MAITRE MUSULMAN
(Blois,
1886 ; Le Caire, 1951) Le « grand Soufi » au service de l'Unique
Si
l'oeuvre et la correspondance de Guénon sont abondantes, il n'existe aucune « biographie
officielle », et cela semble confirmer la réponse qu'il fit un jour à quelqu'un qui le pressait
de questions relatives à sa vie : « La personnalité de René Guénon ne nous intéresse pas. »
On
sait qu'il naquit à Blois le 15 décembre 1886. De santé fragile, on apprend peu de choses de
l'enfance qui s'estompe dans le secret pour resurgir à l'adolescence où son intelligence remarquée
soulève l'enthousiasme des professeurs. À 15 ans, il est présenté au concours général de
version latine et l'année suivante pour la science et la philosophie.
Après
l'obtention du baccalauréat, il part à paris pour suivre les cours de mathématiques spéciales.
Il s'inscrit à l'Association des candidats à l'entrée de l'École polytechnique et de l'École
normale supérieure. Puis subitement, pour une raison inconnue, il se retire de l'univers des
potaches et s'installe tel un ermite dans l'île Saint-Louis dans un petit appartement de l'ancien
hôtel
Chenisseau. À partir de cette époque, le mystère efface la vie. Réformé, il sera pour un temps
professeur de philosophie dans l'enseignement libre et
participera
à plusieurs organisations maçonniques ou ésotériques comme celle dirigée par Papus (docteur
Encausse) dont dépendait l'École hermétique. Quatre ans après, Guénon rompt avec ce milieu et
chemin faisant rejoint Fabre des Essarts alors patriarche de l'Église gnostique. Admis dans
l'organisation, il fonde la revue Gnose dans laquelle paraît « Le démiurge » sous
le nom d'emprunt de Palingénius. Par la suite se succéderont les ébauches du Symbolismes de la
croix et de L 'homme et son devenir selon le Védanta, puis des articles sur la franc-maçonnerie
et le calcul infinitésimal. Au cours de ces années, René Guénon rencontre des hommes qui eurent
probablement une certaine influence sur son cheminement spirituel comme Albert Puyou, le comte de
Pouvourville, qui occupe des fonctions militaires et administratives au Tonkin et reçut
l'initiation taoïste sous le nom de Matgïoi. Mais le plus important semble John Gustav Aguéli
(Ivan Aguéli), collaborateur de Gnose. Ce peintre suédois à la vie énigmatique et
vagabonde parlait de nombreuses langues. Devenu musulman en 1897, lors d'un séjour en Égypte, il
fut initié au Taçawuff (soufisme) par le cheik Elish Abder Raham el Kébir, un des hommes les plus
influents de l'Islam et célèbre pour sa connaissance. Dans ce contexte, il est possible que Guénon,
alors âgé de 26 ans, ait reçu l'initiation islamique et se rattachât à la Tariqa Shadhiliya.
En
février 1912, Gnose cesse de paraître. Il se marie avec Berthe Loury, adopte une nièce et
publie des ouvrages à contre-courant de la pensée occidentale institutionnelle. En même temps, Guénon
affronte les critiques sévères des néo-thomistes sous l'impulsion du théologien Jacques Maritain
qui cherchera à faire mettre son livre a l'index, mais heureusement sauvegardé du purgatoire littéraire
par le refus de Pie XII et le soutien du cardinal Tisserant. À cet isolement intellectuel vient
s'ajouter la mort de sa
femme
en 1928 et le départ de sa nièce reprise par sa mère légitime. C'est en mars 1930 que Guénon
touche la terre d'Égypte afin d'y collecter et traduire
des
textes islamiques, mais le séjour se prolonge et devient définitif.
