JULES SUPERVIELLE
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"Je voudrais vivre de mes souvenirs à petites bouffées"
(Retour à Paris)
Tu mourus de
pansympathie…
A moi-même quand je serai
posthume.
Tu mourus de pansympathie,
Une maligne
maladie.
Te voici couché
sous l'herbette
— Oui, pas
de marbre, du gazon,
Du simple
gazon de saison,
Quelques
abeilles, pas d'Hymette. —
On dit que
tout s'est bien passé
Et que te voilà
trépassé...
Ces messieurs
des Ombres Funèbres
Vers le
fond fumeux des
ténèbres
Te guidèrent
d'un index sûr
Mais couronné
d'un ongle impur.
Et c'est ainsi
que l'on vous gomme
De la longue
liste des hommes...
Horizontal,
sans horizon,
Sans désir et
point désirable,
Tu dors enfin
d'un sommeil stable.
— Ah ! dans
l'eau faire un petit rond !
— Tu mourus
de pansympathie,
Une maligne maladie.
Soyez bon…
Soyez bon pour
le Poète,
Le plus doux
des animaux,
Nous prêtant
son coeur, sa tête,
Incorporant
tous nos maux,
II se fait
notre jumeau ;
Au désert de
l'épithète,
II précède
les prophètes
Sur son
douloureux chameau ;
II fréquente,
très honnête,
La misère et
ses tombeaux,
Donnant pour
nous, bonne bête,
Son pauvre
corps aux corbeaux ;
II traduit en
langue nette
Nos infinitésimaux,
Ah !
donnons-lui, pour sa fête,
La casquette
d'interprète !
La montagne prend la parole
Et voilà mon
silence dur fonçant sur le moindre bruit qui ose.
Je souffre de
ne pouvoir donner le repos sur mes flancs difficiles
Où je ne puis
offrir qu'une hospitalité accrochée,
Moi qui tends
toujours vers la verticale
Et ne me
nourris que de la sécheresse de l'azur.
Je vois les
sapins qui s'efforcent, en pèlerinage immobile, vers l'aridité de ma cime.
Plaines, vallons, herbages et vous forêts, ne
m'en veuillez pas de mes arêtes hautaines !
J'ai la plus
grande avidité de la mer, la grande allongée toujours mouvante que les nuages
tentèrent de me révéler.
Sans répit
j'y dépêche mes plus sensibles sources, les vivaces, les savoureuses !
Elles ne me
sont jamais revenues.
J'espère
encore.
L'escale portugaise
L'escale
fait sécher ses blancheurs aux terrasses
où le vent s'évertue,
Les
maisons roses au soleil qui les enlace
Sentent l’algue et la rue.
Les
femmes de la mer, des paniers de poissons
irisés sur 1a tête,
Exposent
au soleil bruyant de la saison
La sous-marine fête.
Le
feuillage strident a débordé le vert
Sous la crue de lumière,
Les roses prisonnières
Ont
fait irruption par les grilles de fer.
Le
plaisir matinal des boutiques ouvertes
Au maritime été
Et des fenêtres vertes
Qui
se livrent au ciel, les volets écartés,
S'écoule
vers la Place où stagnent les passants
Jusqu'à ce que soit ronde
L'ombre
des orangers qui simule un cadran
Où le doux midi grogne.
L'escale
brésilienne
Je
sors de la sieste et j'entre en escale,
Ouvert
le hublot, lanterne magique,
M'offrant
des maisons basses, impudiques,
Surprises
à nu au ras de la cale
Et
qu'illustre haut dans le ciel à vif
Le
galbe de trois palmiers décisifs.
Des
hommes, des chiens, des huttes s'engendrent
Et
de vrais bambous qui font bouger l'air,
Ma
rétine happe un oiseau plus tendre
De
survoler l’herbe au sortir des mers.
Et
je vois tanguer doux, le paysage,
Entre
les barreaux blancs du bastingage
Comme
un autre oiseau que berce en sa cage
Le vent transparent.
Le navire remonte et plisse
L'eau que le rivage descend,
Mon âme requise en tous sens
S'écartèle avec délices.
Roches
et palmiers, une île enfantine,
La bave marine
A
la plage fait un mouvant collier.
Au centre du golfe rythmé
Par quatre barques orphelines
Flottent des couleurs impromptues
Qui l'une de l’autre s'enivrent,
Et que des rames équilibrent
Tandis
que l’ancre à jeun mord la vase charnue.
Regrets de l'Asie en Amérique
Sous un azur ancien
Cachant de célestes patries
Les roses ceignant des palmiers
Tendent vers la Rose infinie.
Entre des statues brahmaniques
Aux sourires envahisseurs
La haute terrasse d'honneur
Cède à sa grande nostalgie.
Et d'obsédantes pyramides
Lèvent un doigt bleui de ciel
Vers quelque but essentiel
Par delà l'aérien vide.
Dans l'heure mille et millénaire
Qui trempe au fond des temps secrets
Pour qui ces roses et ces pierres
Qui n'ont jamais désespéré ?
Que
m’importe…
Que m'importe
le cirque odorant des montagnes,
La plaine au
soleil aiguisé
Et la chèvre,
soeur du rocher,
Et le chêne têtu
qui dompte la campagne ?
Je ne sais
plus, nature, entendre ta prière,
Ni l'angoisse
de l'horizon,
Et me voici
parmi les arbres et les joncs
Sans mémoire
et sans yeux comme l'eau des rivières.
Voyageur, voyageur…
Voyageur,
voyageur, accepte le retour,
II n'est plus
place en toi pour de nouveaux visages,
Ton rêve
modelé par trop de paysages,
Laisse-le
reposer en son nouveau contour.
Fuis l'horizon
bruyant qui toujours te réclame
Pour écouter
enfin ta vivante rumeur
Que garde
maintenant de ses arcs de verdeur
Le palmier qui s'incline aux sources de ton âme.
Pour
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Colette / Pierre Dhainaut / Roberto Juarroz / André
du Bouchet /
Eugène Guillevic