue :
Depuis ce temps, lorsqu’on demande à Lucienne le motif de ses toilettes
sombres, elle répond à ses amoureux, d’un ton enjoué :
« Bah ! que voulez-vous ! Le noir me va si bien ! »
Mais son éventail de deuil palpite, alors, sur son sein, comme l’aile
d’un phalène sur une pierre tombale. (P. 649)
Ainsi l’amour trahi s’est-il métamorphosé en un étrange érotisme funèbre.
***
2. b1. Après l’homme supérieur amoureux d’une femme indigne,
le jeune homme amoureux d’une femme sublime … et inaccessible. Telle est l’histoire
que nous racontent successivement « L’Inconnue » et « L’Amour
suprême ». Dans le premier conte, il s’agit d’une jeune femme entrevue
pour la première fois à l’opéra par un jeune homme évidemment
noble. Au mépris de toutes les convenances, aussitôt la représentation
achevée, il lui adresse une déclaration d’amour – tout idéal
d’ailleurs : il se nomme Félicien de la Vierge. La jeune femme ne s’en
offusque pas, elle reconnaît dans le jeune homme une âme d’exception,
mais elle refuse son amour parce que, frappée de surdité, elle
ne pourrait entendre l’âme des paroles de son amant – elle se contente
en effet de les lire sur ses lèvres. Or cette « âme »,
explique-t-elle est seulement perceptible dans la vibration des mots, qui sont,
indépendamment des paroles énoncées, la vérité de
la voix et sa musique essentielle : on pourrait dire aussi bien… son pouvoir érotique,
dans ce conte par ailleurs fort chaste :
Votre âme primitive et simple doit s’exprimer avec une vivacité presque définitive, n’est-ce pas ? Toutes les nuances de vos sentiments ne peuvent donc être trahies que dans la musique même de vos paroles ! […] cette seule réalité, enfin, je ne la connaîtrai jamais ! Non !… Cette musique ineffable cachée dans la voix d’un amant, ce murmure aux inflexions inouïes, qui enveloppe et fait pâlir, je serais condamnée à ne pas l’entendre ! (P. 719-720)
Devant ce constat désespérant, il ne reste à ces deux âmes d’élite – et prédestinées l’une à l’autre – qu’à mourir au monde chacune de son côté. La jeune femme fait en effet le vœu d’« être bientôt délivrée » de la « prison » de son « corps » avant de prononcer un « adieu » irrévocable (t. I, p. 720-721), et le jeune homme semble également renoncer à la vie.
M. le comte de La Vierge repartit, le lendemain, pour son solitaire château de Blanchelande, – et l’on n’a plus entendu parler de lui. (Ibid.).
2. B2. Deuxième conte et variation sur le même thème : un jeune homme – le narrateur – assiste à une fête mondaine qui lui paraît « un bal de fantômes » (t. II, p. 4). Cette irréalité qui frappe la scène est d’importance, car elle montre un premier visage de la mort paradoxalement associée aux joies terrestres d’une fête brillante (en principe haut-lieu de l’érotisme dans la littérature du XIXe siècle). Mais la vue d’une jeune femme fait tout à coup pâlir « toutes les éblouissantes visions environnantes » (p. 5). En elle pourtant les signes de la mort et du deuil se mêlent curieusement à ceux de la vie, jusqu’à se confondre avec eux :
Elle devait être de vingt-trois à vingt-quatre ans. Une pâleur
natale, inondant l’ovale exquis du visage, s’alliait, éclairée
de deux rayonnants yeux bleus, à ses noirs bandeaux lustrés qui
s’épanouissaient d’y mourir.
Sa toilette, d’une distinction mystérieuse, et qui lui seyait par cela
même, était de soie lamée, d’un noir éteint, brodée
d’un fin semis de jais qu’une gaze violette voilait de sa sinueuse écharpe.
Une frêle guirlande de lilas blancs ondulait, sur son svelte corsage,
de la ceinture à l’épaule : la tiédeur de son être
avivait les délicats parfums de cette parure […]. (P. 6-7)
Quoique le narrateur s’en défende explicitement – « je sentais que c’était seulement la transparence de son âme qui me séduisait en cette jeune femme » –, il ne peut empêcher que cette évocation ne soit discrètement mais sûrement érotisée. Il vient en fait de reconnaître en la jeune femme une amie d’enfance, et comme il s’étonne de la voir étrangement « absente » de cette fête (p. 7), elle lui apprend qu’elle s’y est rendue seulement « par obéissance », « pour affronter les tentations du monde avant de prononcer ses vœux » (p. 9). Elle accorde tout de même au jeune homme de la revoir une dernière fois, le lendemain à midi, dans la chapelle du Carmel, et il y arrive pour assister à la prise de voile de la nouvelle carmélite. Il s’agit là symboliquement d’un rite funéraire, précédé de « la messe des morts » (p. 11), pour lequel la jeune fille prononce ses vœux en « posant sa main virginale sur le cercueil », avant que ne soit coupée sa chevelure. La mort et l’amour sont ici mêlés à deux degrés distincts. Il y a tout d’abord l’union avec Dieu qui est bien évidemment cet « amour suprême » qu’annonce le titre, et qui passe par la mort au monde : « C’est à lui que j’ai hâte de me donner dans toute la fleur de ma beauté périssable ! », déclare la jeune fille (p. 10). Ainsi, les deux jeunes gens vivront désormais séparés. Mais à un deuxième niveau les signes se convertissent, pour qui croit que la mort et la vie peuvent échanger leurs attributs. C’est tout le sens de l’autre rendez-vous, le rendez-vous dans l’Au-delà que se donnent les deux jeunes gens par l’échange d’un ultime regard :
Et ses yeux, ayant rencontré les miens, s’arrêtèrent, paisibles, longtemps, fixement, avec une solennité si grave, que mon âme accueillit la commotion de ce regard comme un rendez-vous éternel promis par cette âme de lumière. (P. 13)
On assiste donc à un coup de foudre mystique, en quelque sorte, qui convertit en espérance d’une vie et d’un amour supérieurs cette cérémonie doublement funèbre, qui fait le deuil du monde (pour la jeune fille) et de l’amour (pour le narrateur). Car il ne s’agit de rien de moins que de réconcilier l’Amour avec la Mort. C’est là aussi ce que déjà préfigurait l’ouverture du conte qui célébrait les amants bienheureux capables de renoncer au mariage selon la chair pour des épousailles mystiques selon l’Esprit.
À ces cœurs élus, tout trempés de foi, la Mort n’inspire que des battements d’espérance ; en eux une sorte d’Amour-phénix a consumé la poussière de ses ailes pour ne renaître qu’immortel ; ils n’ont accepté de la terre que l’effort seul qu’elle nécessite pour s’en détacher. (P. 3)
On pourra regretter ce style compassé, tout comme, à mon sens,
le souci d’orthodoxie religieuse un peu édifiante et insistante du conte.
Quand Villiers prétend se passer d’Éros (rarement en fait), c’est
son style, si magnifique soit-il par ailleurs, qui devient un marbre froid.
Je m’en voudrais pourtant de cantonner l’œuvre de Villiers à une galerie
d’amours sublimes et parfois désespérées. Car l’amour,
au nom de l’ambivalence constante des mots-valeurs chez Villiers, sécrète
aussi son envers morbide et dévoyé, et jusque sur un mode bizarrement
comique. L’érotisme s’y déploie alors sous des traits singuliers
et particulièrement inventifs.
É ROS MEURTRIER
1. Villiers s’est souvenu fort à propos des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly
en choisissant le « Bonheur dans le crime » comme épigraphe
au « Secret de la belle Ardiane » (Histoires insolites, t. II,
p. 252). Et en effet la jeune femme éponyme a su conquérir son
mari, à l’origine sergent de pompier, puis elle a fait franchir à leur
jeune couple toutes les étapes de la prospérité, grâce
aux incendies qu’elle a successivement allumés au mépris du sort
des victimes. Un soir d’épanchement amoureux, elle lui en fait l’aveu,
avec ce que Villiers nomme ailleurs « une candeur cynique » (L’Ève
future, t. I, p. 803) ; et au mouvement d’indignation de son mari, elle rétorque
par une imparable justification :
Mais la sauvage créature parfumée, la belle fauve, d’un enivrant
mouvement d’amour, l’attira par le cou – et d’une voix entrecoupée,
dont l’haleine brûla l’oreille du jeune homme, lui chuchota, très
bas, sous les cheveux :
«
Pier !…Puisque je t’adorais ! Pier, puisque nous étions enfermés
dans l’indigence, et que bouter le feu à ces taudions était le
SEUL moyen de nous voir et d’être l’un à l’autre ! et d’avoir
notre enfant ! » (P. 256)
On le voit, c’est bien l’amour, mais avec lui la volupté qui sont à l’origine des actes de l’incendiaire, à qui l’évocation de tel embrasement remémore des souvenirs érotiques aussi ardents qu’elle-même – la bien nommée Ardiane :
– Tiens, voici la chaumine Desjoncherêts : celle-là flambait dur, n’est-ce pas ? Ce fut à celle-ci que tu m’as embrassée, chez nous, pour la première fois […] Ah ! je t’admirais ! Tu étais très beau, je te dis, sous ton casque aux reflets tout rouges ! Ce baiser-là, vois-tu, – si tu savais ! » (P. 255)
Esthète comme Néron, mais sentimentale de surcroît, la belle Ardiane est bien une amoureuse meurtrière et diabolique. Et la chute du conte est d’une ironie particulièrement cruelle puisque, enchaîné par les sens à sa jeune épouse, le jeune homme « faiblit – et pardonna » (p. 257). Et le narrateur d’ajouter, avec un surcroît d’ironie grinçante :
Et, s’il faut parler franc, – après tout, pourquoi n’eût-il pas pardonné ? (Ibid.)
Voilà donc une femme que son mari et amant « comprend »,
jusque dans son amour mortifère et meurtrier.
2. Il en va autrement avec « L’Incomprise », autre cas de perversion
amoureuse et sexuelle dans lequel le personnage féminin attend de son
amant… qu’il la roue de coups pour lui manifester son amour. C’est ainsi qu’elle
se sert de son arbalète pour lancer au loin un diamant de prix et le
pousser à bout :
Nouveaux contes cruels, t. II, p. 381-382 depuis « pendant que M. de Guerl regardait son amie avec stupeur » jusqu’à « Je savais bien que tu étais un mâle », à lire en fonction du temps
Vous l’avez compris, il s’agit cette fois d’une
crise d’« hystérie » incontrôlable,
d’une nymphomanie masochiste, ou encore d’un éros autodestructeur voué à rester
inassouvi – et qui se solde par une mort rapide de la jeune femme après
son internement. Le cas n’était pas viable, en somme ! Mais chemin faisant,
le titre de la nouvelle – « L’Incomprise » – a contraint le lecteur à délaisser
une signification sentimentale prévisible pour lui en substituer une
autre, plus troublante, de nature érotique : il y a là un écartèlement
entre deux sens incompatibles où se complaît particulièrement
le travail de la dissonance ironique.
3. Mais le cas le plus remarquable de perversité amoureuse – et non
pas seulement de perversion – nous est conté dans « La Reine Ysabeau » (Contes
cruels, t. I, p. 680). La reine de France y est décrite comme une « Cléopâtre
nouvelle », « une grande épuisée » (p. 682),
et elle fait ressembler furieusement la décadence de l’automne du Moyen Âge à celle
de la fin du siècle dix-neuvième. Ainsi Ysabeau, ayant entendu
que son amant s’était vanté de séduire une jeune fille,
fait mettre le feu à la demeure de la belle pendant une nuit d’amour
qu’elle passe elle-même dans les bras de son amant. Elle en fait ainsi
le principal suspect tout en lui supprimant tout « alibi ». Et
Villiers insiste sur le caractère lascif de la nuit suprême où Ysabeau,
en libertine digne de la Juliette de Sade, jouit à la fois de tous les
plaisirs accumulés : outre celui des ébats amoureux proprement
dits, il faut compter celui du spectacle de l’incendie, celui de l’accomplissement
de la vengeance, celui de la mort future de son amant qu’elle imagine « roué […]
en place de grève » (p. 683), et par dessus tout peut-être,
celui de lui révéler – sans qu’il y ajoute foi – le piège
dans lequel il s’est laissé enfermer.
Lire OC, t. I, p. 683-684 : « – Que dites-vous, ma chère Ysabeau ? […] les amoureux ont des superstitions.
