QUATRIEME TRIMESTRE 2003 :
LES AMIS DE JULES SUPERVIELLE
Un barbare en Asie
de Henri Michaux
II y a quelque chose d'inégalablement splendide dans cet ensemble du peuple hindou qui toujours cherche le plus et non le moins, qui a le plus nié le monde visible, en est, non pas seulement en esprit, mais physiquement insouciant, le peuple de l'Absolu, le peuple radicalement religieux.
Le sentiment religieux chrétien (quoiqu'ils mettent Jésus-Christ dans leur poche, et en parlent souvent comme d'un « des leurs », un Asiatique, etc.) a une autre apparence que le sentiment religieux hindou.
« Seigneur, Seigneur, du fond de l'abîme, j'ai crié vers toi. »
« De Profundis clamavi ad te, Domine. » Voilà la parole qui déclenche un sentiment chrétien fondamental, l'humilité.
Quand on entre dans la cathédrale de Cologne, sitôt là, on est au fond de l'océan, et, seulement au-dessus, bien au-dessus est la porte de vie... : « De profundis », on entre, aussitôt on est perdu. On n'est plus qu'une souris. Humilité, « prier gothique ».
La cathédrale gothique est construite de telle façon que celui qui y entre est atterré de faiblesse.
Et on y prie a genoux, non à terre, mais sur le bord aigu d'une chaise, les centres de magie naturelle dispersés. Position malheureuse et inharmonieuse où on ne peut vraiment que soupirer et essayer de s'arracher à sa misère: « Kyrie Eleison », « Kyrie Eleison », « Seigneur ayez pitié! »
Les religions hindoues* au contraire ne dégagent pas la faiblesse de l'homme, mais sa force. La prière et la méditation sont l'exercice des forces spirituelles. A côté de Kali se trouve le tableau démonstratif des attitudes de prière. Celui qui prie bien fait tomber des pierres, parfume les eaux. Il force Dieu. Une prière est un rapt. Il y faut une bonne tactique.
L'intérieur
des temples (même des plus grands extérieurement) est petit, petit, pour qu'on y sente sa force.
On fera plutôt vingt niches, qu'un grand autel. Il faut que l'Hindou sente sa force. Alors il dit AUM.
Sérénité dans la puissance. Magie au centre de toute magie. Il faut le leur entendre chanter dans
les hymnes védiques, les Upanishads ou le Tantra de la grande libération.
La joie dans la maîtrise, la prise de possession, la rafle assurée dans la masse divine. Chez un d'eux, je me souviens, une sorte de cupidité, de férocité spirituelle qui crachait, victorieuse, à la figure du malheur et des démons inférieurs. Chez d'autres une béatitude définitive, bornée, classée et qu'on ne leur reprendrait plus.
L'union de l'esprit individuel avec Dieu. Ne pas croire que cette recherche est rare. Nombre d'Hindous ne s'occupent que de cela. Ce n'est en rien exceptionnel. Mais y arriver est autre chose.
Vers six heures du soir au coucher du soleil, vous entendez de toutes parts, dans les villages, vous entendez le son très fort des conques marines. C'est le signe que des gens prient (sauf les derniers des misérables, chacun a sa pagode, en pierres, en bois, en bambous couverts de feuilles). Ils prient et bientôt roulent à terre possédés par la déesse Kali ou quelque autre. Ces fidèles sont des gens de bonne volonté à qui l'on a appris telle ou telle pratique et qui, comme la plupart des gens occupés de religion, arrivés à un certain niveau, pataugent et jamais ne vont au-delà.
Des gens de bonne volonté, jamais on ne sait si on doit rire ou pleurer. L'un d'eux que j'avais vu faire (quoiqu'ils se gardent soigneusement en général de prier en présence d'Européens) me dit : « Aujourd'hui, je n'ai atteint qu'une petite partie de Dieu. »
Même l'extase hindoue dans ses formes les plus hautes ne doit pas être confondue avec les voies de la mystique chrétienne. Sainte Angèle de Foligno, saint François d'Assise, sainte Lydwine de Schiedam arrivaient par déchirement, Ruysbroek l'Admirable, saint joseph de Cupertino, par une humilité effrayante, et, à force d'être rien et dépouillés, étaient happés par la Divinité.
