MAITRE MUSULMAN
"Décapite-toi ! Dissous ton corps entier dans la vision, deviens vision, vision, vision."
Surnommé
aussi Mawlanna, qui signifie maître ou seigneur, Rûmî est considéré comme
le plus grand poète mystique de la langue persane et l'un des plus hauts génies
de la littérature spirituelle universelle. Né le 30 septembre en 1207, à Balkh, dans le Khorasan (aujourd'hui en Afghanistan), il vécut la plus grande
partie de son existence en Turquie au terme d'une errance de plusieurs années
avec sa famille qui avait fui les massacres de Gengis Khan. Son père, théologien
et enseignant, assura à son fils une éducation d'érudit. Sa vie durant, Rûmî
fut obsédé par le désir de trouver la voie qui aboutirait à la fusion de l'âme
en Dieu. Il s'initia aux pratiques du soufisme, à la méditation jusqu'à
l'extase.
Sa
vie bascule lorsque le 30 novembre 1244, à Konya, il rencontre un derviche
errant, originaire de Tabriz, le moine soufi Shams al-din. Pris d'une véritable
passion pour le personnage, Rûmî abandonne tout, famille, enfants, sa
fonction, sa maison pour travailler aux côtés de celui qui devint son
initiateur, son maître.
L'aventure
passionnelle de Djalâl al-din Rûmî et de Shams fit scandale et il faudra que
Shams soit assassiné pour que Rûmî redevienne lui-même et mette en ouvre les
expériences et les enseignements qu'il a assimilés en créant la confrérie
soufie des derviches tourneurs. Aujourd'hui encore, il existe des adeptes de
cette discipline codifiée par Rûmî où la musique et la danse sont le moyen
de parvenir aux Son couvre principale demeure le Mesnevi, recueil de quelque
cinquante mille vers. Sa philosophie, sa morale, sa doctrine mystique y sont
contenues. Henry Corbin en parle comme du « Coran persan ».
Rûmî est mort le 17 décembre 1273, à Konya, où son tombeau fait l'objet d'une grande vénération.
«
Au moment où la caravane est arrivée pour faire étape, tu as égaré ton
chameau. Tu le cherches partout. Finalement, la caravane repart sans toi et la
nuit tombe. Tout ton chargement est resté à terre et tu demandes à chacun
-
Avez-vous vu mon chameau ? Tu ajoutes même :
-
Je donnerai une récompense à qui me donnera des nouvelles de mon chameau !
Et
tout le monde de se moquer de toi. L'un dit :
-
Je viens de voir un chameau roux et bien gras. Il est parti dans cette direction
!
Un
autre :
-
Ton chameau n'avait-il pas une oreille déchirée ?
Un
autre :
-
N'avait-il pas un
tapis brodé sur la selle ?
Un
autre encore :
-
J'ai vu partir par là un chameau à l’œil crevé !
Ainsi
tout le monde te donne un signalement de ton chameau dans l’espoir de profiter
de tes largesses. Sur le chemin de la connaissance nombreux sont ceux qui évoquent
les attributs de l'inconnu. Mais toi, si tu ne sais pas où est ton chameau, tu
reconnais la fausseté de tous ces indices. Tu rencontres même des gens pour te
dire :
-
Moi aussi, j'ai perdu mon chameau ! Cherchons ensemble !
Et
quand enfin vient quelqu'un qui te décrit vraiment ton chameau, ta joie ne
connaît pas de bornes et tu fais de cet homme ton guide pour retrouver ton
chameau. »
Le Mesnevi
«
Des Indous avaient amené un éléphant ; ils l'exhibèrent dans une maison
obscure. Plusieurs personnes entrèrent, une par une, dans le noir, afin de le
voir.
Ne
pouvant le voir des yeux, ils le tâtèrent de la main. L’un posa la main sur
sa trompe ; il dit: "Cette créature est telle un tuyau d'eau."
L'autre
lui toucha l'oreille: elle lui apparut semblable à un éventail.
Lui
ayant saisi la jambe, un autre déclara : "C'est un pilier."
Après
lui avoir posé la main sur le dos, un autre dit "En vérité, c'est un trône."
De
même, chaque fois que quelqu'un entendait une description de l'éléphant, il
la comprenait d'après la partie qu'il avait touché.
Leurs
affirmations variaient selon ce qu'ils avaient perçu. L'un l'appelait « dal »,
l'autre « alîf ».
Si
chacun d'eux avait été muni d'une chandelle, leurs paroles n'auraient pas différé.
L'ail
de la perception est aussi limité que la paume de la main qui ne pouvait cerner
la totalité de l'éléphant. L’œil de la mer est une chose, l'écume en est
une autre ; délaisse l'écume et regarde avec l’œil de la mer. Jour et nuit,
provenant de la mer, se meuvent les flocons d’écume ; tu vois l’écume,
non la mer. Que c’est étrange !
Nous
nous heurtons les uns contre les autres comme des barques ; nos yeux sont aveuglés
; l'eau est pourtant claire. Ô toi qui t'es endormi dans le bateau du corps, tu
as vu l'eau ; contemple l'Eau de l'eau. »
Le Mesnevi
Extraits
de Le livre des sagesses d’Orient par Gilbert Sinoué, Ed. Le Club,
2000.
Accueil |
Autres pages sur la religion :
Bouddhisme /Christianisme/ Hindouisme/Islam/Judaïsme/Arnaud Desjardins /Swami Prajnanpad