JULES SUPERVIELLE 

Les Amis Inconnus

bulletLes Amis inconnus
bulletL'Oiseau
bulletPlein de songe
bulletEt les objets
bulletLui seul
bulletQuand le soleil
bulletLe monde en nous
bulletL'arbre
bulletAttendre que la nuit

La Fable du Monde

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Le chaos et la création (extraits)

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La goutte de pluie

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O Dieu très atténué

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Nocturne en plein jour

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Encore frissonnant...

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C'est la couleuvre du silence...

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Quand le sombre et le trouble...

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Allons, mettez-vous là...

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C'est vous quand vous êtes partie...

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L'espérance

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La mer secrète

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La pluie et les tyrans

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Le coquillage et l'oreille

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Docilité

Accueil

Les textes de la semaine

 

 

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Les Amis inconnus

 

Les amis inconnus

 

Il vous naît un poisson qui se met à tourner

Tout de suite au plus noir d'une lame profonde,

II vous naît une étoile au-dessus de la tête,

Elle voudrait chanter mais ne peut faire mieux

Que ses sœurs de la nuit les étoiles muettes.

 

Il vous naît un oiseau dans la force de l'âge,

En plein vol, et cachant votre histoire en son coeur

Puisqu'il n'a que son cri d'oiseau pour la montrer.

Il vole sur les bois, se choisit une branche

Et  s'y  pose,  on  dirait  qu'elle  est comme  les  autres.

 

Où courent-ils ainsi ces lièvres, ces belettes,

II n'est pas de chasseur encor dans la contrée,

Et quelle peur les hante et les fait se hâter,

L'écureuil qui devient feuille et bois dans sa fuite,

La biche et le chevreuil soudain déconcertés ?

 

II vous naît un ami, et voilà qu'il vous cherche

II ne connaîtra pas votre nom ni vos yeux

Mais il faudra qu'il soit touché comme les autres

Et loge dans son cœur d'étranges battements

Qui lui viennent de jours qu'il n'aura pas vécus.

 

Et vous, que faites-vous, ô visage troublé,

Par ces brusques passants, ces bêtes, ces oiseaux,

Vous qui vous demandez, vous, toujours sans nouvelles,

« Si je croise jamais un des amis lointains

Au  mal  que  je  lui  fis  vais-je  le  reconnaître ? »

 

Pardon pour vous, pardon pour eux, pour le silence

Et les mots inconsidérés,

Pour les phrases venant de lèvres inconnues

Qui vous touchent de loin comme balles perdues,

Et  pardon  pour  les   fronts  qui  semblent  oublieux. 

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L'oiseau

 

« Oiseau, que cherchez-vous, voletant sur mes livres,

Tout vous est étranger dans mon étroite chambre.

— J'ignore votre chambre et je suis loin de vous,

Je n'ai jamais quitté mes bois, je suis sur l'arbre

Où j'ai caché mon nid, comprenez autrement

Tout ce qui vous arrive, oubliez un oiseau.

— Mais je vois de tout près vos pattes, votre bec.

— Sans doute pouvez-vous rapprocher les distances

Si vos yeux m'ont trouvé ce n'est pas de ma faute.

   Pourtant  vous   êtes     puisque  vous   répondez.

— Je réponds à la peur que j'ai toujours de l'homme

Je nourris mes petits, je n'ai d'autre loisir,

Je les garde en secret au plus sombre d'un arbre

Que je croyais touffu comme l'un de vos murs.

Laissez-moi sur ma branche et gardez vos paroles,

Je crains votre pensée comme un coup de fusil.

— Calmez donc votre coeur qui m'entend sous la plume.

— Mais quelle horreur cachait votre douceur obscure

Ah ! vous m'avez tué je tombe de mon arbre.

J'ai besoin d'être seul, même un regard d'oiseau...

— Mais puisque j'étais loin au fond de mes grands bois ! » 

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Plein de songe…

 

Plein de songe mon corps, plus d'un fanal s'allume

A mon bras, à mes pieds, au-dessus de ma tête.

Comme un lac qui reflète un mont jusqu'à sa pointe

Je sens la profondeur où baigne l'altitude

Et suis intimidé par les astres du ciel. 

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Et les objets…

 

Et les objets se mirent à sourire,

L’armoire à glace avait un air très entendu,

Et le fauteuil feignait d’en savoir long

Sur nos quatre saisons et sur la sienne seule

(Elle ignore le gel et les ardeurs solaires).

 

Le robinet riait dans sa barbe bruyante,

La corbeille à papiers lisait des bouts de lettres

Dès qu’on avait le dos tourné

Et j’étais un objet méditant parmi d’autres

(Oubliant que naguère encor  j’étais un homme). 