* Le bouddhisme excepté, mais depuis
longtemps le bouddhisme a déserté l'Inde. Trop pur pour eux.
Henri Michaux (1899-1984) - Un très grand poète de l'intériorité totale, l'explorateur génial de nos "espaces du dedans". prouve que la poésie est en même temps lucidité et délire. Ami intime de Jules Supervielle.
Lettres à un jeune poète
Rainer Maria Rilke
Extrait de Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke (trad.Marc B. de Launay), Ed. Gallimard
Enfants de Septembre
de Patrice de La Tour du Pin
A
Jules Supervielle
Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts,
gonflés de pluie et silencieux ;
Longtemps
avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les
Enfants Sauvages, fuyant vers d'autres cieux,
Par
grands voiliers, le soir, et très haut dans l'espace.
J'avais
senti siffler leurs ailes dans la nuit,
Lorsqu'ils
avaient baissé pour chercher les ravines
Où tout
le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
Et
cet appel inconsolé de sauvagine
Triste,
sur les marais que les oiseaux ont fuis.
Après
avoir surpris le dégel de ma chambre,
À l'aube,
je gagnai la lisière des bois ;
Par
une bonne lune de brouillard et d'ambre,
Je
relevai la trace, incertaine parfois,
Sur
le bord d'un layon, d'un enfant de Septembre.
Les
pas étaient légers et tendres, mais brouillés,
Ils
se croisaient d'abord au milieu des ornières
Où dans
l'ombre, tranquille, il avait essayé
De
boire, pour reprendre ses jeux solitaires
Très
tard, après le long crépuscule mouillé.
Et
puis, ils se perdaient plus loin parmi les hêtres
Où son
pied ne marquait qu'à peine sur le sol;
Je
me suis dit: il va s'en retourner peut-être
A
l'aube, pour chercher ses compagnons de vol,
En
tremblant de la peur qu'ils aient pu disparaître.
Il
va certainement venir dans ces parages
À la
demi-clarté qui monte à l'orient,
Avec
les grandes bandes d'oiseaux de passage,
Et
les cerfs inquiets qui cherchent dans le vent
L'heure
d'abandonner le calme des gagnages.
Le
jour glacial s'était levé sur les marais ;
Je
restais accroupi dans l'attente illusoire,
Regardant
défiler la faune qui rentrait
Dans
l'ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
Et
les corbeaux criards aux cimes des forêts.
Et
je me dis : je suis un enfant de Septembre,
Moi-même,
par le cœur, la fièvre et l’esprit,
Et
la brûlante volupté de tous mes membres,
Et
le désir que j'ai de courir dans la nuit
Sauvage,
ayant quitté l'étouffement des chambres.
Il
va certainement me traiter comme un frère,
Peut-être
me donner un nom parmi les siens;
Mes
yeux le combleraient d'amicales lumières
S'il
ne prenait pas peur, en me voyant soudain
Les
bras ouverts, courir vers lui dans la clairière.
Farouche,
il s'enfuira comme un oiseau blessé,
Je
le suivrai jusqu'à ce qu'il demande grâce,
Jusqu’à ce
qu'il s'arrête en plein ciel, épuisé,
Traqué jusqu'à la
mort, vaincu, les ailes basses,
Et
les yeux résignés à mourir, abaissés.
Alors,
je le prendrai dans mes bras, endormi,
Je
le caresserai sur la pente des ailes,
Et
je ramènerai son petit corps, parmi
Les
roseaux, rêvant à des choses irréelles,
Réchauffé tout
le temps par mon sourire ami...
