JULES SUPERVIELLE 

Poèmes

Tu mourus de pansympathie...
Soyez bon...

Débarcadères

Le montagne prend la parole

L'escale portugaise

L'escale brésilienne

Regret de l'Asie en Amérique

Que m'importe

Voyageur, voyageur

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Les textes de la semaine

 

"Je voudrais vivre de mes souvenirs à petites bouffées"

(Retour à Paris)

 

Poèmes

 

Tu mourus de pansympathie…

 

A moi-même quand je serai posthume.

 

Tu mourus de pansympathie,

Une maligne maladie.

 

Te voici couché sous l'herbette

— Oui, pas de marbre, du gazon,

Du simple gazon de saison,

Quelques abeilles, pas d'Hymette. —

On dit que tout s'est bien passé

Et que te voilà trépassé...

Ces messieurs des Ombres Funèbres

Vers  le  fond  fumeux  des  ténèbres

Te guidèrent d'un index sûr

Mais couronné d'un ongle impur.

Et c'est ainsi que l'on vous gomme

De la longue liste des hommes...

Horizontal, sans horizon,

Sans désir et point désirable,

Tu dors enfin d'un sommeil stable.

— Ah ! dans l'eau faire un petit rond !

 

— Tu mourus de pansympathie,

Une maligne maladie.

 

Soyez bon…

 

Soyez bon pour le Poète,

Le plus doux des animaux,

Nous prêtant son coeur, sa tête,

Incorporant tous nos maux,

II se fait notre jumeau ;

Au désert de l'épithète,

II précède les prophètes

Sur son douloureux chameau ;

II fréquente, très honnête,

La misère et ses tombeaux,

Donnant pour nous, bonne bête,

Son pauvre corps aux corbeaux ;

II traduit en langue nette

Nos infinitésimaux,

Ah ! donnons-lui, pour sa fête,

La casquette d'interprète !

 

 

Débarcadères

 

La montagne prend la parole

 

Et voilà mon silence dur fonçant sur le moindre bruit qui ose.

Je souffre de ne pouvoir donner le repos sur mes flancs difficiles

Où je ne puis offrir qu'une hospitalité accrochée,

Moi qui tends toujours vers la verticale

Et ne me nourris que de la sécheresse de l'azur.

Je vois les sapins qui s'efforcent, en pèlerinage immobile, vers l'aridité de ma cime.

Plaines,  vallons, herbages  et vous  forêts,  ne  m'en veuillez pas de mes arêtes hautaines !

J'ai la plus grande avidité de la mer, la grande allongée toujours mouvante que les nuages tentèrent de me révéler.

Sans répit j'y dépêche mes plus sensibles sources, les vivaces, les savoureuses !

Elles ne me sont jamais revenues.

J'espère encore. 

L'escale portugaise

L'escale fait sécher ses blancheurs aux terrasses

                   où le vent s'évertue,

Les maisons roses au soleil qui les enlace

                   Sentent l’algue et la rue.

 

Les femmes de la mer, des paniers de poissons

                   irisés sur 1a tête,

Exposent au soleil bruyant de la saison

                   La sous-marine fête.

 

Le feuillage strident a débordé le vert

                   Sous la crue de lumière,

                   Les roses prisonnières

Ont fait irruption par les grilles de fer.

 

Le plaisir matinal des boutiques ouvertes

                   Au maritime été

                   Et des fenêtres vertes

Qui se livrent au ciel, les volets écartés,

 

S'écoule vers la Place où stagnent les passants

                   Jusqu'à ce que soit ronde

L'ombre des orangers qui simule un cadran

                   Où le doux midi grogne.

 

L'escale brésilienne

 

Je sors de la sieste et j'entre en escale,

Ouvert le hublot, lanterne magique,

M'offrant des maisons basses, impudiques,

Surprises à nu au ras de la cale

Et qu'illustre haut dans le ciel à vif

Le galbe de trois palmiers décisifs.

Des hommes, des chiens, des huttes s'engendrent

Et de vrais bambous qui font bouger l'air,

Ma rétine happe un oiseau plus tendre

De survoler l’herbe au sortir des mers.

Et je vois tanguer doux, le paysage,

Entre les barreaux blancs du bastingage

Comme un autre oiseau que berce en sa cage

                   Le vent transparent.

 

            Le navire remonte et plisse

   L'eau que le rivage descend,

            Mon âme requise en tous sens

              S'écartèle avec délices.

 

Roches et palmiers, une île enfantine,

                   La bave marine

A la plage fait un mouvant collier.

         Au centre du golfe rythmé

         Par quatre barques orphelines

         Flottent des couleurs impromptues

         Qui l'une de l’autre s'enivrent,

         Et que des rames équilibrent

Tandis que l’ancre à jeun mord la vase charnue.

 

Regrets de l'Asie en Amérique

 

Sous un azur ancien

Cachant de célestes patries

Les roses ceignant des palmiers

Tendent vers la Rose infinie.

 

Entre des statues brahmaniques

Aux sourires envahisseurs

La haute terrasse d'honneur

Cède à sa grande nostalgie.

 

Et d'obsédantes pyramides

Lèvent un doigt bleui de ciel

Vers quelque but essentiel

Par delà l'aérien vide.

 

Dans l'heure mille et millénaire

Qui trempe au fond des temps secrets

Pour qui ces roses et ces pierres

Qui n'ont jamais désespéré ?

 

Que m’importe…

 

Que m'importe le cirque odorant des montagnes,

La plaine au soleil aiguisé

Et la chèvre, soeur du rocher,

Et le chêne têtu qui dompte la campagne ?

Je ne sais plus, nature, entendre ta prière,

Ni l'angoisse de l'horizon,

Et me voici parmi les arbres et les joncs

Sans mémoire et sans yeux comme l'eau des rivières.

 

Voyageur, voyageur…

 

Voyageur, voyageur, accepte le retour,

II n'est plus place en toi pour de nouveaux visages,

Ton rêve modelé par trop de paysages,

Laisse-le reposer en son nouveau contour.

 

Fuis l'horizon bruyant qui toujours te réclame

Pour écouter enfin ta vivante rumeur

Que garde maintenant de ses arcs de verdeur

Le palmier qui s'incline aux sources de ton âme.

   

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POEMES

I - Poèmes
II- Débarcadères
III - Gravitations
IV - Le Forçat innocent
V - Les Amis inconnus
VI - La Fable du monde
VII - 1939-1945
VIII - Oublieuse mémoire
IX - A la nuit
X - Naissances
XI - L'Escalier
XII - Le Corps tragique

 

EXTRAITS DE CONTES

 

I - L'Enfant de la haute mer 

 

II - L'Arche de Noé

 

III - Premiers pas de l'univers

 

Pour rejoindre ces poètes :

Colette / Pierre Dhainaut / Roberto Juarroz / André du Bouchet / Eugène Guillevic

 

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