JEAN DECOTTIGNIES

Présentation par Sabine Dewulf
Portrait par Bertrand Vibert
Témoignage personnel d'une rencontre
Bibliographie
 
   
Professeur émérite de littérature à l'Université de Lille III et critique littéraire, Jean Decottignies a été mon principal directeur de recherche. Fin connaisseur de Nietzsche, de Gilles Deleuze, de Michel Foucault, de Pierre Klossowski, de Jean Giono, de Pierre Jean Jouve, de Jorge Luis Borges, de Witold Gombrowicz et d'André Breton (pour ne citer qu'eux), il m'a ouvert une vision neuve de la littérature, qui contrastait singulièrement avec la plupart des lectures qui occupent le champ critique occidental. C'est cette pensée différente qui m'a ensuite permis d'approfondir et d'orienter ma propre recherche en direction du bouddhisme mahayana (le ch'an chinois, dont est issu le zen japonais) et tantrique (tibétain), puis de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.

Par un curieux hasard, Jean Decottignies a, de son côté, et sans que nous ayons évoqué nos découvertes respectives, rencontré le bouddhisme au cours de plusieurs voyages récents au Japon ; il y a immédiatement reconnu certaines affinités entre les concepts forgés par sa pensée et ceux des philosophes zen : le "simulacre", préféré à la copie du réel héritée de Platon ; la "métamorphose" ou l' "équivoque" perpétuelle comme seule définition possible de l'absolu ; le sujet en acte, irréductible à un moi objectivable ; le "peu de réalité" ; le sens de l' "improbable" ; la "jouissance mélancolique" (cette jubilation éprouvée dans la perte de l'objet du désir) ; le langage en tant que "geste" et comme "écriture ironique", et non comme instrument de communication...

Toutes ces notions, puisées parmi d'autres, rappellent, sur le plan intellectuel tout au moins, certains concepts bouddhistes fondamentaux : vacuité, voie du milieu entre le réel et l'irréel, irréalité de l'ego, impermanence, négation de la négation, métamorphose, jusqu'au goût des "kôans", ces aphorismes zen où l'absurde joue un rôle puissant : celui de susciter chez le lecteur un éveil salutaire, ce qui n'est pas sans rappeler la conception que Jean Decottignies propose de la poésie comme acte pur...

   
   
 
Portrait de Jean Decottignies

Par BERTRAND VIBERT
maître de conférence à l'université des Lettres de Grenoble

"Femme doit être le dernier mot d'un mourant et d'un livre". Xavier Forneret

 
"Jean Decottignies était un universitaire paradoxal. Il a sans doute marqué profondément plusieurs générations d’étudiants — dont certains sont devenus des amis fidèles —, mais il ne fut pas un professeur en ce sens qu’il se refusait résolument à dispenser un savoir, du savoir. S’il fut professeur, ce fut donc d’ambiguïté, de paradoxe, d’oxymore, de féminité, d'hystérie, de simulacre, de métamorphose, d’ironie, de mélancolie, de taciturnité, de fiction enfin – entendez poésie selon la formule de Mallarmé : tous termes critiques doués d’une fonction essentielle dans sa pensée et dans son œuvre, mais aux connotations affectives trop riches pour qu’on puisse avec justesse les baptiser du nom de concepts. C’est qu’une fois pour toutes, Jean Decottignies avait balayé les prétentions des sciences positives comme aussi celles d’une certaine philosophie à déterminer le vrai, dont la perte était pour lui, comme pour Nietzsche, l’objet d’un gai savoir, – le seul auquel il prétendît. En ce sens, pas un de ses articles, pas un de ses livres ne saurait se convertir directement en matière de cours, ou en objet d’enseignement. Bien plutôt, ils invitent tous au geste critique, à cette expérience d’écriture qui est à la fois une aventure et un risque. Une telle position est rare à l’université, car elle s’accommode fort mal des certitudes et des routines que réclament les institutions, voire des honneurs qu’elles dispensent à ceux qui suivent la ligne mélodique principale. Or Jean Decottignies cultivait avec malice et délices l’art de la dissonance.

Plutôt donc que de professer – mais avec une conscience et une exigence de rigueur qui étaient aussi sa marque propre –, Jean Decottignies pratiquait l’exercice de la pensée sur le vif, à l’épreuve des œuvres qu’il aimait, comme enseignant pour les étudiants de son séminaire, mais aussi comme écrivain. Certaines œuvres l’ont accompagné tout au long de sa carrière, pourrait-on dire si le mot ne lui convenait si mal : on pense bien sûr à l’œuvre de Pierre Klossowski, mais aussi à celle de Nietzsche dont le premier fut pour lui l’intercesseur ; à celle des surréalistes et en particulier à l’œuvre d’André Breton ; à celle aussi des écrivains modernes avec lesquels il avait noué un dialogue ininterrompu dans lequel sa propre pensée se vivifiait sans cesse : Blanchot, Foucault, Deleuze. D’autres auteurs encore sont intervenus de façon plus épisodique dans son œuvre, mais néanmoins tout aussi centrale. Car Jean Decottignies ne craignait pas de revendiquer pour lui, à l'instar de Klossowski, la qualité de « monomane » ; et ce sont les mêmes interrogations, toujours reprises sur nouveaux frais, qui habitent son œuvre, et qui tiennent à la mise en évidence de cette irréductible faculté de fiction, ou poésie, qui, à la suite de Nietzsche, ne veut d’autre justification au monde que d’ordre esthétique. Citons, parmi ces écrivains d’élection, Stendhal, Villiers de l’Isle-Adam, Giono, Jouve, Borges, Gombrowicz et, durant les dernières années, Colin Dexter, l’inventeur de l’Inspecteur Morse que l’on sait peut-être, et auquel est consacré son tout dernier ouvrage (à paraître). Tous ses thèmes y sont mis en œuvre en un concert qu’il savait être le dernier. Lui qui aimait la musique avec passion, il a su les orchestrer avec le minimum de moyens nécessaires, comme un compositeur parvenu au sommet de son art. Comme un compositeur enfin, et comme tout artiste, il savait, selon le mot par lui souvent cité de Maurice Blanchot, que l’œuvre « vient du silence et retourne au silence »."

   
   

 Textes de Jean Decottignies

BIBLIOGRAPHIE
1969 Mémoires du comte de Comminge, de Madame de Tencin, texte de 1735, présenté et annoté par Jean Decottignies. Publications de la Faculté des Lettres de l'Université de Lille, Librairie René Giard.
1973 Prélude à Maldoror, Vers une poétique de la rupture en France, 1820-1870, Armand Colin.
1979 L'Ecriture de la fiction, Situation idéologique du roman, Presses Universitaires de France, Paris..
1981 Les Sujets de l'écriture, Presses Universitaires du Septentrion, Lille.
1983 Villiers le taciturne , Presses Universitaires de Lille, coll. Objet.
1985 Klossowski, notre prochain, Henri Veyrier.
1988 Ecritures ironiques , coll. "Objet", Presses Universitaires de Lille, coll. "Objet".
1994 Pierre Jean Jouve romancier ou l'expérience de l'abîme , José corti.
1995 L'Invention de la poésie - Breton, Aragon, Duchamp , Presses Universitaires de Lille, coll. "Objet".
1998 Pierre Klossowski - Biographie d'un monomane , Presses Universitaires du Septentrion, Lille, coll. "Objet".
1998 Physiologie et mythologie du féminin (ouvrage à trois voix), Presses Universitaires du Septentrion, Lille, coll."Objet".
2004 La vie poétique de l'inspecteur Morse - Un polar mélancolique, Ellug, Grenoble.

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