Mais
les bois étaient recouverts de brumes basses
Et
le vent commençait à remonter au Nord,
Abandonnant
tous ceux dont les ailes sont lasses,
Tous
ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
Qui
vont par d'autres voies en de mêmes espaces !
Et
je me suis dit : Ce n'est pas dans ces pauvres landes
Que
les enfants de Septembre vont s'arrêter ;
Un
seul qui se serait écarté de sa bande
Aurait-il,
en un soir, compris l'atrocité
De
ces marais déserts et privés de légende ?
Poète important de la deuxième moitié du XXème siècle, Patrice de la Tour du Pin est un mystique chrétien. On peut par ailleurs le considérer comme un des fils spirituels de Jules Supervielle qui l'encouragea chaleureusement.
Amies, j'ai tant rêvé...
de Saint-John Perse
Nous
descendrons aux baies mi-closes où l'on baigne au matin les jeunes bêtes échauffées, encore
toutes gluantes du premier flux de sève vaginale. Et nagerons de pair, avant de lever l'ancre, sur
ces hauts-fonds d'eau claire, carrelés d'azur et d'or, où vont nos ombres s'unissant au même lé
de songe.
Le
vent se lève. Hâte-toi. La voile bat au long du mât. L'honneur est dans les toiles ; et
l'impatience sur les eaux comme fièvre du sang. La brise mène au bleu du large ses couleuvres
d'eau verte. Et le pilote lit sa route entre les grandes taches de nuit mauve, couleur de cerne et
d'ecchymose .
... Amies, j'ai tant rêvé de mer sur tous nos lits d'amants ! et si longtemps l'Intruse a sur nos seuils traîné sa robe d'étrangère, comme bas de jupe sous les portes... Ah ! qu'une seule vague par le monde, qu'une même vague, ô toutes, vous rassemble, compagnes et filles de tout rang, vivantes et mortes de tout sang !
Amers, Gallimard,1957
Saint-John Perse (1
887-1975) - Né à la Guadeloupe, il vint en France faire ses études. Diplomate, il fut l'un des principaux collaborateurs de Briand, puis fut secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères. Il s'exila aux Etats-Unis en 1940 et reçut le prix Nobel en 1960. Sa poésie est d'une amplitude tout cosmique, c'est un vaste chant aux éléments et à la beauté de l'univers. Il fut aussi un ami de Jules Supervielle et le rencontra régulièrement avec d'autres membres de la NRF à Port-Cros.Lettre à Jules Supervielle
de René Guy Cadou
Il pense à vous ce soir Jules Supervielle
Je pense à vous ai c'est l'automne en ce pays
C'est toujours à tort que l'on parle l'amour en tête
Mais je vous parle Jules SupervielleEntre nous de longs enfants des filles de préférence
De grandes journées en Uruguay
Les flammes de la pampaJe pense aussi à Oloron le gave lèche les pierres
J'y fus voici combien d'années
C'était à la maison Pommé
Il y mourait des jeunes gensJ'aime ces pays dont vous parlez et qui ont l'allure des femmes
On dit que les chevaux s'emballent
Comme un foulard à la portière du wagonPardonnez-moi Jules Supervielle je devais écrire un article
Où j'aurais dit ici grande la douce solitude de vos écrits
Et je me laisse soudain aller à quelque chose d'informe comme un poème
Simplement parce que j'ai vos livres sous les yeux et que je vous aimeAh voyez-vous c'est difficile de s'interdire
Dans cette vie quelques minutes de loisir
Et de parler à cœur ouvert à un ami qui vous ignore
Comme on peut avec les ridicules moyens du bordJe me suis dit ce soir après l'école ne tarde pas
Il y a un ami qui t'attend
Il est là haut dans ta chambre avec toutes sortes d'animaux
J'entendais un grand pas partout dans la maison