4. On voudrait rester coi après un tel passage, et la dernière phrase du conte nous invite en effet au silence, ou à la méditation : « Priez pour eux. » (P. 685) On le voit, les amours monstrueuses et mortifères sont bien souvent représentées par des femmes, et il est aisé de les mettre au compte de la misogynie souvent commentée de Villiers. Il y aurait là matière à débat… Il faut tout de même évoquer l’exception notable de Tribulat Bonhomet, « Le Tueur de cygnes », dont la petite mort voluptueuse accompagne l’agonie des oiseaux mélancoliques qu’il surprend de nuit, à l’affût dans l’étang, après avoir trompé la vigilance du veilleur, un cygne noir. Il y a là une perversion sexuelle évidente qui se passe de commentaires et qui révèle, symboliquement, une perversion plus sombre encore de l’âme du sinistre docteur. Je lis l’explicit du conte :
Lire OC, t. II, p. 134-136, depuis « Bientôt, voici qu’il s’aventurait » jusqu’à la fin du conte.
5. Mais il y a pire encore, sur le strict plan de la perversion sexuelle. À cet égard, le monstre le plus authentique est représenté par Evelyn Habal dans L’Ève future – Habal signifie « vanité » en hébreu. C’est elle qui, de l’aveu même d’Edison, est à l’origine de la conception de l’Andréide comme réparation aux ravages d’une féminité foncièrement vicieuse. Evelyn Habal est en effet une petite ballerine qui, ayant séduit un ami d’Edison nommé Anderson, homme droit et jusque-là époux modèle, détruit son foyer, ruine le mari et finalement l’accule au suicide. Ève non pas humaine trop humaine, mais proprement fatale, Èvelyn maligne et inhumaine, elles est, en termes villiériens, la perversité faite femme, ou encore « de la pure animalité » (p. 889), en somme le mal absolu. Tel est du moins le sens des longs propos d’Edison à son sujet :
Non, cet être ne fut point, pour lui, cette Ève ingénue que l’amour […] égara vers cette Tentation qui, pensait-elle, devait grandir, jusqu’à l’état divin, son compagnon de paradis !… Ce fut l’intruse consciente, désirant d’une façon secrète et natale […] la simple régression vers les plus sordides sphères de l’Instinct et l’obscurcissement d’âme définitif de celui… qu’elle ne tentait qu’afin d’en contempler, un jour, d’un air d’infatuée satisfaction, la déchéance, les tristesses et la mort. (P. 890)
Et plus loin :
« Ces femmes neutres dont toute “pensée” commence et finit à la ceinture, – et dont le propre est, par conséquent, de ramener au point précis où cette ceinture se boucle TOUTES les pensées de l’Homme, alors que cette même ceinture n’enserre, luxurieusement (et toujours !) qu’un méchant ou intéressé calcul, – ces femmes, dis-je, sont moins distantes, EN REALITE, de l’espèce animale que de la nôtre. (P. 891)
C’est dire qu’il faut se méfier de la chair, mais c’est dire encore
davantage, et sans doute de façon plus intéressante, que l’inhumain
– ou l’animalité –, se situe en deçà de l’érotisme.
Monstre, Evelyn Habal appelle la démonstration, et même l’exhibition
qu’Edison fera de ses attributs, en l’espèce les dépouilles récupérées
après sa mort et qui constituaient toute sa beauté d’emprunt,
autant dire artificieuse et mensongère : Villiers, sur ce point précis,
est moins moderne que Baudelaire, et il se refuse à penser la beauté du
mal. « L’Incomprise », donc, n’était que malade, un cas
pathologique en quelque sorte. Evelyn Habal est bien plus, ou bien moins, à savoir
un cas de tératologie morale, et au delà, un problème
métaphysique sur la nature du mal. Dans le roman, la réponse
apportée au problème est justement l’amour qui, après
avoir été l’origine de la chute, sera celle du salut grâce à la
fabrication d’une femme artificielle ou Andréide, l’Ève future. À cet égard,
L’Ève future – le roman – est la réponse la plus élaborée
dans l’œuvre de Villiers, et elle n’a guère d’équivalent dans
la littérature.
6. Ma recension ne vise pas l’exhaustivité. Mais il y manque au moins « Le
Sadisme anglais », Histoires insolites, t. II, p. 287, texte dans lequel
Villiers cite longuement une traduction d’Anactoria de Swinburne digne des
débordements de la Gamiani de Musset. Je ne cite que le début
: « Je voudrais que mon amour te tuât : rassasiée de ta
vie, j’aspire à ta mort. Oh ! trouver des moyens douloureux pour te
tuer ! des moyens intenses, des superflus de douleurs ! te torturer amoureusement,
laisser souffrir ta vie vacillante sur tes lèvres, extraire ton âme
en des tortures trop douces pour tuer ! » Etc. les deux alinéas
suivants, p. 290-291. La nouvelle, qui se présente comme une chronique,
rapporte un scandale d’enfants prostitués et torturés à Londres…
7. Je terminerai cette évocation d’Éros meurtrier (voire vampirique)
par un conte qui rompt avec les précédents par son allant et
son caractère d’emblée égrillard, « L’Étonnant
couple Moutonnet » (Chez les passants, t. II, p. 405 ). L’exorde, de
nature très générale, donne le ton :
Ce qui cause la réelle félicité amoureuse, chez certains êtres, ce qui fait le secret de leur tendresse, ce qui explique l’union fidèle de certains couples, est entre toutes choses un mystère dont le comique terrifierait si l’étonnement permettait de l’analyser. Les bizarreries sensuelles de l’Homme sont une roue de paon, dont les yeux ne s’allument qu’au dedans de l’âme, et, seul, chacun connaît son désir. (P. 405)
Villiers pique la curiosité de son lecteur, et doublement dans la mesure où le sujet abordé promet d’être scabreux. On aura remarqué aussi l’alliance de mots qui situe le comique dans le registre inaccoutumé de la « terreur » et de l’indicible : Hugo parlerait ici de grotesque. Point de tragique, pourtant, dans l’histoire qui va nous être contée, et pourtant il aura été frôlé de près. Car pendant la Terreur, le citoyen Thermidor Moutonnet – en qui se conjuguent, en une nouvelle alliance de mots programmatique, dans le prénom la présence tragique de l’Histoire (avec sa grande Hache) et dans le patronyme le caractère bonasse et inoffensif de l’herbivore pacifique – … le citoyen Thermidor Moutonnet, donc, est allé demander à Fouquier-Tinville, qui s’y refuse… de faire guillotiner sa femme. Trente ans après, le couple Moutonnet file le plus parfait amour conjugal. Le narrateur nous en révèle alors le secret. Thermidor jouit de ce que son épouse ignore qu’il a cherché à lui faire couper la tête :
Et cette idée l’avivait, le faisait sourire, doucement, dans les ténèbres, le délectait, le rendait AMOUREUX jusqu’au délire. Car il la voyait alors sans tête : et cette sensation-là, d’après la nature de ses appétits, l’enivrait. (P. 408)
Mais à malin, malin et demi. Son épouse a eu vent de sa démarche, mais elle sait, elle – et à son insu à lui –, ce que lui croit qu’elle ignore, et elle y puise à son tour des jouissances sans cesse nouvelles. Et Villiers de conclure cette histoire sans moralité :
Ainsi vécurent-ils, se leurrant l’un l’autre (et l’un par l’autre), en ce détail niais et monstrueux où tous deux puisaient un terrible et macabre adjuvant de leurs macabres plaisirs ; ainsi moururent-ils (elle d’abord), sans s’être jamais trahi le secret mutuel de leurs étranges, de leurs taciturnes joies. (P. 409)
L’érotisme manifeste ici sa nature meurtrière et féroce,
au moins par sa signification symbolique qui perpétue une tentative
très réelle. Tel est donc le fin mot du bonheur de ces époux
modèles et d’une fidélité exemplaire : on ne peut guère
aller plus loin dans la dérision de ce qui, ailleurs chez Villiers,
unit l’amour et la mort.
Avec ces amours de chair et de volupté, nous avons laissé bien
loin l’idéal éthéré où on a peut-être
trop tendance à cantonner l’imaginaire de Villiers, comme s’il s’agissait
là de la seule patrie d’élection vers laquelle, au mépris
de toutes les conditions réelles de l’existence, il aurait pu exhausser
sa vie grâce à la littérature. À l’inverse, faudrait-il
aller jusqu’à voir en Villiers un écrivain naturaliste à ses
heures, expérimentateur de cas cliniques ? Certes non. Car les faits
ne valent pour lui que par leur portée symbolique, et la revanche de
l’animalité – le retour du refoulé – y est le vice qui rend hommage à la
vertu, comme si l’auteur débridait là des instincts ou des pulsions
par ailleurs contenus par trop de sublimité. Mais surtout, il convient
de dépasser cette opposition manichéenne du Ciel et de la Terre
pour parvenir à un troisième degré où corps et âme
seront confondus et sublimés dans la Mort. J’en viens donc à la
mort d’amour.
MORT D’AMOUR
1. On a pu observer, notamment dans Axël, la filiation du Liebestod wagnérien
de Tristan et Isolde. Mais cette sorte d’évidence a pour inconvénient
de masquer l’originalité d’un thème qui parcourt l’œuvre de Villiers
et qui s’y varie et s’y approfondit sans cesse. Dès « Hermosa » en
effet – que j’ai évoqué tout à l’heure –, Villiers proposait
la définition du baiser qui tue, de cet « éclair unique » dont
parle Baudelaire dans « La Mort des amants » :
L’amour, c’est l’absolu. Par sa poignante joie,
Un baiser que je donne au baiser me foudroie. (T. I, p. 49)
On aura beau jeu de m’objecter que la mort d’amour est ici tout aussi métaphorique que dans le « coup de foudre » du langage courant. C’est pourtant à partir de cette intuition fondamentale que Villiers va approcher puis explorer ce qui finit par constituer un mythe propre à son œuvre, et qui se déploie dans les œuvres majeures des dernières années de sa vie : Axël, L’Ève future, Akëdysséril. Mais déjà dans Véra, et de façon très curieuse, Villiers insiste pour faire mourir Véra d’une authentique mort d’amour qui reste toujours pudiquement ignorée des commentateurs :
La Mort, subite, avait foudroyé. La nuit dernière, sa bien-aimée s’était évanouie en des joies si profondes, s’était perdue en de si exquises étreintes, que son cœur, brisé de délices, avait défailli : ses lèvres s’étaient brusquement mouillées d’une pourpre mortelle. À peine avait-elle eu le temps de donner à son époux un baiser d’adieu, en souriant, sans une parole […]. (P. 553-554)
Il faut bien parler ici d’un orgasme mortel, ou épectase, d’une petite mort qui soudain fait place à la Mort. La suite du conte, dans sa version initiale (de 1874), conduit à la résurrection de Véra qui répond à l’appel de l’Amour, « plus fort que la Mort » ainsi que nous en a prévenus l’avertissement liminaire du conte (p. 553) :
Il vint auprès d’elle. Leurs lèvres
s’unirent dans une joie divine, – oublieuse – immortelle !
Et ils s’aperçurent, alors, qu’ils n’étaient, réellement,
qu’un seul être. (P. 560)
La fusion érotique et amoureuse au delà de ce qu’on appelle
communément la mort et la vie, le réel et l’imaginaire, marque
ici l’orientation fantastique de la nouvelle. Or cette aspiration à l’unité définit
le fondement même de l’aspiration romantique à l’amour qui, par
là même, est aussi aspiration à la mort. C’est cette même
aspiration en effet qui, des Hymnes à la nuit de Novalis à la
nuit de l’amour dans Tristan et Isolde de Wagner, traverse l’imaginaire romantique
au mépris de toute orthodoxie religieuse. Villiers en eut conscience,
et il ménagea dans la version ultérieure de la nouvelle (à partir
de 1876), une fin à double détente. Vous vous rappelez peut-être
que Véra meurt à nouveau, au moment même où, par
une brusque et fatale prise de conscience, son amant se met à douter
de son existence. C’est alors que la clef du tombeau, en tombant du lit nuptial
répond au désir éperdu du comte d’Athol de retrouver Véra.
Et, de ce fait, cette clef propose au lecteur un instrument capital au service
d’une lecture fantastique. Mais du même coup, elle dessine aussi une
bifurcation qui réoriente la nouvelle dans un sens nettement plus religieux,
et il faut ajouter, édifiant. Le lecteur comprend que d’Athol ne peut
rejoindre sa bien-aimée que par la mort, entendons par un dépassement
spirituel qui représente une purification de ce que leur ancien amour
pouvait comporter de trop exclusivement charnel. On en conclura que l’ajout
manifeste aussi un repentir et une auto-censure, puisque l’auteur de « Véra » revient
sur la signification des deux possibles morts d’amour successives – celle de
Véra, celle des deux amants à nouveau réunis –, afin de
laisser entrevoir un amour-au-delà-de-la-mort. Mais Villiers ne dit
pas là son dernier mot.