Là-bas,
toujours aussi discret et n'ayant aucune relation avec les Européens du Caire, Guénon s'efface
encore et fait place au cheik Abdel Wahed Yehia (le serviteur de l'Unique) qui se rend tous les
matins à la mosquée de Seyidna El Hussein pour prier et pratiquer avec ferveur sur la voie de
l'islam, allant pas à pas vers un accomplissement spirituel dont on ne sait rien, excepté que le
saint indien Ramana Maharshi le désigna un jour comme le « grand
soufi ». En 1943, il épouse la fille aînée du cheik Mohammed Ibrahim dont il aura quatre
enfants. Adoptant spontanément les us et coutumes de sa nouvelle patrie, il prend la nationalité
égyptienne pour assurer plus d'unité à sa famille. Dans son bureau, non loin des pyramides,
figurent trois inscriptions : « Plus tu seras reconnaissant et plus tu seras comblé », «
Qu'est-ce que la victoire sinon celle qui vient de Dieu ? » et « Allah est Allah et Mohammed est
son prophète » ; chaque jour il y répond inlassablement par courrier, aussi bien à une demande
profane qu'à une question de doctrine posée par un maître. Mais vingt ans après son arrivée au
Caire, Guénon tombe malade et cesse toute activité. Le 7 janvier 1951, il déclare que c'est la
fin. Vers 22 heures, il se redresse sur son lit en s'écriant : « El nafass Whalass ! » (L'âme
s'en va.) Une heure après, dans un dernier soupir il prononce le nom d'Allah : ultime témoignage
de l'unité de sa personne restée si secrète.
Il
serait vain de vouloir résumer en quelques lignes une oeuvre aussi dense et diversifiée que celle
léguée par René Guénon. Toutefois, peut-être s'éclaire-t-elle par ce propos qu'il écrit en
1909 : « Le sort de la plupart de ces doctrines soi-disant spiritualistes, c'est de n'être que du
matérialisme transposé sur un autre plan et de vouloir appliquer au domaine de l'esprit les méthodes
que la science ordinaire emploie pour étudier le monde physique. » Il poursuit : « Ces méthodes
expérimentales ne feront jamais connaître autre chose que de simples phénomènes sur lesquels il
est impossible d'édifier une théorie métaphysique quelconque, car un principe universel ne peut
pas s'inférer de faits particuliers. D'ailleurs la prétention d'acquérir la connaissance du monde
spirituel par des moyens matériels est évidemment absurde : cette connaissance, c'est en nous-même
seulement que nous pouvons en trouver les principes et non dans les objets extérieurs. »
Bibliographie
René Guénon, L'homme et son devenir selon le Védanta, Éditions Traditionnelles, Paris, 1978.
La
crise du monde moderne, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1979.
Initiation
et réalisation spirituelles, Éditions Traditionnelles, Paris, 1980.
«
René Guénon » , Éd. de l'Herne, Paris, 1985.
Extraits
de : Mystiques et maîtres spirituels contemporains de Bruno Solt, Ed. Pocket
A un autre point de vue, nous avons vu que tout individu humain, aussi bien d'ailleurs que toute manifestation d'un être dans un état quelconque, a en lui-même la possibilité de se faire centre par rapport à l'être total ; on peut donc dire qu'il l'est en quelque sorte virtuellement, et que le but qu'il doit se proposer, c'est de faire de cette virtualité une réalité actuelle. Il est donc permis à cet être, avant même cette réalisation, et en vue de celle-ci, de se placer en quelque sorte idéalement au centre ; du fait qu'il est dans l'état humain, sa perspective particulière donne naturellement à cet état une importance prépondérante, contrairement à ce qui a lieu quand on l'envisage du point de vue de la métaphysique pure, c'est-à-dire de l'Universel ; et cette prépondérance se trouvera pour ainsi dire justifiée a posteriori dans le cas où cet être, prenant effectivement l'état en question pour point de départ et pour base de sa réalisation, en fera véritablement l'état central de sa totalité, correspondant au plan horizontal de coordonnées dans notre représentation géométrique. Ceci implique tout d'abord la réintégration de l'être considéré au centre même de l'état humain, réintégration en laquelle consiste proprement la restitution de l'«état primordial», et ensuite, pour ce même être, l'identification du centre humain lui-même avec le centre universel ; la première de ces deux phases est la réalisation de l'intégralité de l'état humain, et la seconde est celle de la totalité de l'être.[...
Extrait
de "Le symbolisme de la Croix", ed. Guy Trédaniel
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