Et vous marchiez peut-être à ce moment dans la rue Vital
Ou dans un chemin creux de Saint-Gervais-la-Forêt
Qui est sûrement un patelin merveilleuxJ'ai dit parlant aux ombres qui voyagent
Voici la pomme et la statue
Et voici Jules Supervielle
Ah vous voici cher Supervielle dans le miroir à peine éclos de la fenêtre
Ecartelé avec ce monde qui bat en vous sur le côtéVoici Jules Supervielle dis-je et dans la certitude obscure de demain
Enfin voici un grand bonhomme sur le chemin
Une silhouette jeune comme le vent et la luzerne
Voici la haute lanterne là-bas dans le domaine du cheval
Voici l'auberge le rendez-vous de tous les jours et le festin le plus originalAh Saisir Et rien n'échappe à ce grand corps qui se redresse
Aussi haut que la pomme et le sein des déesses
Dans l'étendue lunaire et sans spectacle
A vous seul comme vous en faites des miraclesBien sûr vous n'attendiez rien de moi
Car l'on n'attend rien de personne
Je vous écris depuis longtemps
C'est un bonheur de vous écrire
Il semble un peu qu'on se rapproche de ces pays
Qui n'ont un sens qu'à travers vous
On marche au pas des animaux faciles
Parmi tous les amis connus et inconnusIl y a celui-là si grand qui nous rassemble
L'homme pareil à l'Homme
La troublante effigie
Et malgré tout je n’ai rien dit de mon amour Jules Supervielle
René-Guy Cadou (1920-1951) - Poète instituteur, il choisit de vivre à la campagne - les bords de la Loire - afin de chanter la vie, la chaleur humaine, la saveur des jours et des nuits, celle de l'amitié et de l'amour.
L
e bestiaire de la vague...de
Claude RoyBESTIAIRE
DE LA VAGUE VENUE ME VOIR A NICE DE LA PART DE MON AMI LE POETE JULES SUPERVIELLE
Une vague
entre en hésitant
Une vague
entre des milliers
Elle entre
et court dans la maison
Toute légère
et chuchotant
Monte et
descend les escaliers
D'un pas
prudent plein de poissons
S'excusant
d'être si mouillée
Et d'un bleu
si déconcertant
Et d'avoir
tellement à dire
Qu'elle en a
peut-être oublié
Ce qui est
le plus important
Et qui l'empêche
de dormir.
De
Montevideo à Nice
Il y a tant
de ciel et d'eau
Tant de
navires feux éteints
Et tant d'épaves
qui pourrissent
Tant de
bateaux tant de radeaux
Qu'une vague
y perd son chemin
Même en se
dépêchant très fort
Même en
marmonnant jour et nuit
Entre les
lames et le vent
Même en
sautant par-dessus bord
Des grandes
cheminées de suie
Qu'elle
rencontre à son avant
Une vague
entre en hésitant
Et danse et
saute autour de moi
Entre la
table et le fauteuil
Toute
confuse et me léchant
Grand épagneul
d'eau et de soie
Qui pose sur
moi son gros œil
Cherchant à
faire pardonner
D'avoir
oublié en chemin
Ce que le poète
avait dit
Une grosse
vague étonnée
Qui lèche
doucement ma main
Comme elle
fit à son ami
Il y a des
mois des années.
Origine
de
Alain Bosquet
A
Jean-Claude Renard
Toute
origine est recommencement;
et
chaque lieu, sa fuite.
La
pierre pense :
«
Pour être pierre
j'ai
besoin d'un langage,
et
mon langage aura besoin d'un dieu
pour
l'imposer à cette pierre que je suis
et
que je ne suis pas encore. »
Et
la pierre déjà se change en papillon,
et
le papillon pense :
«pour
être seul de mon espèce
et
lui servir d'exemple,
ni
fauvette ni fleur,
j'ai
besoin d'un langage,
et
mon langage me viendra d'un dieu
qui
dira : Papillon,
j’exige
que tu sois un papillon. »
Mais
la pensée comme un zigzag parmi les roses
emporte
ses pollens, déchire ses pétales
et
n'ose pas choisir parmi ses dix parfums.