2. Le double suicide d’Axël et de Sara, dans la dernière « Partie » du
grand drame qui occupa Villiers pendant vingt années de sa vie, porte à la
scène un conflit qui, après avoir opposé les deux protagonistes
pour la conquête de l’or, se dénoue dans la révélation
de l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, et trouve enfin sa résolution
dans la mort d’amour qu’ils choisissent comme degré ultime et indépassable
de leur quête initiatique. À l’instar de Tristan et Isolde, ils
apprennent donc ensemble que l’absolu de leur amour ne peut s’accomplir que
dans la mort, cette « OPTION SUPRÊME » à laquelle
Axël convertit Sara :
L’accomplissement réel, absolu, parfait, c’est le moment intérieur que nous avons éprouvé l’un de l’autre, dans la splendeur funèbre de ce caveau. (T. II, p. 673)
Nulle autre transcendance ici que celle de
l’amour même, qui a le pouvoir
de renverser la signification des termes tels que « réel » et « illusion »,
termes clés à travers lesquels s’opposent deux paradigmes. D’un
côté la lumière, « le soleil » auquel Axël
renonce (p. 671), « le monde extérieur » (p. 673) – entendons
celui de « la Terre » et des phénomènes –, qui deviennent « l’Illusion » (p.
672) ou encore « ce leurre misérable qu’on appelle “vivre” » (p.
675) ; de l’autre côté la pure réalité subjective
de l’amour – « ce trésor qui est en [eux]-mêmes » –
et qui, pour finir, tend vers la « nuit inconnue » de la mort (p.
674). Car la mort préside à leur rencontre, sa beauté mélancolique
dans « la splendeur funèbre du caveau » est d’emblée
la condition et l’horizon de leur amour : « Ô vision dont je voudrais
mourir ! », disait déjà Axël en s’adressant à Sara
(p. 661).
Mais paradoxalement, Axël et Sara sont des amants vierges – et sur ce
point on s’éloigne de Wagner. Ils parviennent néanmoins à la
consommation de l’amour (au sens théologique du terme), dans la mesure
où ils le conquièrent au delà de ce que pourraient représenter
la vie et les tentations de la terre :
– Fatigues bien stériles, Sara ! et peu dignes de succéder à cette miraculeuse nuit nuptiale où, vierges encore, nous nous sommes cependant à jamais possédés ! (P. 672)
Les métaphores filées (aux connotations bibliques) de ce finale marquent en effet la plénitude et l’accomplissement – on voudrait ajouter l’assouvissement – des deux amants qui accèdent ainsi à la connaissance l’un de l’autre :
Vivre ? Non. – Notre existence est remplie et sa coupe déborde ! (P. 671)
Et plus loin :
Rassasiés pour une éternité, levons-nous de table et, en toute justice, laissons au malheureux dont la nature est de ne pouvoir mesurer qu’à la Sensation la valeur des réalités le soin de ramasser les miettes du festin. (P. 672)
Il importe de souligner qu’il s’agit là certes d’un refus, mais nullement d’un déni de la sexualité. Peu auparavant, les paroles de séduction adressées par Sara à celui qui voulait encore la tuer pour ne pas connaître l’amour étaient suffisamment éloquentes à cet égard, et en effet elles convertissent Axël à l’amour. Il faut lire un peu longuement le texte pour rendre sensible toute la sensualité érotique qui traverse la dernière Partie d’Axël. :
Laisse-toi séduire ! Je t’apprendrai les syllabes merveilleuses qui enivrent comme les vins de l’Orient ! Je puis t’endormir en des caresses qui font mourir : je sais le secret des plaisirs infinis et des cris délicieux, des voluptés où toute espérance défaille. Oh ! t’ensevelir en ma blancheur, où tu laisserais ton âme comme une fleur perdue sous la neige ! [LIRE TOUT LE PASSAGE.] Et je te forcerai de balbutier sur mes lèvres les aveux qui font le plus souffrir, – et tous les rêves de tes désirs passeront dans mes yeux pour multiplier ton baiser. (P. 658-659)
Et pourtant ce stade sera encore dépassé, ou plutôt sublimé dans
la splendeur ardente et lyrique du Verbe.
Car vivre ou aimer comme le commun des mortels, c’est s’exposer à la
malédiction du temps, à quoi Axël oppose l’éternité « irrévocable » d’un
moment idéal (p. 673), d’une « drachme d’or » qu’il serait
indigne de « monnayer » (p. 672). Avec un étrange souci
réaliste dans une scène par ailleurs bien éloignée
des contingences terrestres, Axël évoque par contraste l’inévitable
dégradation liée au temps (« toutes les pitiés que
Demain nous réserve »), et avec elle le probable tarissement de
l’amour :
Mais bientôt, puisque c’est une loi des êtres, si nos transports
allaient s’éteindre, si quelque heure maudite allait sonner, où notre
amour, pâlissant, dissipé en ses propres flammes…
Oh ! n’attendons pas cette heure triste. (P. 674)
La mort d’amour en ce sens est donc bien la
victoire sur le Temps, la promesse d’éternité réservée à ceux-là qui
sauront prolonger dans la mort l’extase de l’amour.
3. Doit-on s’étonner que, sur le mode comique, Villiers ait présenté ailleurs
la contre-épreuve d’Axël ? Avec « Les Amants de Tolède » (Histoires
insolites, t. II, p. 283), l’auteur d’Axël transpose les mêmes préoccupations
dans l’Espagne du XVe siècle. Soient deux jeunes fiancés éperdus
d’amour l’un pour l’autre ; soit Torquemada, qui a pris la décision
de les unir « afin que l’essence même de l’amour, qui est le bon
Dieu seul, ne fût pas troublée en [eux] par les trop charnelles
convoitises » : le Grand-Inquisiteur les fait alors envelopper « l’un
contre l’autre de larges rubans de cuir parfumés », puis assujettir
ainsi sur une couche nuptiale :
L’instant d’après, ils étaient laissés seuls, à leur
intense joie […] et si grandes furent les délices qu’ils goûtèrent,
qu’entre d’éperdus baisers ils se disaient tout bas : « Oh ! si
cela pouvait durer l’éternité !… »
Mais rien, ici-bas, n’est éternel, – et leur douce étreinte,
hélas ! ne dura que quarante-huit heures. (P. 285)
La chute est cruelle :
Ils vécurent, presque séparés, dans leurs appartements personnels, et moururent sans postérité, – car, s’il faut tout dire, ils ne s’embrassèrent jamais plus – de peur… QUE CELA NE RECOMMENÇÂT (P. 286)
La nouvelle démontre bien par l’absurde que la passion amoureuse ne
résiste pas à l’épreuve du temps. En fait d’amour, il
n’y aurait donc que la mort d’amour qui permettrait d’accéder à l’absolue
félicité. On se demandera d’ailleurs si le « foudroyant
poison » proposé par Sara à son amant (p. 675), et que
tous deux boiront à la même coupe, ne pourrait pas être
le symbole de cette passion tout comme lui foudroyante – on voit que l’image
est récurrente chez Villiers –, et qui distille en elle-même le
philtre de mort dont Tristan et Isolde avait déjà montré qu’il
n’est pas différent du philtre d’amour.
4. L’Ève future pose également le problème de l’amour
confronté à la mort et à l’éternité. On
y observe une variation sur notre double schéma initial, qu’il décompose
en deux moments successifs. 1° Un jeune Lord tombe amoureux d’une femme
aussi sotte que belle, et donc tragiquement indigne. 2° Le savant-ingénieur
Edison propose alors de lui substituer une réplique artificielle, et
par là même idéale, mais… en même temps réelle.
Du moins tout le roman s’efforce-t-il de prouver la possibilité de sa
création, à condition toutefois que l’Andréide soit appelée à l’existence
par l’amour idéal de Lord Ewald, qui peut seul y prétendre. En
d’autres termes, il ne s’agit de rien de moins que d’incarner l’Idéal
dans le réel, et encore une fois de dépasser les contingences
du temps pour accéder à l’éternité. Pour ce faire,
le romancier doit évidemment s’affranchir des lois communes de l’existence
qu’il prétend respecter sous couvert de la science ; et pourtant, avec
l’apparition de Hadaly, il réussit à fournir – même temporairement
– une solution cohérente et recevable au problème initialement
posé. Mais qu’est-ce que proposait exactement Edison ?
« Éterniser une seule heure de l’amour, – la plus belle, – celle, par exemple, où le mutuel aveu se perdit sous l’éclair du premier baiser, oh ! l’arrêter au passage, la fixer et s’y définir ! y incarner son esprit et son dernier vœu ! ne serait-ce donc point le rêve de tous les êtres humains ? […] Les autres heures ne font que monnayer cette heure d’or. (T. I, p. 917. C’est moi qui souligne.)
On le voit, Villiers inlassablement met en scène ou raconte à nouveaux frais la possible victoire de l’éternité sur le temps, ou encore de l’« heure d’or » sur l’« heure maudite ». Cette heure sublime aura bien lieu dans le roman (comme elle a eu lieu dans Axël) : ce sera celle de l’« Idylle nocturne » (Livre VI, chap. IV et VI, p. 982-983 et 997). À quoi on pourra objecter que l’Andréide finit par disparaître dans le naufrage du bien nommé Wonderful. Mais sur ce point, Lord Ewald et Villiers ont déjà répondu :
– Maintenant, la durée de la beauté la plus radieuse, ne fût-elle que d’un éclair, si je meurs en subissant cet éclair, en aura-t-il été moins éternel pour moi ? Peut importe ce que dure la beauté pourvu qu’elle soit apparue ! (P. 798)
Comment en effet survivre à la rencontre avec l’absolu, et comment
celle-ci ne transcenderait-elle pas le temps ? Villiers pourtant, avec L’Ève
future, n’a pas craint de proposer une utopie de la félicité amoureuse
qui, sans être la mort d’amour, en fournit une transposition et une interprétation
dans le monde de la fiction : tentative inouïe qui, aujourd’hui encore,
conserve au roman tout son pouvoir de fascination.
5. Au terme de ce parcours, il me reste à évoquer « Akëdysséril ».
Ce conte, qui est contemporain du travail sur L’Ève future et sur Axël,
donne à lire la mort d’amour la plus accomplie de l’œuvre de Villiers,
la plus littérale aussi. Pour notre propos, il suffit de savoir que
la reine de l’Inde a usurpé le trône du prince Sedjnour et de « la
princesse Yelka, sa fiancée d’amour » » (L’Amour suprême,
t. II, p. 103). Elle a finalement résolu de les faire périr,
mais, s’adressant au Grand-Pontife de Sivà, elle lui demande « si,
par quelque enchantement, il était possible – que ces enfants condamnés
mourussent d’une joie si vive, si pénétrante, si encore inéprouvée,
que cette mort leur semblât plus désirable que la vie » (p.
116). Or le Grand-prêtre sépare les deux amants et les abandonne à dessein
au désespoir le plus sombre. Il ne s’agit pourtant pas là de
contrevenir aux ordres de la reine, mais au contraire de les respecter scrupuleusement
– ainsi que nous l’apprend la fin du conte :
Car une loi des dieux a voulu que l’intensité d’une joie se mesurât à la grandeur du désespoir subi pour elle : alors seulement cette joie, se saisissant à la fois de toute l’âme, l’incendie, la consume et peut la délivrer ! (P. 123)
Le Grand-Prêtre n’a donc pas failli à sa mission. Et plutôt que de répondre aux accusations de la reine, il lui dévoile enfin le spectacle des deux amants transfigurés dans l’extase mortelle de leur amour. Assurément, Villiers a écrit là une de ses pages les plus inspirées, où passe le souffle d’un lyrisme apaisé par l’évocation d’un mystère sacré – qu’il nous est donné de voir (par la description) plus que de concevoir (par des explications) :
Et là, sur cette couche où les brahmes de Sivà les avaient
posés, ils gardaient l’attitude, encore, où la Mort – que sûrement,
ils n’avaient point remarquée, – était venue les surprendre,
effleurant leurs êtres de son ombre. Ils s’étaient évanouis,
perdus en elle, insolitement, laissant la dualité de leurs essences
en fusion s’abîmer en cet instant unique d’un amour – que nul autre couple
vivant n’aura connu jamais.
Et ces deux mystiques statues incarnaient ainsi le rêve d’une volupté seulement
accessible à des cœurs immortels.
