PRESENTATION DE MON ESSAI :
JULES SUPERVIELLE OU LA CONNAISSANCE POETIQUE
SOUS LE SOLEIL D'OUBLI.
Tome 1 : Le renoncement au savoir.
Tome 2 : Une autre connaissance.
Cet essai s'interroge sur la possibilité et les modalités d'une connaissance poétique.
Il a été publié à Paris, aux éditions L'HARMATTAN, dans la collection "Critique littéraire. (Février 2000)Il est le fruit de plus de six ans de recherche.
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ESSAI CRITIQUE SUR LA
CONNAISSANCE POETIQUE SELON SUPERVIELLE
Sabine Dewulf : Jules
Supervielle ou la connaissance poétique - Sous le « soleil d’oubli »,
coll. Critiques Littéraires, Paris, éd. L’Harmattan.
Présentation de l’essai :
Qu’est-ce que la connaissance
poétique ?
D’ailleurs, peut-on parler d’une connaissance poétique ? Et, si
c’est le cas, quelle est sa spécificité face aux sciences et aux autres
savoirs ?
Comme le montre le tome 1 de cet essai (intitulé Le renoncement au savoir), l’oeuvre
poétique de Jules Supervielle se prête particulièrement à ces questions car
elle explore des sujets essentiels : la
mort (chapitre I), qui est la frontière obscure de toute existence ; le
monde
extérieur (chapitre II), à
propos duquel le poète se pose les questions suivantes : les choses
existent-elles vraiment ? Ont-elles une essence ? Dieu est-il présent
ou absent ? Supervielle examine aussi la relation à autrui (chapitre III), qu’il s’agisse de ses parents incarnés
par ses deux Patries que sont la France et l’Uruguay ou de ses semblables :
il bute sans cesse sur la difficulté de connaître les autres et de communiquer
avec eux. Il se penche en outre sur son propre moi (chapitre IV), où
le physique et le psychique s’entremêlent tant qu’il en devient incompréhensible ;
sans cesse, il questionne son propre coeur comme un ami inconnaissable. Le moi
est clos sur lui-même, chaotique, assiégé par ces bêtes féroces, tapies en
nous-mêmes, que sont la maladie et les menaces de la mort ; il est de plus
gouverné par les lois obscures de l’inconscient.
Le poète ne cesse donc de s’interroger et il est peu à peu amené à redéfinir
la notion de connaissance : contre toute attente, il cherche en effet à oublier
le savoir traditionnel dont les racines plongent dans une pensée occidentale
trop souvent rationnelle et dualiste, fondée sur le principe de contradiction.
Le « soleil d’oubli » est de ce fait sa seule source
d’inspiration. Que s’agit-il d’oublier ? Les certitudes accumulées,
le désir de produire des affirmations, de construire des dogmes. Supervielle
nous montre que nos cinq sens sont trompeurs et défaillants, tout comme notre
raison et notre mémoire (chapitre V). Et finalement, ses poèmes eux-mêmes se
présentent comme des sortes de labyrinthe, ou comme des voiles posés sur nos
manières habituelles de voir les choses (chapitre VI). Il faut que le lecteur
accepte, en entrant dans le poème, de perdre tous ses repères, s’il
veut connaître lucidement le monde dans lequel il est plongé, ou encore son
propre moi.
Ce renoncement au savoir permet alors à Supervielle d’élaborer une autre
connaissance (tel est le titre du tome 2). Celle-ci repose sur un langage différent de celui que nous utilisons
habituellement.
Le
poète utilise le paradoxe (première
partie du tome 2), afin d’étudier
le monde dans le plus grand respect possible. Son
langage est hésitant, modeste, toujours tâtonnant et interrogateur. Il
refuse de faire entrer l’univers dans les cases de nos catégories trop
simplistes : le vrai/le faux, le bien/le mal, le beau/le laid, la vie/la
mort, la chose/le néant, la mémoire/l’oubli, le savoir/l’ignorance, etc.
Grâce à cet autre langage, le poète révèle toute l’importance de la métamorphose qui
règne au coeur des choses et des êtres.
Supervielle tente également de se relier à l’univers et de se réconcilier
avec lui-même, en édifiant les bases d’une « pansympathie » ou
fraternité universelle (deuxième
partie du tome 2). Il souhaite, par
la même occasion, établir un véritable lien entre son oeuvre et ses lecteurs.
Cette mise en relation, loin d’aboutir à un inutile amoncellement de
connaissances, est un geste poétique,
qui échappe lui-même à toute grille de lecture préalablement forgée :
la poésie devient ainsi, selon les mots de Supervielle, une « religion de
remplacement ». Une religion active, exigeante et non dogmatique.
Cette connaissance en acte fait toute la modernité de l’oeuvre poétique de
Jules Supervielle, qui, trop souvent ignorée, mérite d’être relue
attentivement. Elle se rapproche de démarches spirituelles majeures que notre
époque redécouvre avec intérêt ; c’est en particulier le cas de la
philosophie bouddhiste : au-delà d’une mode superficielle, celle-ci témoigne
d’une pensée extrêmement subtile qui, comme celle du poète, vise à effacer
tous nos repères. Elle cherche à nous faire accéder à un état supérieur de
la conscience qui ressemble étrangement à la connaissance mélancolique
(chapitre II) ou encore au point de vue posthume (chapitre III) adoptés
par Supervielle. On pourrait multiplier les analogies : la préparation à
la mort (chapitre IV), la communion entre le poète et le monde (chapitre IX)
qui n’est pas sans évoquer la compassion universelle des bouddhistes, les
fluctuations du sujet (chapitre X) qui, pour le bouddhisme, n’est qu’une
convention artificielle, etc.
N’oublions pas que, de leur côté, bien des
scientifiques (après l’avènement de la physique quantique au XXème siècle)
nous entraînent eux aussi à
traverser les apparences et à abandonner nos représentations classiques de
l’univers : leur étude du champ microscopique de la matière met en évidence
des relations d’énergie plutôt que des éléments stables, indépendants
les uns des autres ; de plus, l’observateur et l’objet observé, la
conscience et la matière, l’homme et le monde qui l’entoure semblent ne
plus pouvoir être dissociés. Le monde ainsi perçu devient totalement mouvant
et incertain ; c’est un « réel voilé », que la science ne
peut déchiffrer ; seuls peuvent vraiment s’y aventurer les poètes, les
artistes, les philosophes ou les mystiques.
Aussi sommes-nous invités à nous glisser dans le sillage d’un poète tel que Supervielle, si notre souci est de mesurer, à la lueur de notre expérience intime et de notre lucidité, la profondeur du mystère où baigne l’univers. Supervielle n’a sans doute pas fini de nous faire réfléchir à ces convergences susceptibles de réunir les scientifiques les plus rigoureux et les chercheurs contemplatifs soucieux, en vertu même de leurs exigences intellectuelles, d’explorer l’univers à la lumière de méthodes non conceptuelles… Ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.
Précisons enfin que cette étude prend ses distances avec les critiques qui présentent traditionnellement Supervielle comme le poète de la transparence. Elle souhaite dépayser Supervielle, amener à le lire d’une autre façon.
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