Et
le vieux papillon
déçu
d'avoir tant réfléchi
se
change en neige : un peu de neige douce.
Et
la neige se met à raisonner :
«
Pour être de plein droit la neige
et
non pas la brebis,
et
non pas le nuage qui passe,
j'ai
besoin de parler,
et
ma parole me sera offerte par un dieu
en
qui j'aurai confiance
et
qui sera très magnanime. »
Et
la neige a si peur
D’imaginer
qu'elle serait la neige !
Elle
devient un vieux mouchoir,
et
le mouchoir ne pense pas, et le mouchoir n'a pas besoin de s'affirmer.
Toute
origine est déchirure ;
et
chaque lieu, métamorphose.
Alain
Bosquet (pseudonyme d’Anatole Bisk, Odessa, 1919 – Paris, 1998). Poète, romancier, essayiste,
traducteur, animateur de revues. Il publie ses deux premiers recueils de poèmes à New York en
1942-1943. : L’image impardonnable et Syncopes. Suivront notamment Langue
morte (1951), Quatre testaments (1957-1962), Sonnets pour une fin de siècle
(1980), Le tourment de Dieu (1986). Peu de temps avant sa mort sous le titre Je ne suis
pas un poète d’eau douce (1996), il a réuni chez Gallimard ses « Poèsies complètes 1945
- 1994 ». Il se considérait comme le fils spirituel de Jules Supervielle.
La Terre
de
Max Jacob
Envolez-moi
au-dessus des chandelles noires de la terre,
au-dessus
des cornes venimeuses de la terre.
II
n'y a de paix qu'au-dessus des serpents de la terre,
La
terre est une grande bouche souillée,
ses
hoquets, ses rires à gorge déployée,
sa
toux, son haleine, ses ronflements quand elle dort
me
triturent l'âme. Attirez-moi dehors !
Secouez-moi
! empoignez-moi, et toi terre chasse-moi.
Surnaturel,
je me cramponne à ton drapeau de soie
que
le grand vent me coule dans tes plis qui ondoient.
Je
craque de discordes militaires avec moi-même,
je
me suis comme une poulie, une voiture de dilemmes
et
je ne pourrai dormir que dans vos évidences.
Je
vous envie, phénix, faisan doré, condors...
Donnez-moi
une couverture volante qui me porte
au-dessus
du tonnerre, dehors au cristal de vos portes.
(Sacrifice impérial)
JACOB,
Max, 1876-1944. Né à Quimper, il arrive à Paris à vingt ans et fréquente la bohème littéraire
et artistique, le Bateau-Lavoir, les milieux d'avant-garde, Montparnasse . Il est converti depuis
quelques années, à la suite d'une vision lorsque, en 1921, il commence à partager sa vie entre
Paris et Saint-Benoît-sur-Loire, où il se retirera définitivement à l'ombre de l'abbaye en 1937.
Arrêté par les Allemands comme juif, en 1944, il meurt au camp de Drancy. II allie cocasserie et
élans mystiques, affectation ludique et sincérité, cherchant dans la poésie « l'accord des
mots, des images et de leur appel mutuel et constant ».
Ses oeuvres : La Côte, chants bretons, 1911 ; Les Oeuvres burlesques et mystiques de frère Matorel, 1912 ; Le Cornet à dés, 1917 ; La Défense de Tartufe, 1919 ; Le Laboratoire central, 1921 ; Visions infernales, 1924 ; Les Pénitents en maillots roses, 1925 ; Fond de l’eau, 1927; Sacrifice impérial, 1929 ; Rivage 1931 ; Ballades, 1938 (ces six recueils réunis en 1970 sous le titre Ballades) ; Derniers poèmes en vers et en prose 1945 ; Poèmes de Morven le Gaélique, 1953 ; Le Cornet à dés, II, 1955 ; L’homme de cristal, 1967 ; Morceaux choisis, Gallimard 1936. Conseils à un jeune poète, 1945.