[LIRE TOUTE LA PAGE]
Oui, la résurrection, trop subitement délicieuse, de tant d’inespérées
et pures ivresses, le contrecoup de cette effusion enchantée, l’intime
choc de ce fulgurant baiser, que tous deux croyaien à jamais irréalisable,
les avait emportés, d’un seul coup d’aile, hors de cette vie, dans le
ciel de leur propre songe. Et certes, le supplice eût été pour
eux de survivre à un instant non pareil ! (P. 125)
À ce stade, l’opposition du corps et de l’âme, de l’érotisme
et de l’amour, n’a plus lieu d’être. Il n’est pas non plus question d’une
victoire de l’âme sur le corps, puisque c’est bien corps et âme
que les deux amants ont été emportés – ou mieux « délivrés » –
par la mort. On aura remarqué d’ailleurs que, par l’emploi de ce terme « volupté » plusieurs
fois entendu depuis le début de notre parcours, Villiers ne songe nullement à donner à cet
amour un caractère éthéré. Mais en l’attribuant « à des
cœurs immortels », il l’exhausse jusqu’à ce qu’il nomme aussi « un
transport d’une félicité divine » (ibid.). C’est pourquoi
l’opposition de l’humain et du divin n’a pas cours davantage, tant il est vrai
que la mort d’amour la transcende et fait accéder les deux amants à l’immortalité.
Sur ce « baiser fulgurant » par quoi sont véritablement
ravis les deux amants, notre cercle peut se refermer : la mort d’amour, en
devenant littérale, a parachevé sa plus haute signification,
celle d’une épectase mystique, cette tension toujours plus grande vers
le Ciel, ou encore cette dilatation infinie dans la lumière du Royaume
si l’on en croit saint Grégoire de Nysse (père de l’Égise
d’Orient du IVe siècle, contemporain de saint Augustin).
***
Si donc l’amour, l’érotisme et la mort comptent parmi les Leitmotive
de l’œuvre de Villiers, il importe davantage encore de voir de quelle manière
ils combinent entre eux leurs charges poétiques. Qu’ils soient traités
sur le mode lyrique ou, au contraire, avec cette « poignante ironie [qui]
transportait des Esseintes », ils sont associés au cœur de la
mort d’amour, où je verrais volontiers le mythe personnel de Villiers.
Or cette mort d’amour n’est pas seulement intéressante en ce qu’elle
nous apprendrait quelque chose sur l’imaginaire de l’homme Villiers, sa psychologie
ou ses fantasmes. Encore que… Elle nous révèle bien plutôt
quelque chose sur son imaginaire d’écrivain, sur la manière dont
les matériaux imaginaires voyagent d’un texte à l’autre, se répondent,
suscitent d’autres développements, deviennent en somme matière à création.
Qu’importe au fond si l’imaginaire revient toujours hanter les mêmes
lieux, dans la mesure où l’auteur de « Véra », de
L’Ève future, d’« Akëdysséril » et d’Axël
est doté d’un génie, ô combien inventif ! pour la modulation
et pour la variation.
C’est pourquoi l’œuvre entier de Villiers demande in fine à être
lu comme un seul grand texte, qui donne la mesure de l’univers qu’il a hanté,
et celle d’un projet littéraire situé à hauteur d’Absolu.
L’Amour idéal y a certes sa place, à rebours de cet amour moderne
dont Villiers a dit, par une formule d’une dérision radicale, qu’il était « devenu
quelque peu la poésie de l’hygiène » (Isis, t. I, p. 143).
Mais on pourrait renverser la formule, et Villiers l’écrivain le savait
bien plus que l’homme en lui ne consentait à l’avouer. Car son œuvre
a vocation aussi à nous apprendre – mais ne le savions-nous pas déjà ?
– que l’érotisme est la poésie de la chair, – entendez la chair
faite Verbe.
LA
CRUAUTÉ COMME "EXPÉRIENCE DE PENSÉE"[1]
La
critique nietzschéenne de la philosophie — et plus précisément des philosophes — a montré à
quel point ceux-ci s'abusent en prenant pour "pensée consciente" ce qui "doit être
rangé parmi les activités de l'instinct"[2],
essayant en somme de faire passer l'affect pour du concept. La critique nietzschéenne est également
précieuse en ce qu'elle permet de faire une place à l'artiste au titre de la pensée et d'une pensée
qui aurait dépassé les naïvetés de la philosophie :
"[les
philosophes] se représentent toute nécessité comme une contrainte, une pénible obéissance et
une correction, la pensée même est à leurs yeux quelque chose de lent, d'hésitant, presque un
labeur [...], mais nullement quelque chose de léger, de divin, de très proche parent de la danse
et de la folle gaieté. "Penser" et prendre une chose au sérieux leur semblent aller nécessairement
de pair : ils n'ont pas d'autre "expérience". Les artistes ont peut-être ici un flair
plus délicat : ils savent trop bien que c'est précisément lorsque la nécessité, et non plus
l'arbitraire, conduit leur œuvre que leur sentiment de liberté, de sensibilité, de toute
puissance, de création, de maîtrise, qui fait d'eux des démiurges, atteint son apogée ; alors
pour eux, la nécessité et la "liberté de la volonté" ne font qu'un."[3]
Poussons
le paradoxe : le sérieux est-il compatible avec la philosophie ? Et jusqu'à quel point
l'argumentation — réputée sérieuse — peut elle servir une pensée authentiquement
philosophique ? Toujours est-il que l'art (et en particulier la fiction) peuvent frayer une autre
voie à la philosophie : non pas même celle dont l'activité spécifique serait de "créer des
concepts" au sens où l'entendent Deleuze et Guattari [4] —
qui en font une discipline entière et récusent pour elle un champ interdisciplinaire — ;
mais, malgré Deleuze et Guattari, une "expérience de pensée", et je crois qu'on peut
appliquer à la conception nietzschéenne de l'art l'expression déjà citée de P. Macherey. Pour
ce dernier, ce qu'il appelle la "philosophie littéraire" (chap. 11,
p. 193 sqq. ) n'est ni la pensée exprimée par la littérature — les fameuses idées de
l'auteur —, ni tout ce qui pourrait s'apparenter à un discours second, plus profond, inconscient
et spontané, qui relèverait de manière plus large d'"une sorte d'idéologie de la littérature"
(p. 196). La philosophie littéraire n'est en rien sa substantifique moelle latente ou dissimulée,
elle procède directement du travail qu'elle effectuera "sur le langage comme un matériau à
partir duquel elle élabore ses propres formes" (p. 197). En d'autres termes, elle "est la
pensée que produit la littérature, et non celle qui, plus ou moins à son insu, la produit" (ibid.
). Ou encore, et on ne saurait mieux dire :
Ici
le contenu n'est rien en dehors des figures de sa manifestation : il coïncide avec ces figures,
telles qu'elles se réfléchissent dans le mouvement qui les engendre : on peut parler d'une complète
adhésion du “message” ou véhicule de sa transmission." Si "philosophie littéraire",
il y a, elle n'appartient pas à un "corps d'énoncés" objectivables et extérieurs, elle
relève de la "production" de la pensée, ou plutôt de son énonciation. C'est dire que la philosophie y est de l'ordre du geste qui l'accomplit. (ibid.
)
On évoquera pour finir deux expériences de pensée qui confèrent à la cruauté une valeur et un mérite
proprement philosophiques. L'épreuve de l'ironie d'abord, qui n'est plus la feinte ignorance
socratique de celui qui sait, mais bien la naïveté feinte de celui qui, tout en déstabilisant irrémédiablement
les significations et les valeurs établies, ne permet pas d'en édifier de nouvelles. C'est en ce
sens que l'ironie villiérienne de maint conte peut être qualifiée de philosophique. "Le
Secret de l'ancienne-Musique", par exemple, discrédite à la fois le narrateur qui reflète la
conscience bourgeoise ennemie de la "musique nouvelle", et le musicien représentant de la
musique traditionnelle dont il fait l'éloge. Mais là où la lecture achoppe, c'est que le vieux
musicien est une figure porteuse de valeurs incompatibles, personnage tout à la fois attachant par
son respect de l'art et ridicule sur de nombreux autres plans. La cible de l'ironie se dédouble
donc en fonction de systèmes de valeurs qui ne peuvent coïncider. Le conte met ainsi en place une
stratégie qui interdit au lecteur de s'y retrouver. En ce sens, il existe sans doute un lien privilégié
entre la modernité et la "philosophie littéraire" telle que l'analyse P. Macherey
:
En
dernière instance, tous les textes littéraires auraient pour objet, et là serait véritablement
leur "philosophie", la non-adhésion du langage à soi, l'écart qui sépare toujours ce
qu'on dit de ce qu'on en dit et de ce qu'on en pense : ils font apparaître ce vide, cette lacune
fondamentale sur laquelle se construit toute spéculation, qui conduit à en relativiser les
manifestations particulières. Ce rapport
ironique à la vérité [5],
qui sollicite une compréhension avant tout désabusée, fait de la philosophie littéraire une expérience
de pensée essentiellement problématique : cette expérience consiste à montrer les problèmes
philosophiques, à les exposer, à les "montrer", comme on organise la représentation
d'une pièce de théâtre, en faisant l'économie d'une résolution définitive, ou prétendue
telle, de ces problèmes, c'est-à-dire de la tentative d'y mettre fin, de les
supprimer, par des
raisonnements. (op. cit., p. 199)
Il
s'ensuit parfois — seconde épreuve cruelle — une déconstruction ou une déroute du sens dont
les implications peuvent être qualifiées de métaphysiques, parce qu'elles ruinent définitivement
la confiance du lecteur dans la parole de l'auteur. Quels que soient en effet le sujet ou le
registre abordés, on postulera que la lecture n'a rien de subversif tant que ne sont pas mises en
question les lois de la coopération textuelle dont l'auteur est le garant. Mais dès lors que toute
herméneutique est rendue impossible, la lecture — déçue — apparaît pour ce qu'elle est, une
activité spontanément "monologique" (pour parler comme Bakhtine) ou "logocentriste"
(pour parler comme Derrida), — expérience ô combien cruelle qui atteint au cœur la métaphysique
: on voit par là à quel point la fiction moderne est exigeante. C'est ce dont Flaubert avait eu la
géniale intuition lorsque, dès 1850, il avait prévu d'assortir le Dictionnaire des idées reçues d'une
préface
"arrangée de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de
lui, oui ou non"[6].
Et tel est bien le programme que Villliers s'appliquera à mettre en œuvre. Il n'est pas sûr que
nous, lecteurs modernes, puissions nous remettre complètement de ce bouleversement.
Et
quoique "l'ineptie consiste à vouloir
conclure " (ibid. ), on prendra
au moins le parti de finir.
Certes, il importe de faire place à l'argumentation et, au-delà, à l'argumentativité dans la
fiction en général, et dans tous les contes cruels de Villiers en particulier. Pourtant il importe
peut-être moins qu'il y ait de l'argumentation dans la fiction, que la fiction
soit choisie (plutôt que toute autre forme de discours) comme voie argumentative. Et encore
faudrait-il pouvoir dégager une "dominante" argumentative comme définissant la visée
propre de tel texte de fiction. Car on se trouve alors en butte à l'objection fameuse de Baudelaire
qui, sur un plan plus général, affirmait dès 1857 que la poésie "n'a pas la Vérité pour
objet" ni une quelconque finalité morale ou didactique, mais seulement "elle-même"[7].
Or
chez Villiers en particulier — mais l'analyse peut être extrapolée à la modernité qui nous
permet désormais d'en prendre la mesure —, la fiction justement comprise trouble, dépasse et
finit par oblitérer toute visée argumentative. En d'autres termes la fiction, et c'est là sa
cruauté, entretient "un rapport ironique à la vérité" — pour reprendre l'heureuse
formule de P. Macherey. Assurément il n'est pas de philosophie de Villiers (ou du moins qui mérite
qu'on s'y intéresse). Ses contes ne sont pas même philosophiques au sens où le sont ceux de
Voltaire. Moins encore Villiers se soucie-t-il d'élaborer des concepts. Mais sa cruauté est
philosophique en tant qu'expérience de pensée que le lecteur est invité à faire
sienne. Et il
peut y apprendre, s'il veut voir ce que la fiction lui montre sans que néanmoins
aucune
argumentation ne le démontre, que la philosophie, —
pour peu qu'elle ait fait sienne la leçon de Nietzsche —,
interroge non les énoncés, mais les énonciations.
[1]
P. Macherey, op. cit., p. 177.
[2] "Des préjugés des philosophes", Par
delà le
bien et le mal, Laffont, coll. Bouquins, t. II, p. 562-563.
[3] "Nous, les savants", ibid., p. 662-663.
[4]
Qu'est-ce que la philosophie ? , Paris, Minuit, 1991.
[5]
C'est moi qui souligne.
[6]
Extraits de la correspondance ou préface à la vie d'écrivain, éd. G. Bollème,
Paris Le Seuil, coll. Pierres vives, 1963, p. 52.
[7] "Notes nouvelles sur Edgar Poe", Nouvelles
Histoires extraordinaires, édition GF, p. 43.