Les grenades...
de
André Gide
Nathanaël,
te parlerai-je des grenades ?
On
les vendait pour quelques sous, à cette foire orientale,
Sur
des claies de roseaux où elles s'étaient éboulées.
On
en voyait qui roulaient dans la poussière
Et
que des enfants nus ramassaient.
Leur
jus est aigrelet comme celui des framboises pas mûres.
Leur
fleur semble faite de cire ;
Elle
est de la couleur du fruit.
Trésor
gardé, cloisons de ruches,
Abondance
de la saveur,
Architecture
pentagonale.
L'écorce
se fend ; les grains tombent,
Grains
de sang dans des coupes d'azur ;
Et
d'autres, gouttes d'or, dans des plats de bronze émaillé.
Chante
à présent la figue, Simiane,
Parce
que ses amours sont cachées.
Je
chante la figue, dit-elle,
Dont
les belles amours sont cachées.
Sa
floraison est repliée.
Chambre
close où se célèbrent des noces ;
Aucun
parfum ne les conte en dehors.
Comme
rien ne s'en évapore,
Tout
le parfum devient succulence et saveur.
Fleur
sans beauté ; fruit de délices ;
Fruit
qui n'est que sa fleur mûrie.
J'ai
chanté la figue, dit-elle,
Chante
à présent toutes les fleurs.
Les
Nourritures terrestres
Gide, André, 1869-1951. La poésie n'est certes pas la partie la plus importante de son oeuvre. On n'oubliera cependant pas l'ironie décadente des Poésies d'André Walter (1892) ni la ferveur lyrique des Nourritures Terrestres (1897). Jules Supervielle a connu André Gide à travers la NRF.
En ces instants...
de (Sidonie Gabrielle) Colette
En ces instants encore nocturnes ma mère chantait, pour se taire dès qu'on pouvait l'entendre. L'alouette aussi tant qu'elle monte vers le plus clair, vers le moins habité du ciel. Ma mère montait, et montait sans cesse sur l'échelle des heures, tâchant à posséder le commencement du commencement... Je sais ce que c’est que cette ivresse-là. Mais elle quêta, elle, un rayon horizontal et rouge, et le pâle soufre qui vient avant le rayon rouge ; elle voulut l'aile humide que la première abeille étire comme un bras. Elle obtint, du vent d'été qu'enfante l'approche du soleil, sa primeur en parfums d'acacia et de fumée de bois ; elle répondit avant tous au grattement de pied et au hennissement à mi-voix d'un cheval, dans l'écurie voisine ; de l'ongle elle fendit, sur le seau du puits, le premier disque de glace éphémère où elle fut seule à se mirer, un matin d'automne...
Colette (Saint-Sauveur-en-Puisaye, 1873 - Paris, 1954) excelle à évoquer le pays natal, qui reste "une relique, un terrier, une citadelle, le musée de (sa) jeunesse" et sait appréhender le mystère de l'âme animale. Lucide et impitoyable connaissance de soi et des autres, appréciation sensuelle et passionnée du monde, l'œuvre de Colette (jusqu'aux derniers ouvrages, L'Etoile Vesper, 1947, et Le Fanal bleu, 1949) est servie par une prose à la fois précise et savoureuse, presque gourmande, d'un art toujours très sûr.
Colette, Marcel Pagnol, Jules supervielle
Le Fleuve
de
Paul Claudel
Pour expliquer le fleuve avec l'eau autre chose, pas autre chose que l'immense pente irrésistible !
Et pas autre chose pour carte et pour idée que tout de suite ! et cette dévoration sur-le-champ de l'immédiat et du possible!
Pas d'autre programme que l'horizon et la mer prodigieusement là-bas !
Et cette complicité du relief avec le désir et avec le poids !
Pas d'autre violence que la douceur, et patience que continuité, et outil que l'intelligence, et pas d'autre liberté
Que ce rendez-vous en avant de moi sans cesse avec l'ordre et la nécessité !
Et pas ce pied qui succède au pied, mais une masse qui s'accroît et qui s'appesantit et qui marche,
Un continent tout entier avec moi, la terre prise de pensée qui s'ébranle et qui s'est mise en marche !
Sur tous les points de son bassin qui est le monde et par toutes les fibres de son aire
Le fleuve pour le rencontrer a provoqué toutes sortes de sources nécessaires,
Soit le torrent sous les rocs à grand bruit, soit ce fil du haut des monts virginal qui brille à travers l'ombre sainte,
Soit le profond marais odorant d'où une liqueur trouble suinte,
L'idée essentielle à perte de vue enrichie par la contradiction et l'accident
Et l'artère en son cours magistral insoucieuse des fantaisies de l'affluent.
Il fait marcher à l'infini les moulins, et les cités l'une à l'autre par lui se deviennent intéressantes et explicables.
Il traîne avec puissance derrière lui tout un monde illusoire et navigable.
Et la dernière barre, aussi bien que la première et toutes les autres à la suite, il n'y a pas à douter
Que, volonté de toute la terre en marche derrière lui, il n'arrive à la surmonter.
Ô Sagesse jadis rencontrée ! C'est donc toi sans que je le susse devant moi qui marchais aux jours de mon enfance,
Et qui lorsque je trébuchais et tombais m'attendais avec tristesse et indulgence,
Pour aussitôt peu à peu, le chemin, le reprendre avec une autorité invincible !
C'était toi à l'heure de mon salut, ce visage, je dis toi, haute vierge, la première que j'ai rencontrée dans la Bible !
C'est toi comme un autre Azarias qui avait pris charge de Tobie,
Et qui ne t'es point lassée de ce troupeau fait d'une seule brebis.
Que de pays ensemble parcourus! Que de hasards et que d'années!
Et après une longue séparation la joie de ces retrouvailles inopinées!
Maintenant le soleil est si bas que je pourrais le toucher avec la main,
Et l'ombre que tu fais est si longue qu'elle trace comme un chemin,
À perte de vue derrière toi identifié avec ton vestige !
Qui tient les yeux levés sur toi ne craint point l’hésitation ou le vertige.
Que ce soit la forêt ou la mer, ou le brouillard même et la pluie et le divers aspect de la contrée,
Tout à la vision de ta face devient connaissable et doré.
Et moi, je t'ai suivie partout, ainsi qu'une mère honorée.
Brangues,
21 avril 1943. Pages de prose
CLAUDEL, Paul, 1868-1955. Diplomate, il parcourut le monde des États-Unis à la Chine et du Brésil au japon. Toute son oeuvre poésie, théâtre, essais, exégèse biblique, est une quête de la réalité spirituelle, un hymne à Dieu et à sa Création dans l'orthodoxie catholique, alliant le sens cosmique à l'expérience quotidienne. Dans son Introduction à un poème sur Dante, il écrit : « L'objet de la poésie, ce n'est pas, comme on le dit souvent, les rêves, les illusions ou les idées. C'est cette sainte réalité, donnée une fois pour toutes, au centre de laquelle nous sommes placés. C'est l'univers des choses visibles auquel la Foi ajoute celui des choses invisibles. C'est tout cela qui nous regarde et que nous regardons. Tout cela est l’œuvre de Dieu qui fait la matière inépuisable des récits et des chants du plus grand poète comme du plus pauvre petit oiseau. »
Connaissance de l'Est, 1900 (édition définitive 1914) ; Cinq Grandes Odes suivies d'un processionnal pour saluer le siècle nouveau, 1910 ; La Cantate à trois voix 1912 ; Vers d'exil dans Théâtre 4 volumes, 1911-1912, tome IV; Corona Benignitatis Anni Dei, 1915 ; La Messe là-bas 1917; Ode jubilaire pour le six centième anniversaire de la mort de Dante, 1921 ; Poèmes de guerre 1914-1916, 1922 ; Feuilles de Saints, 1925 ; Cent phrases pour éventails, 1927; L'Oiseau noir dans le soleil levant, 1927 (édition remaniée et augmentée 1929) ; Poèmes et paroles durant la guerre de Trente ans, 1945; Le Livre de Job, 1946 ; Visages radieux, 1947.Oeuvre poétique Bibliothèque de la Pléiade, 1957.Art poétique, 1907; Positions et propositions, 1928-1934; Pages de prose, 1944.