Extraits de
Le
conte cruel est-il l'avatar du conte philosophique ? À propos
de Villiers de l'Isle-Adam, Séminaire
ÉCRIRE 1994-1996,
"Argumentation et fiction"
Au
fond, la divergence profonde entre Villiers et Mallarmé tient à la représentation que chacun se
fait de ce médium, la parole, qui les sacre pourtant tous deux poètes,— et qui plus est poètes
"musiciens" par leur souci commun d'opérer la "préalable disjonction" de la
parole commune, ou, comme la nomme encore Mallarmé, le "bavardage" (p. 385). Mais ils
n'emploient pas les mêmes mots, et la différence de registre est ici décisive. Villiers aspire à
laisser une Œuvre, quand Mallarmé est le poète du Livre. Là où le premier pense "son"
et "voix", le second pense "écriture" ; là où l'un privilégie la
"vibration" et la "résonance", l'autre privilégie la "vision", —
précisément parce que la musique est pour lui l'affaire de l'esprit plus que
de l'oreille (p. 649)
:
[...]
oublions la vieille distinction, entre la Musique et les Lettres, n'étant que le partage, voulu,
pour sa rencontre ultérieure, du cas premier : l'une évocatoire de prestiges situés à ce point
de l'ouïe et presque de la vision abstrait, devenu l'entendement ; qui, spacieux, accorde au
feuillet d'imprimerie une portée égale.[1]
Aussi
l'Esprit est-il la faculté maîtresse requise par Mallarmé, alors que Villiers en appelle à
"l'Intelligence". Rendant hommage à l'ami disparu, Mallarmé ne célébrera pas moins en
lui le poète absolu dont l'art peut opposer à la musique "une magnificence égale et de plus
notre conscience, cette clarté" (p. 507) ; et il ajoute cette définition de la poésie que
seul Villiers peut incarner aussi magnifiquement : "le Verbe, quand c'est quelqu'un qui le profère".
Curieux hommage , de la part de qui prône "la disparition élocutoire du poëte" dans l'œuvre
pure (p. 366). C'est que tout à la fois proches et lointains, Villiers et Mallarmé, si hantés
soient-ils tous deux par leur mission de poète et le rôle central qu'y joue la musique, ne peuvent
pas mobiliser celle-ci au service du même imaginaire. Á Villiers le prestige d'une parole qui veut
être proférée et entendue, à Mallarmé celui d'une parole qui veut être lue. Les paradoxes sont
donc ici exactement symétriques : Mallarmé veut donner à lire la musique des mots du poète —
qu'il oppose à la "poésie sans les mots" du musicien (p. 389)[2] —,
alors que Villiers veut donner à entendre la voix de l'écriture. Paradoxe qui se double d'un
autre, cette fois partagé,.qui lie profondément leur conception de la musique à cette esthétique
du silence[3] que,
pour finir, je voudrais tenter de préciser chez Villiers.
Au
sein de la fiction d'abord, le silence sera le signe d'une communication utopique
et idéale. Ce
sont par exemple, dans L'Ève future, les mots de Lord Ewald à la fiancée espérée
(t. 1, p. 981) :
«
Chère Alicia, [...] ce que j'aurais à te dire est fait de joie et de silence : mais d'une joie
plus recueillie et d'un silence plus merveilleux que celui même qui nous environne
! [...] »
Ce
sont aussi les derniers mots de Sara à Axël, avant que le Liebestod
ne les emporte dans la bienheureuse nuit du silence (t. 2, p. 677) :
Maintenant,
puisque l'infini seul n'est pas un mensonge, enlevons-nous, oublieux des autres
paroles humaines, en
notre même Infini !
Or
il n'est pas chez Villiers de rupture entre le silence de la communication amoureuse
et celui de la
communication poétique, mais au contraire une relation d'analogie. Dans les deux cas, le silence
est la valeur attachée à la réserve infinie du sens. Car telle est bien la nature du plus haut
secret, celui qui est entretenu dans sa profération même. Mais là encore il faut que le poète,
ou le musicien, exprime en son langage ce qu'il est donné aux êtres nobles d'éprouver. La voix du
poète, qu'on ne s'y trompe pas, c'est ce que Flaubert eût appelé "le style", et non
point quelque épanchement spontané de l'âme. Car si la nature fournit des symboles, Villiers ne
la croit pas elle-même artiste[4] (tout
au plus met-elle "sur la voie de l'art", comme le suggérera plus tard
Proust dans Le
Temps retrouvé ). Il incombe
dès lors à
l'artiste, poète ou musicien, de faire du silence un acte énonciatif, à l'image de celui qui
s'épanouit dans le style, selon une belle formule de Sartre qui désigne l'horizon de toute littérature
: "Le style, c'est le silence du discours, le silence dans le discours, le but imaginaire et
secret de la parole écrite."[5] Tous
les termes y sont, qui définissent la littérature comme esthétique du silence : conquête
fragile sur le néant qui est sans doute plus particulièrement la condition moderne de l'œuvre
d'art. L'Inconnue du conte en illustre la version négative et mélancolique, liée à cette
"aura" perdue de la modernité dont a parlé Walter Benjamin[6].
Déclaration en effet hautement symbolique que cette réponse de la "Passante" — on
songe ici évidemment à Baudelaire — à celui qu'elle aussi
eût aimé (loc. cit.,
p. 720) :
—
Va ! je suis celle qui ne t'oubliera pas ! [...]. — Comment oublier les mots pressentis qu'on n'a
pas entendus ?
En musicien autant que philosophe, Jankélévitch évoque "[c]e point intangible où la musique est devenue la voix même du silence, où le silence s'est fait musique"[7]. Villiers, quant à lui, a voué sa vie d'écrivain à faire entendre une voix absente, cette autre voix du silence, la littérature.
[1] Voir aussi la définition de la musique dans la lettre à Edmund Gosse du 10 janvier 1993, reprise dans Mallarmé, Correspondance, éd. B. Marchal, Paris, Gallimard, coll. Folio classique, 1995, p. 614 (lettre également citée par S. Bernard,op. cit., p. 75) :
Employez
Musique dans le sens grec, au fond signifiant Idée ou rythme entre des rapports ; là,
plus divine que dans l'expression publique ou symphonique.
[2] Sur cette opposition, voir S. Bernard, op. cit., p. 43.
[3] S. Bernard montre que le paradoxe n'est qu'apparent (op. cit., p. 41):
[...]
en quoi un art qui n'a pas besoin de rompre le silence pour exister,
la peinture par exemple,
pourrait-il se proposer le silence comme une fin particulière [...] ?
[4] D'où la déclaration prêtée à Wagner selon laquelle "l'Artiste véritable" doit réunir les dons de la Science et de la Foi (p. 424-425) :
« [...]
si, d'une part, la seule Science ne peut produire que d'habiles amateurs,
[...] d'autre part, la
Foi, seule, ne peut produire et
proférer que des cris
sublimes qui, faute de se concevoir eux-mêmes, ne sembleront au vulgaire, hélas, que d'incohérentes
clameurs [...]. »
[5] L'Idiot de la famille, cité par P.van den Heuvel, Parole, mot, silence, Paris, Corti, 1985, p. 70. Voir les p. 65 sqq. sur cette difficile question théorique et esthétique du silence. Pour Villiers, voir le dernier chapitre de mon ouvrage.
[6] Charles Baudelaire, Paris, Payot, éd. 1994, p. 196 sqq.
[7] La Présence lointaine, Paris, Le Seuil, 1983.
Extraits
de PAROLE(S) ET MUSIQUE :
VILLIERS OU LA VOIX DE L'ÉCRITURE, Colloque de Fribourg :
16-17 juin 1995
Le "Contes cruels" comme
nouvelles : pour une poétique moderne du recueil
Villiers
conteur entendait marcher sur les traces d’Edgar Poe. Outre une certaine
veine d’inspiration, il lui emprunte la conception du récit court fondée sur la considération primordiale d’un « effet
à produire »[1].
Il y a pareillement chez Villiers une véritable obsession de l’effet. « “Cela fera de
l’effet”, rapporte Max Daireaux, était une de ses locutions familières »[2].
Or, à la différence de ce qui se passe chez Poe pour ses contes, ou chez
Baudelaire pour les Petits
poèmes en prose [3], la
question de l’effet doit être reconduite chez Villiers au niveau de l’ensemble du recueil grâce
à un dispositif complexe où la cruauté intervient comme principe de tension dans
la composition.[4] Car c’est là que se pose pour finir la
question de l’appartenance générique. Encore celle-ci doit-elle être envisagée avec prudence,
et en se débarrassant de toute prétention essentialiste.[5] Jean-Marie
Schaeffer a, me semble-t-il, définitivement montré à quel point l’œuvre littéraire,
point de rencontre de logiques génériques contradictoires, est « un objet sémiotique
complexe »[6],
— c’est-à-dire dans lequel le texte proprement dit ne saurait être coupé de l’« acte
communicationnel » (p. 134) qui le sous-tend. Plus précisément, la question du genre ne peut
trouver de réponse dans une analyse thématique ou formelle cantonnée aux seuls niveaux sémantique
et syntaxique[7] de
l’œuvre, et qui négligerait son « intentionnalité pragmatique » (p.
185). Or, si avec les Contes cruels, Villiers donne non des nouvelles,
mais un recueil de
nouvelles, il faut comprendre que la question du genre dépasse celle du statut de chaque texte
considéré isolément. C’est que chacun répond en effet à maint autre, et de plusieurs façons,
ne serait-ce que par l’effet de prolongement ou de contraste nécessairement induit par la contiguïté
: « Conte d’amour », par exemple, qui dissonne de façon étrange avec « Véra »
qu’il reprend comme à rebours[8] et
presque à l’autre bout du recueil, consonne de façon plus étrange encore avec « Le
Traitement du docteur Tristan » qu’il suit immédiatement, bien que tout — le genre, le
sujet, la forme, le ton — semble l’en séparer a priori . En effet, le protagoniste de « Conte d’amour » ne
porte-t-il pas aussi
« le deuil des mots [qu’il a] tués » (p. 753), à commencer par le mot
« amour » que le titre du poème contenait ironiquement comme une promesse mensongère ?
C’est ainsi qu’un cycle de poèmes devient une sorte de nouvelle cruelle, et que les différences
génériques tendent à se relativiser dans l’espace du recueil.
Nous
avons vu pourtant que Villiers avait affranchi la nouvelle de la nécessité de
raconter.[9] Mais
en suggérant un parcours, même énigmatique et ouvert, le recueil tout entier la ressaisit
pour composer une méta-histoire, qui rejoue à un autre niveau l’effet mis en œuvre dans les
« nouvelles singulières ». C’est ce que suggère telle proposition critique
stimulante :
[...]
ainsi que le montre cet « Annonciateur » sur lequel débouche la suite des contes, c'est
par [la mort] que l’on parvient à la vérité. On peut considérer le volume comme une lente montée
vers le triomphe d’Azraël, qui est annoncé dans le premier conte par la mort d’Olympe de
Bienfilâtre ; par quelques éléments de mise en scène discrets mais précis, Villiers suggère
que Maxime, l’amant d’Olympe, joue le rôle de l’Ange de la mort [...]. La même scène se
reproduit dans « Duke of Portland », « Le Désir d’être un homme »,
« La Reine Ysabeau », « L’Intersigne ». Ainsi la mort se révèie-t-elle
comme le thème central du recueil, lente préparation à « L’Annonciateur » [...]
[...]
Ainsi les Contes cruels semblent-ils une fuite, une perpétuelle tentative de dresser à l’aide
de mots, un barrage contre la Mort qu’ils évoquent. [...]. (Art. cité, p. 167)
On
n’échappe donc pas à l’empire du récit, que celui-ci soit patent, suggéré voire réélaboré
par ce qu’il faut bien appeler la « fiction critique ». Mais l’auteur des « Demoiselles
de Bienfilâtre » ou de « Véra » ne s’inscrit pas moins en faux contre la définition
de la nouvelle qui a cours, celle de Calmann Lévy... ou celle de Littré : « sorte de roman
très court, récit d’aventures intéressantes ou amusantes »[10]. À la suite d’Edgar Poe, Villiers n’a en effet plus besoin du roman pour légitimer la
nouvelle, et s’il le faut, il renverse à la fois la hiérarchie et le terme de rérérence des
genres : « Sauf accident, un roman n’est qu’un conte stupidement délayé »[11].
Mot significatif qui débarrasse la nouvelle du complexe du roman. À quoi il convient d’ajouter
qu’entre le roman et la nouvelle, il y a désormais place pour le recueil
de nouvelles, genre que Villiers illustre beaucoup moins qu’il ne l’invente[12]. La preuve en est que,
bien souvent, la définition
proposée pour la nouvelle au XXe siècle s’applique déjà pleinement
aux Contes
cruels et aux recueils qui suivront[13]
:
La
nouvelle est un miroir que l’on promène le long d’un chemin, mais ce miroir est brisé : le
nouvelliste va jouer avec les éclats, les éclaboussures, sans chercher à les fondre en un seul récit,
sans prétendre à une harmonie. »[14]
*
***
Genre
mélancolique, le recueil de nouvelles, contre les chimères de l’art total en cette fin de siècle,
lance donc le défi de l’unité perdue, et non recomposée. Du point de vue formel, la nouvelle,
et au-delà le recueil, ont donc partie liée avec la modernité parce qu’ils supposent une vision
du monde éclatée[15].
Et pour peu que l’on souscrive à l’idée que « par sa brièveté, la nouvelle entretient
d’évidents rapports avec la mort, tout recueil [...] [n’étant] qu’une série de morts
successives »[16],
on est tenté de dire, en termes de poétique historique, que les Contes
cruels opèrent un redoublement au niveau formel de ce qui est déjà, au plan du
contenu, le parcours symbolique de l’œuvre. Le génie de Villiers est peut-être alors d’avoir
su instituer et formuler ce lien entre nouvelle, modernité et cruauté. Car il faut bien lui
reconnaître l’invention du « conte cruel », au sens générique — ou subgénérique
— de l’expression. Celle-ci est appelée à faire fortune, et l’épithète à devenir, après
Villiers, presque une épithète de nature. Les contes de Mirbeau ont ainsi été récemment édités
sous l’étiquette Contes cruels[17].
Pour Yves Vadé, « un texte comme « La Corde », qui est un
des plus longs du Spleen
de Paris et qui se présente comme un récit fait
à l’auteur par un de ses amis, paraît plus proche de la nouvelle (ou plus précisément du
« conte cruel » au sens où l’entendait Villiers de l’Isle-Adam) que du poème
en prose. (op. cit., p. 110). Tout se passe donc comme
si le label (énigmatique, certes) dispensait d’une impossible définition. C’est dire que la poétique
des genres n’en a pas fini avec les séductions retorses de cet objet hautement problématique
qu’est le recueil de nouvelles[18]
. Et sans doute est-ce bien ainsi.
[1] « La genèse d’un poème », in Histoires grotesques et sérieuses, trad. C. Baudelaire, éd. Folio, p. 268.
[2] Villiers de l’Isle-Adam , l’homme et l’œuvre, Paris, Desclée de Brouwer, 1936, p. 349.
[3] On sait, en ce qui concerne le premier, que la composition en recueils est essentiellement le fait d’une construction et d’un choix baudelairiens ; et la fameuse lettre-dédicace du Spleen de Paris à Arsène Houssaye insiste sur la liberté du lecteur à l’égard d’un d’un ouvrage divisible en « fragments [dont] chacun peut exister à part » (Œuvres complètes, éd. Y.-G. Le Dantec, Bibliothèque de la Pléiade, éd. 1954, p. [281].
[4] En dépit de l’élégance de la formule, je ne souscrirais pas à l’idée que « Villiers a donné à ses contes une véritable unité organique en les équilibrant par systèmes de rosaces complémentaires » (J.-H. Bornecque, Villiers de l’Isle-Adam créateur et visionnaire, Paris, Nizet, 1974, p. 99) : résolution trop « classique » et qui, à mon sens, fait bon marché de la cruauté.
[5] Voir J.-M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? Paris, Éditions du Seuil, coll. Poétique, p. 155 : « [...] la problématique générique ne peut être abordée avec succès que si on relativise la notion d’identité textuelle. »
[6] Ibid., p. 79.
[7] Ce dernier terme est entendu dans un sens large, puisqu’il regroupe les facteurs grammaticaux, les facteurs phonétiques, prosodiques et métriques, les traits stylistiques, et enfin les traits d’organisation discursive (op. cit., p. 112-115).
[8] Voir le dernier poème du recueil, « Rencontre » (p. 739) :
Tu secouais ton noir
flambeau ;
Tu
ne pensais pas être
morte ;
J’ai
forgé la grille
et la porte
Et
mon cœur est sûr du
tombeau.
[...]
Tu
crois au retour sur les pas ?
Que les seuls sens font
les ivresses ?...
Or,
je bâilllais en tes
caresses :
Tu ne ressusciteras pas.
[9] Sans qu’on veuille préjuger de la qualité des contes incriminés, il est significatif qu’un critique comme Max Daireaux, dans un jugement néanmoins admiratif porté sur l’ensemble de l’œuvre, semble rejeter a priori les textes non narratifs :
« Mais
ces contes, privés d’action, de nerf et, si l’on veut, de sujet, représentent un faible déchet.
Sur les soixante-quinze nouvelles, environ, publiées par Villiers de l’Isle-Adam, il n’en
est guère plus de dix qui soient de cette qualité. » (ibid., p.351)
[10] À noter que les exemples de Littré, empruntés à Scarron et à Mme de Genlis, renvoient, non aux Italiens, mais aux Espagnols (principalement Cervantès).
[11] Cité par Max Daireaux, op. cit., p. 188.
[12] Pour Luce Guillerm, l’espace de la nouvelle est dès l’origine un refuge dressé contre la mort : voir « L’aspiration à l’unité organique des recueils : l’exemple fondateur du dispositif boccacien », in La Nouvelle, définitions, transformations, textes recueillis par Bernard Alluin et François Suard, PU de Lille, 1990, p. 43-58.
[13] L’Amour suprême (1886), les Histoires insolites et les Nouveaux contes cruels (1888), mais aussi Cœur double (1891) et Le Roi au masque d’or (1892) de Marcel Schwob, ou encore les Histoires magiques (1894) de Remy de Gourmont et les Histoires désobligeantes (1894) de Léon Bloy.
[14] Christian Congiu, cité par Jean-Pierre Blin, « Nouvelle et narration au XXe siècle », in La Nouvelle, définitions, transformations, op. cit., p. 122.
[15] C’est ce que Thierry Ozwald appelle les « fondements phénoménologiques de la nouvelle », op. cit., p. 16-22.
[16] Jean-pierre Blin, loc. cit.
[17] Édition J.-F. Nivet et P. Michel, deux tomes, Paris, Séguier, 1990.
[18] Voir Daniel Grojnowski, « L’Amateur de nouvelles », in Maupassant Miroir de la Nouvelle, textes réunis et présentés par J. Lecarme et B. Vercier, PU de Vincennes, coll. L’Imaginaire du texte, 1988, p. 11 :
« La
nouvelle atteint sa pleine mesure dans l’espace du recueil. Cessant de jouer le rôle de
parente pauvre, elle supporte alors d’être comparée, à son avantage. À condition que le
recueil ne présente pas une suite de morceaux assortis, son dispositif l’emporte sur celui de
la fiction au long cours : il se prête à la diversité des circuits, il engage un nombre
illimité de combinaisons. On le lit dans tous les sens. Les différentes pièces se colorent
les unes les autres, elles interfèrent, modifient les relations d’ensemble. En ce lieu de déambulation
je perçois les éléments d’un point de vue chaque fois différent. »
Extrait de Villiers de l'Isle-Adam et la poétique de la nouvelle,ou comment lire les Contes cruels ?
—
Peut-on tomber amoureux de son ordinateur ?
—
Oh, oui !
La
Publicité (Le Monde, 15 septembre 1999)
pygmalion
et Ixion, deux mythes célibataires
Le
mythe de Pygmalion chez Ovide
Se
souvient-on que les Propétides, pour avoir nié la divinité de Vénus, avaient été châtiées
par la déesse, et qu’elles furent les premières à prostituer leurs charmes ? À la
suite de
quoi ces femmes au cœur dur furent insensiblement changées en pierres. On
connaît mieux en revanche la suite de l’histoire. Un jeune homme, très violemment affecté par
leur conduite, s’était voué à un éternel célibat. Il avait néanmoins sculpté une statue de
jeune fille si belle qu’il s’en éprit passionnément. Aussi supplia-t-il Vénus de lui accorder
pour épouse une jeune fille semblable à celle qu’il avait sculptée. La déesse anima la statue,
et c’est ainsi que Pygmalion put épouser celle qu’il aimait et dont il eut une fille, qui a
donné son nom à l’île de Paphos. Tel est le mythe qu’Ovide nous raconte au livre X
des Métamorphoses.
Trop souvent réduit à l’épisode de Pygmalion et Galatée (non nommée chez Ovide), on voit que
le récit compose plus largement, sous le signe de Vénus, un diptyque dont les volets se répondent
avec une parfaite symétrie : à la pétrification par défaut d’amour succède la métamorphose,
grâce à la puissance du même amour, du marbre inerte et froid — frigide ? — en une créature
de chair qui s’offre à son tour à son amant. L’amour de l’artiste pour l’objet de sa création
est donc un aspect du mythe qui s’inscrit aussi dans une symbolique plus large de l’amour partagé et consacré par la divinité.[1] C’est dire si on est loin
de l’interprétation
romantique du mythe de l’artiste comme créateur solitaire ![2]
L’Ève
future, une
réécriture du mythe de Pygmalion ?
Or, à bien des égards,
l’argument de L’Ève future de
Villiers de l’Isle-Adam semble restituer fidèlement la trame du récit originel. Désespéré par
l’incurable médiocrité de la femme qu’il aime, dont la vulgarité morale contredit la
perfection d’une beauté pareille à celle de la Vénus de Milo, un jeune lord accepte le pacte
que lui propose son ami inventeur : il s’agira de donner vie à une réplique artificielle de
la femme vivante qui, en revanche, répondra idéalement à ses désirs. On peut donc sans trop de difficultés redistribuer les rôles de l’histoire
primitive. Alicia, la maîtresse de Lord Ewald, est une Propétide, tout comme avant elle Evelyn
Habal — dont le nom signifie « vanité » —, la femme perverse qui a entraîné la déchéance
et le suicide de son amant, et suscité chez Edison l’idée de créer une « Andréide ».
Lord Ewald, grâce à l’intervention décisive du savant, pourrait bien être « le
Pygmalion moderne », amoureux lui aussi d’une beauté dont on a vu que le modèle esthétique
était clairement affirmé. Hadaly — dont le nom signifie « Idéal » —, sera Galatée,
ou « l’Ève future ». Quant à Vénus, son rôle est tenu par la Science et l’Électricité,
qui, par le truchement de l’intercesseur Edison, acquièrent un caractère quasi-surnaturel.[3]
Le
mythe d’Ixion et la problématique du désir célibataire
Si
elle nécessite quelques déplacements, une telle lecture n’en conserve pas moins tous les éléments
fondamentaux du mythe. Mais du coup, elle occulte peut-être le renversement qu’elle fait subir à
la logique profonde du récit d’Ovide. Car au fond, Pygmalion n’est un célibataire
qu’accidentel et provisoire, que son aventure amène à découvrir la vertu irremplaçable du
couple humain. On pourrait même gager que la statue de celle qui devient Galatée signera la fin de
sa carrière d’artiste, et qu’il se contentera dès lors d’être un amant — et un père —
heureux, tel le fils du Titien dont Musset nous dit qu’il renonce à la peinture pour l’amour,
préférant au portrait de sa bien-aimée « un baiser du modèle »[4]. Résolution prosaïque peut-être, mais qui
donne à lire un mythe d’apaisement et d’intégration, tout entier tendu vers la réparation du
méfait initial.
Or
l’histoire que nous conte Villiers accomplit un trajet résolument inverse, et de ce fait beaucoup
plus inquiétant et problématique : amoureux d’une femme réelle qui le déçoit
cruellement, Lord Ewald souhaiterait proprement la pétrifier, la métamorphoser en statue pour la
cantonner au rang d’objet esthétique :
Son être moral m’a glacé les sens à jamais :
ils en sont devenus purement contemplatifs. Voir
en elle une maîtresse me révolterait aujourd’hui !
Je n’y suis donc attaché que par une sorte d’admiration douloureuse. Contempler Miss Alicia
morte serait mon désir, si la mort n’entraînait pas le triste effacement des
traits humains !
[5]
En
toute logique, la « frigidité » de Lord Ewald va de pair avec la mort du désir — ou
le désir de voir Alicia morte — dont elle est le symptôme, alors que Pygmalion, dans l’échauffement
de son désir, aspirait à étreindre une femme de chair qu’il finit, Vénus aidant, par attirer
à la vie : l’ardeur inassouvie du jeune Chateaubriand réclamait-elle autre chose de son
« fantôme d’amour »[6] ?