de
Francis Thompson
Quand ma vie rythmera de son funèbre pas
Le lourd tambour de mort du battement des heures
Suivant, seule à pleurer, ma propre mort humaine,
Pauvre corps dans l'oubli, et nulle jeune fille pour y jeter des fleurs,
Quand ce je que tu aimes ne sera plus le même
Parti d'un pas flottant, regardant ton cher, si cher visage
A travers le changement d'yeux qui ne verront plus rien...
Traduction de Claude Roy, extrait de son livre "Jules supervielle"
Jules Supervielle a dit que sa rencontre avec Francis Thomson a été capitale. Thompson (Francis Joseph) est un poète et essayiste anglais (Preston, Lancashire, 1859 - St John's Woods, Londres, 1907). Ayant déçu sa famille très catholique par son inaptitude à la prêtrise, puis à la médecine, il mena à Londres, où il devint opiomane, une vie vagabonde. déjà atteint de tuberculose, le poète trouva refuge auprès de l'éditeur de la revue catholique Merry England à qui il avait envoyé ses premiers vers en 1888. Le Lévrier du Ciel (The Hound of Heaven) publié dans Poèmes (1893) est considéré comme l'expression mystique la plus haute de la poésie anglaise de cette époque la poésie anglaise de cette époque. Critique littéraire à l'Athenaeum et à l'Academy, Thompson donna encore Nouveaux Poèmes (1897), Santé et Sainteté (1905) et La Vie de Saint Ignace de Loyola (1909).
L'Ignorant
de
Philippe JaccotetPlus
je vieillis et plus je croîs en ignorance,
Plus
j'ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout
ce que j'ai, c'est un espace tour à tour
enneigé
ou brillant, mais jamais habité.
Où
est le donateur, le guide, le gardien ?
Je
me tiens dans ma chambre et d'abord je me tais
(le
silence entre en serviteur mettre un peu d'ordre),
et
j'attends qu'un à un les mensonges s'écartent :
que
reste-t-il? que reste-t-il à ce mourant
qui
l'empêche si bien de mourir? Quelle force
le
fait encor parler entre ses quatre murs ?
Pourrais-je
le savoir, moi l'ignare et l'inquiet ?
Mais
je l’entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre
avec le jour, encore que bien vague :
«
Comme le feu, l'amour n'établit sa clarté
que
sur la faute et la beauté des bois en cendres...»
Poèsie 1946-1967
JACCOTTET, Philippe, né en 1925 à Moudon dans le canton de Vaud (Suisse), vit depuis 1953 à Grignas (Drôme). Il a notamment publié L'effraie (1953), L'obscurité (1961), Airs (1967), Paysages avec figures absentes (1970), Poésie 1946-1967 (1971), À La lumière d'hiver (1977), Pensées sous les nuages (1983), La semaison (1983), A travers un verger (1984), Cahier de verdure (1990). Parmi ses essais : l'entretien des muses (1968), Rilke (1970), Gustave Roud (1982), Une transaction secrète (1987). Traducteur de Robert Musil, de Thomas Mann, mais aussi de Platon, Hölderlin, Ungaretti et de nombreux poètes qui nous sont présentés dans son livre D'une lyre à cinq cordes 1946-1995.
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