En revanche, préférer la statue à la femme, ou la femme artificielle à la femme de chair, voilà qui
met en jeu le désir célibataire puisque
loin d’en
appeler à l’autre, il s’auto-entretient et se nourrit d’une conception unilatérale du désir,
au fond d’une négation de l’amour. C’est pourquoi L’Ève
future pourrait bien tenir du mythe d’Ixion, dont nous ferons, après M. Carrouges,
« le prototype archaïque » du désir et de la machine célibataires[7].
Parjure et meurtrier de son beau-père, Ixion, nullement reconnaissant envers Zeus qui lui avait
pardonné ses crimes et l’avait invité à sa table, tente de séduire Héra ; mais le roi
des dieux crée une nuée qui ressemble à son épouse et qui donne le change à Ixion. Après quoi
celui-ci est attaché par Hermès à une roue enflammée qui tourne éternellement au fond des
Enfers. Ixion, qui s’est satisfait d’un simulacre, amorçant ainsi une déshumanisation, ou une
mécanisation du désir, est donc lié à une machine élémentaire et condamné à désirer
toujours et à rester toujours inassouvi, « pendant que le feu et
la fumée ravivent sans cesse l’ardeur de ses désirs et le souvenir de la Nuée trompeuse. »[8] Par
l’incendie et le naufrage du bien nommé Wonderful, Lord Ewald serait-il frappé du châtiment
d’Ixion ? Pour avoir renié tout amour humain, le voilà désormais voué au tourment nécessairement
« inconsolable » d’avoir perdu en Hadaly l’Illusion idéale (VI, xv, p. 348). C’est bien là le cœur de la problématique célibataire, qui tient à
l’impossibilité ou au refus de l’amour humain dans sa dimension fondamentale d’expérience de
l’altérité, de l’échange et du partage, au profit d’un succédané de l’amour.[9]
Rien d’étonnant alors à ce que le mythe ait trouvé sa plus parfaite expression à l’ère
industrielle, dans un monde déshumanisé où les machines peuvent symboliser l’angoisse
et la
solitude de l’homme moderne.
Il
n’en est pas moins vrai — du moins voudrait-on le montrer — que le roman de Villiers
reste
tiraillé entre les postulations contradictoires des mythes d’Ixion et de Pygmalion, ce qui le
rend d’ailleurs hautement problématique (sans résolution possible ni pensable)… à moins de
trancher — comme le fit Huysmans avec beaucoup de désinvolture — le nœud gordien qui enserre
toute l’esthétique du roman.[10] Mais
il faut aussi du discours de l’œuvre passer à l’œuvre elle-même, et interroger
l’appartenance de L’Ève future au genre
du « roman
célibataire », depuis peu répertorié comme la forme datée du roman de la Décadence,
envisagé tant du point de vue de son contenu que de sa réalisation formelle.[11]
Car la coïncidence est trop forte pour qu’on ne se risque pas à mettre
en relation les
deux niveaux d’analyse. En d’autres termes, avec L’Ève
future , le roman lui-même deviendrait-il l’avatar de la machine célibataire, ou, pour mieux
dire, sa mise en abyme textuelle ? La question mérite au moins d’être posée.
[1] Pour
Michel Manson, « le livre X des Métamorphoses est
[…] subtilement et savamment composé pour mettre en relief le mythe de Pygmalion et délivrer
ainsi un message sur la meilleure façon de réussir l’amour humain, de vivre en bon accord
avec le monde divin et de donner, par l’art, sa plus grande noblesse à l’homme. » (« Le
mythe de Pygmalion est-il un mythe de la poupée ? », Colloque
Présence d’Ovide, Les Belles Lettres, 1982, p. 116.
[2] Sur
cette question, on consultera la thèse d’Anne Szmulewicz-Geisler, Le
Mythe de Pygmalion dans la littérature du XIXe siècle. Pour
une approche de la coalescence des mythes, Doctorat N.R., Paris VII,
1996. Les p. 439-460 sont consacrées à L’Ève
future. Dans une autre
perspective que la mienne, l’auteur montre bien que, tout en fournissant
la version sans doute la plus accomplie du mythe, le roman de Villiers en
vient à le dépasser.
[3] Pour
cette distribution, je souscris à l’analyse d’Anne-Claire Tessier, Le
Mythe de Pygmalion dans la littérature du XIXe siècle, Mémoire
de D.E.A., Grenoble 3, 1995, p. 62.
[4]
Premières Poésies, Poésies nouvelles, Gallimard, « Poésie », éd. 1995, p. 339.
[5] Édition A. Raitt, Folio, 1993, pour toutes les références :
voir L. I, chap. xix, p. 101-102.
(Les livres et les chapitres ne seront en règle générale distingués que par
l’utilisation respective des grandes et des petites capitales.)
[6] Chateaubriand
recourt d’ailleurs au mythe avec beaucoup de justesse pour exprimer l’intensité
de son désir et de sa frustration juvéniles : « Pygmalion fut moins amoureux de sa
statue : mon embarras était de plaire à la mienne » (Mémoires
d’Outre-Tombe, livre 3, Livre de poche, « Classiques modernes », 1998, p. 91).
C’est bien d’amour qu’il s’agit, qui en appelle à une réciprocité. Parvenu à la satiété,
voire au dégoût de la femme de chair, Lord Ewald nous paraît beaucoup plus « vieux »
que Pygmalion. C’est en quoi il est un personnage décadent.
[7]
Les Machines célibataires, Paris,
Chêne, nouvelle édition
entièrement revue et augmentée, p. 8. Il va de soi que c’est la perspective retenue ici
qui commande cette opposition sans préjudice d’autres mythes, à commencer par ceux de Prométhée
et de Faust qui sont explicitement convoqués par le roman.
[8]
Ibid., p. 157. M. Carrouges commente en ces termes une
gravure du XVIIIe siècle représentant le supplice d’Ixion. Mais il
oppose par ailleurs la structure du mythe, où « la faute et le châtiment sont
discontinus et […] mutuellement conditionnés par une conception judiciaire de la morale »,
et celle des machines célibataires, où « l’assouvissement du désir sexuel hors de
l’amour mutuel déclenche l’inassouvissement torturant de l’amour, dans la mécanique de
l’être humain ».
[9] À cet égard, le Nathanaël de « L’Homme
au sable » fait preuve d’une dérive célibataire caractérisée, lui qui oublie sa
fiancée, humaine trop humaine, pour Olimpia en qui il a projeté l’absolu de son désir.
Aussi s’enferme-t-il dans une folie solipsiste qui le conduit au suicide.
[10]
C’est Remy de Gourmont qui rapporte cette proposition de dénouement :
« Lord Ewald regagne l’Écosse avec son Andréide, vit avec elle, se grise
d’artificiel ; mais un soir, il aperçoit la jambe nue d’une fille de ferme, et il veut
cette fille, et il brise la mécanique. » (Cité par A. Lebois, Villiers
de l’Isle-Adam révélateur du verbe, Neuchâtel, Messeiller, 1952, p. 208)
[11]
Jean-Pierre Bertrand et al., Le Roman célibataire d’« À Rebours » à « Paludes », Paris, Corti, 1996.
Comment
soutenir la légèreté ?
Qu’est-ce
que la légèreté, en dernière instance ? Question hélas lourde, grave, sérieuse, métaphysique
en un mot, et à laquelle il n’est pourtant pas possible d’échapper, question stendhalienne
aussi, et à laquelle Kundera me paraît répondre aujourd’hui avec le plus d’acuité. C’est
qu’il y a un paradoxe, et une ambivalence, de la légèreté. Étant ce qui nous permet d’échapper
à l’oppressant sérieux du monde, elle se retourne contradictoirement en un accablant sentiment
de la vanité de toute chose, dès lors que plus rien ne peut être pris au sérieux, que tout repère
ou point d’ancrage fait défaut. Car la condition de l’homme est aussi la
pesanteur, et il ne peut faire abstraction de cette condition, seulement entreprendre
de s’en
libérer par moments. Telle est précisément la fonction que Kundera assigne au rire (par essence
satanique, ainsi que l’avait déjà montré Baudelaire) :
S’il
y a dans le monde trop de sens incontestable […], l’homme succombe sous son poids. Si le monde
perd tout son sens […], on ne peut pas vivre non plus.
[…] À l’origine, le rire est du domaine du diable. Il a quelque chose de méchant (les choses se révèlent
soudain différentes de ce pour quoi elles se faisaient passer) mais il y a aussi en lui une part de
bienfaisant soulagement (les choses sont plus légères qu’il n’y paraissait, elles nous
laissent vivre plus librement, elles cessent de nous oppresser sous leur austère sérieux).
(Le
Livre du rire et de l’oubli, éd. Folio 1985, p. 101)
« Si
le monde perd tout son sens [une fois que se sont effondrées toutes les garanties transcendantes, métaphysiques,
religieuses, idéologiques, morales], on ne peut pas vivre non plus ». C’est cette expérience
de « l’insoutenable légèreté » que fait Tamina dans Le
Livre du rire et de l’oubli :
[…]
de même qu’un extrême peut à tout moment se changer en son contraire, la légèreté portée à son
maximum est devenue l’effroyable pesanteur
de la légèreté et Tamina sait qu’elle ne pourra pas la supporter une seconde
de plus. (P. 286)
Au
delà du premier chapitre, Féder échoue donc à soutenir
la gageure de la légèreté. La suite du récit pourra encore s’illuminer d’éclairs ou de fusées
sporadiques, elle ne connaîtra plus l’enchantement sans faille du début. La mort du « petit
matelot » fait ainsi une première entorse au contrat tacite de non-sérieux, puisque ce
pendant féminin du premier Féder est significativement
incapable d’affronter les réalités de l’existence, alors que le héros, lui, est promis à un
apprentissage. Plus précisément encore, Féder tend vers la lourdeur, la gravité de ce que Stendhal nomme ailleurs « la
voie humide ». De moins en moins « Féder » et de plus en plus « mari
d’argent » — quel sous-titre peu heureux pour désigner l’autre polarité du récit[1] !
; de moins en moins conte et de plus en plus nouvelle, voire pesant « roman », l’œuvre
ne parvient plus à retenir l’intérêt, comme si le conte se fourvoyait dans la peinture sociale
qu’il oppose à la naissance de l’amour : ayant commencé une histoire, Stendhal semble dès
lors s’enferrer dans une autre, non parce que celle-ci serait en soi impossible
— cette histoire est au fond celle de tous les romans de Stendhal — mais parce
qu’elle trahit son parti pris
initial.
*
Si
quelqu’un rêve fréquemment qu’il s’envole, et finit, dès qu’il rêve, par avoir la faculté
de voler, que c’est son privilège et aussi le bonheur le plus personnel, bien digne d’envie,
— cet homme qui croit pouvoir, avec une souplesse éthérée, exécuter dans les airs les figures
les plus difficiles, qui connaît la sensation d’une divine légèreté, une montée sans tension ni contrainte, une descente
sans
condescendance ni abaissement, sans pesanteur — comment l’homme de ces rêves ne finirait-il pas par trouver, même
le jour et à l’état de veille, une tout autre nuance et une tout autre signification au mot
« bonheur » ? Comment n’aurait-il pas une tout autre
impatience du bonheur ? Comparé à ce « vol », l’« essor », tel que
le décrivent les poètes, lui apparaîtra nécessairement trop terrestre, contracté, violent,
« pesant ». (Par-delà le bien
et le mal, éd.
citée, t. II, p. 608, § 193)
Il est des rêves en somme, qu’aucun réveil ne pourra jamais démentir. Mais Stendhal, avec Féder, n’est-il pas à la fois ce rêveur léger et ce laborieux poète dont parle Nietzsche ? On préférera donc ne retenir de Féder que le miracle du début, don de la plume d’un écrivain à ses heures d’une incomparable légèreté. Ne faut-il pas en rester là pour préserver le bonheur et la fraîcheur du rêve, ou du fantasme ? On le savait, Stendhal est l’inventeur d’un merveilleux moderne, et c’est peut-être là le trait le plus fascinant de son génie propre. Doit-on regretter qu’il ait sacrifié la magie et le bonheur du récit au profit du bonheur fade, quoique voulu fou et passionné, de ses personnages ? Le siècle suivant nous l’apprendra : la légèreté est vouée à devenir insoutenable, et Stendhal lui a en définitive préféré la pesanteur. Au moins a-t-il eu le mérite de sentir le danger et de s’arrêter sur cette voie. C’est que commencé avec la souveraine liberté d’un conte aristocratique, Féder risquait par trop de s’enliser dans les ornières — malgré qu’il en ait — d’une histoire bourgeoise. Ne cessons donc pas de relire le début de Féder.
[1] Le
sous-titre reste d’ailleurs énigmatique : désigne-t-il vraiment Boisseaux,
le mari de Valentine ?
Extraits de Féder ou la « soutenable légèreté » ?, Sur l’incipit
De
façon remarquable, A. Allais multiplie les rencontres heureuses et malheureuses : car les mots
peuvent se heurter tout comme ils "font l'amour" selon les hasards des rencontres. C'est
ainsi que la métarhétorique d'A. Allais débouche sur une poétique de l'arbitraire qui, dans tous
les cas, fait triompher le jeu pour lui-même. Quelques exemples sont ici nécessaires, et d'abord
de cette figure que je nommerai "cacologie"(précisément définie, dans une acception un
peu particulière par rapport à sa définition rhétorique, comme "rencontre malheureuse"
de mots). Il peut s'agir d'un simple jeu de mots. Ainsi du canard Ferdinand qui, après une série
de comparaisons animalières qui le font passer du dindon au cochon, est qualifié pour finir de
"rude lapin" (p 7). Allais affectionne aussi l'antilogie dans le jeu des couleurs :
"[...] il se recouvrait de cirage bien noir, et tout le monde n'y voyait que du bleu" (p.
248) ; "La Nuit blanche d'un hussard rouge" (p. 242). Les alliances incongrues de toutes
sortes sont accumulées à plaisir : "Foin de ces lions de bronze [...] ! " ; tel
personnage "se trouve à la tête de plusieurs cors aux pieds" (p. 182) ; "[...] le
chapeau du Yankee était un extraordinairement beau chapeau qui m'allait comme un gant" (p.
644.). A. Allais excelle également à certaines formes de non-sens par décontextualisation
impropre de syntagmes figés : "Marie (car elle s'appelle Marie, comme vous et moi)" (p.
33) ; "Chaque pas que vous faites [...] se traduit par un travail qui ne tombe pas dans
l'oreille d'un sourd..." (p.668)[1] ; "Avant chaque classe, le jeune universitaire faisait prendre à ses taons un petit bain
antiseptique qui rendait leur dard aussi inoffensif que celui de l'agneau qui vient de naître."
(p.667). Evidemment, au niveau métarhétorique où elles se situent, toutes ces cacologies sont
"heureuses", au sens austinien et pragmatique du terme, dans la mesure où elles
produisent l'effet comique escompté.
Mais
A. Allais joue aussi bien des rencontres heureuses, que je qualifierai symétriquement d'"eulogies".
Ainsi des jeux de mots sur le signifiant. Dans la basse-cour où, La Fontaine oblige, le
"ramage" ne le cède en rien au "plumage", nous retrouvons le canard Ferdinand.
Et le narrateur d'ajouter : "Ferdinand et moi, nous nous plûmes rapidement."(p.5) C'est
le moins, pour un canard ! Si les hasards du signifiant favorisent les rencontres, ils imposent
aussi à l'occasion leur logique propre :
[...]
la belle Ardennaise ne pesait pas tant de kilos pour être une femme légère [...].
(p.133)
Comme
il faisait chaud, l’affaire transpira.[2]
Allais
joue également sur le signifié : la fille d'une porteuse de pain aura donc le "teint pétri
de lis et de roses"[3](p.53). Des comparaisons à double détente révèlent
parfois le fond caché d’un mot-valise et provoquent l’étincelle d’une trouvaille comique et
poétique : "ingénue comme un vers" (p. 33), "infécond comme la
lune"[4].
Allais est en outre spécialement virtuose dans l'art des comparaisons incongrues qui jouent sur la
polysémie des termes ou détournent une expression lexicalisée pour imposer la logique du
signifiant : "Ce jeune homme était posé comme un lapin." (p. 16) ; "Vous
saisissez
? Comme un huissier."[5] Il
retourne également les métaphores usées ,— ce que Desnos appellera le "langage cuit"
: "Ma famille [...] vexée de ne pas me voir passer d'examens brillants (à la rigueur elle se
serait contentée d'examens ternes), m'avait coupé les vivres comme avec un rasoir." (p. 62)
Enfin et peut-être surtout, Allais n'a pas son pareil pour surdéterminer des expressions qui
convoquent à la fois le sens propre et le sens figuré, en filant les métaphores
au besoin.
Qui
sait si la mère de Tom [un terre-neuve dressé à conduire les hommes seuls à ce qu'Allais appelle
par euphémisme "l'asile de nuit" de l'endroit], errant sur sa plage natale, n'aura pas eu
un regard pour quelque joli maquereau cherchant à faire son beurre — il y a bien
le beurre
d'anchois — parmi les innombrables morues de ces parages.(p. 156-157)
Il
s'agit d'ailleurs bien souvent de libérer un double sens grivois, non sans y ajouter une dénudation
du procédé :
Cette
Bulgare de l'Ouest [...] trompe [...] son mari, à jet continu, si j'ose m'exprimer
ainsi. (p.182)
Tout
l'effet est parfois préparé pour fournir la chute du récit. C'est ainsi qu'un jeune homme en
visite chez sa tante y séduit la femme de chambre, jusque là modèle irréprochable des vertus
domestiques, "une vraie perle" en somme. Mais voilà qu'il est surpris par sa tante en
flagrant délit, ce qui donne lieu à l'échange suivant :
—
Mais enfin, ma tante, je ne suis pas venu ici pour enfiler des perles.
La
marquise répondit froidement :
—
On ne le dirait pas, mon garçon. (p. 299)
Si
la cacologie inscrivait le non-sens au cœur du langage, l'eulogie ne réassure pas pour autant le
sens. Car l'arbitraire du langage y éclate également, et la motivation des signes, ainsi que la
surdétermination du sens qu'elle génère, y paraissent pour ce qu'elles sont, à savoir des effets
rhétoriques au service d'un usage purement ludique des mots — où coïncident le jeu poétique et
le jeu métalinguistique. Mais elle va plus loin, car elle donne à penser a
contrario sur le culte que lui
voue la rhétorique.
Toute rencontre heureuse mobilise ainsi la fonction poétique du langage au service de ce qui est
beaucoup plus qu'un jeu de mots, s'il s'agit en fin de compte de persuader tout en séduisant, et
d'amener le lecteur ou l'auditeur à s'incliner devant le charme de la vérité. Reste à savoir si
le charme ne tient pas lieu de vérité. Sans reprendre le discours de la terreur naguère dénoncé
par Paulhan, il s'agirait donc de savoir jusqu'à quel point un discours qui ne relève pas d'abord
d'une finalité esthétique, qui prétend à la vérité par adéquation à son objet, peut faire
passer la surdétermination des signes (leur nécessité poétique), pour un gage de vérité.[6]
Reste
qu'au-delà des deux catégories envisagées, il faut en ajouter une troisième, où la rencontre
des mots conduit à des paradoxes insolubles. Deux exemples devraient permettre
de s'en convaincre :
[...]
les nouveaux époux goûtèrent un bonheur sans mélange ; ou, s'il arrivait un mélange,
le bonheur
ne faisait qu'y gagner encore ! (p. 192)
Il
est donc des circonstances où "le mélange" favorise le bonheur, et le rend encore plus
propre à être appelé "sans mélange". On se heurte ici non pas à une contradiction,
mais bien à un paradoxe, puisque "mélange" et "absence de mélange" sont également
et indécidablement vrais : faux paradoxe aisé à lever dès qu'on cesse de s'en tenir à la
surface du langage pour apprécier le jeu de mots. Il n'en est pas moins vrai
que le langage autorise formellement ce genre de paradoxe. Un dernier exemple
enfin :
Et
puis des pampres s'enroulaient dans ses cheveux, comme dans les cheveux de toute
bacchante qui se
respecte ou même qui ne se respecte pas. (p. 72)
On
bute ici sur le paradoxe du Crétois : si la bacchante se respecte, elle ne se respecte pas, et vice
versa. Les deux propositions sont donc également et simultanément vraies. Là encore, le paradoxe
repose sur un jeu de mots. Mais cela ne fait qu'ajouter aux surprises réservées
par le langage.
Chez
Allais, cacologie, eulogie et paradoxe ont dès lors même statut poétique et métarhétorique,
parce que même visée pragmatique, qui est de jouer, au détriment de toute finalité discursive ou
représentative, des infinies possibilités de la langue. La rhétorique est traditionnellement mise
en ordre, ou révélation d'un ordre virtuel qu'elle a vocation à accomplir dans un bonheur
d'expression (non sans implications ontologiques), en évitant soigneusement tous les risques,
dangers, ou pièges que fait courir un emploi insuffisamment maîtrisé de la langue, — qui
deviennent chez Allais des chausse-trappes préparées avec autant de soin que de délectation.
C'est pourquoi, à l'inverse, la rhétorique allaisienne est manifestation du peu de probabilités
pour qu'advienne un sens à partir de ces matériaux de hasard (de bric et de broc) que sont les
signes linguistiques : d'où les multiples calembours qui rabattent constamment le référent sur le
signifiant : "Nous allons manquer l'appel du matin.[...] / — Et même celle du soir [...]
" (p.322) ; "les choses marchaient comme sur Déroulède" (p. 102). Le fumiste
serait, dans cette perspective, celui qui s'offre le plaisir — dont l'abus est notoirement
dangereux — de dessiner à sa fantaisie les infinies volutes du langage, et ce au mépris de toute
visée ontologique ou de tout autre principe de légitimation. Car il ne croit pas que quelque chose
d'autre qu'un jeu — qui ne prétend même pas à l'art — puisse naître de la rencontre des
signifiants, à partir du chaos originel et persistant de la langue. On voit à partir de là comment
s'articule la relation entre "rhétoricité"
( entendue comme parti pris dialogique d'user de la langue telle qu'elle nous
est léguée, sous
formes de paroles et de discours, chez Allais de préférence journalistiques et littéraires)
et théâtralité (comprise ici comme
appréhension de la rhétorique au niveau métalinguistique où elle s'affiche
en spectacle).
Nietzsche,
on le sait, renverse la perspective selon laquelle les mots, ou les signes, auraient
vocation à
représenter les choses :
[...]
le signe ne tient pas lieu de la chose — il tient le lieu de la chose ; il n'y a plus de choses, plus de vraies choses,
plus de choses en
soi, rien que des signes, désancrés, errants, ou dansants [...].
En
effet : bien loin que la rhétorique soit représentation, c'est la représentation qui est rhétorique
[...]. La rhétorique informe a priori toute
représentation — voilà ce qu'il faut dire, et non que la rhétorique forme des représentations
réussies. [7]
A. Allais quant à lui semble penser que la rhétorique est désormais vouée à ne représenter qu'elle-même, et à se regarder dans le miroir déformant de la parodie. Mais il n'y a pas là de quoi faire du pathos, bien au contraire ! Autant tirer "philosophiquement" parti de la situation. Pour qui a pris celui du non-sérieux, la rhétorique cède ainsi la place à la méta-rhétorique. Or celle-ci se montre plutôt bonne fille, accorte en dépit du nom ingrat dont je l’affuble, et point fière ni trop vertueuse. Car elle ne demande qu'à retourner les anciens oripeaux pour faire briller de nouveaux atours, faire une cure de jouvence en somme. La sagesse du fumiste est de s'accommoder d'une maîtresse sans doute capricieuse, mais toujours pleine de fantaisie et d'imprévu, et qui de surcroît nourrit son homme. Il semble donc qu'il n'ait pas perdu au change.
[1] Sur
Radio classique, entendu le 12 mai, un peu avant 8 h 30 : "Jacques Chirac réfléchit
à tour de bras."
[2] Cité par
Fr. Caradec, Alphonse Allais, Paris,
Belfond, 1994, p.456.
[3] Suit
immédiatement la dénudation du procédé :
(Je
supplie mes lecteurs de ne pas prendre au pied de la lettre ce pétrissage de fleurs. Un jour de l'été
dernier, pour me rendre compte, j'ai pétri dans ma cuvette des lis et des roses.C'est ignoble !
et si l'on rencontrait dans la rue une femme de ce teint-là, on n'aurait pas assez de voitures
de l'ambulance urbaine pour l'envoyer à l'hôpital Saint-Louis.)
[4] Cité par
Fr. Caradec, loc. cit.
[5] Cité par
Rudolf Zimmer, op. cit., p. 108.
[6] On
s'interrogera par exemple sur l'eulogie qui fait florès dans le discours critique et la rhétorique
universitaire, dès lors que ceux-ci prétendent à la scientificité.Voir, sur Allais, M.
Calle-Gruber, "Temps pliés et temps liés : la mise en récit", in "Fabula in lapsus", à propos des "Templiers"d'
A Allais, Littérature, n° 48, déc. 1982.
[7] Jean-François Louette, "Rhétorique et représentation", in
La Notion de représentation (Anthologie), ouvr. coll. à paraître aux
Presses Universitaires du Mirail.
Pour rejoindre ces poètes :
Jules Supervielle
/ Colette / Pierre Dhainaut / Roberto Juarroz / André du Bouchet / Eugène
Guillevic