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Lui seul

 

Si vous touchez sa main c’est bien sans le savoir,

Vous vous le rappelez mais sous un autre nom,

Au milieu de la nuit, au plus fort du sommeil,

Vous dites son vrai nom et le faites asseoir.

 

Un jour on frappe et je devine que c’est lui

Qui s’en vient près de nous à n’importe quelle heure

Et vous le regardez avec un tel oubli

Qu’il s’en retourne au loin mais en laissant derrière

 

Une porte vivante et pâle comme lui. 

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Quand le soleil…

 

« Quand le soleil… - Mais le soleil qu’en faites-vous ?

Du pain pour chaque jour, l’angoisse pour la nuit.

-  Quand le soleil… - Mais à la fin vous tairez-vous,

C’est trop grand et trop loin pour l’homme des maisons.

-  Ce bruit de voix… - Ou bien plutôt bruit de visages,

On les entend toujours et même s’ils se taisent.

-  Mais le silence… - Il n’en est pas autour de vous,

Tout fait son bruit distinct pour l’oreille de l’âme.

Ne cherchez plus. - Et comment pourrais-je ne pas chercher,

Je suis tout yeux comme un renard dans le danger.

-  Laissons cela, vous êtes si près de vous-même

Que désormais rien ne pourrait vous arriver,

Rassurez-vous, il fait un petit vent de songe

Et l’étrange miroir luit presque familier. » 

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Le monde en nous

 

Chaque objet séparé de son bruit, de son poids,

Toujours dans sa couleur, sa raison et sa race,

Et juste ce qu’il faut de lumière, d’espace

Pour que tout soit agile et content de son sort.

Et cela vit, respire et chante avec moi-même

- Les objets inhumains comme les familiers -

Et nourri de mon sang s’abrite à la chaleur.

La montagne voisine un jour avec la lampe,

Laquelle luit, laquelle en moi est la plus grande ?

Ah ! je ne sais plus rien si je rouvre les yeux,

Ma science gît en moi derrière mes paupières

Et je n’en sais pas plus que mon sang ténébreux. 

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L’arbre

 

Il y avait autrefois de l’affection, de tendres sentiments,

C’est devenu du bois.

Il y avait une grande politesse de paroles,

C’est du bois maintenant, des ramilles, du feuillage.

Il y avait de jolis habits autour d’un coeur d’amoureuse

Ou d’amoureux, oui, quel était le sexe ?

C’est devenu du bois sans intentions apparentes

Et si l’on coupe une branche et qu’on regarde la fibre

Elle reste muette

Du moins pour des oreilles humaines,

Pas un seul mot n’en sort mais un silence sans nuances

Vient des fibrilles de toute sorte où passe une petite fourmi.

 

Comme il se contorsionne l’arbre, comme il va dans tous les sens,

Tout en restant immobile !

Et par là-dessus le vent essaie de le mettre en route,

Il voudrait en faire une espèce d’oiseau bien plus grand que nature

Parmi les autres oiseaux

Mais lui ne fait pas attention,

Il faut savoir être un arbre durant les quatre saisons,

Et regarder, pour mieux se taire,

Ecouter les paroles des hommes et ne jamais répondre,

Il faut savoir être tout entier dans une feuille

Et la voir qui s’envole. 

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Attendre que la Nuit…

 

Attendre que la Nuit, toujours reconnaissable

A sa grande altitude où n’atteint pas le vent,

            Mais le malheur des hommes,

Vienne allumer ses feux intimes et tremblants

Et dépose sans bruit ses barques de pêcheurs,

Ses lanternes de bord que le ciel a bercées,

Ses filets étoilés dans notre âme élargie,

Attendre qu’elle trouve en nous sa confidente

Grâce à mille reflets et secrets mouvements

Et qu’elle nous attire à ses mains de fourrure,

Nous les enfants perdus, maltraités par le jour

            Et la grande lumière,

Ramassés par la Nuit poreuse et pénétrante,

Plus sûre qu’un lit sûr sous un toit familier,

C’est l’abri murmurant qui nous tient compagnie,

C’est la couche où poser la tête qui déjà

            Commence à graviter,

A s’étoiler en nous, à trouver son chemin.

 

 

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La Fable du monde

 

 

Le chaos et la création (Dieu parle) (extraits)

 

Je suis dans la noirceur et j'entends ma puissance

Faire un bruit sourd, battant l'espace rapproché,

Alentour un épais va-et-vient de distances

Me flaire, me redoute et demeure caché.

Je sens tout se creuset, ignorant de ses bornes,

Et puis tout se hérisse en ses aspérités.

Serais-je menacé par les flèches sans formes

De fantômes durcis dans de longs cauchemars.

Mais non, tout se précise en moi-même, je gagne !

Je  suis  déjà la  plaine  au-delà du  hasard

Et, haussant tout ce noir, je deviens la montagne

Et la neige nouvelle attendant sa couleur.

Ah que ne sombre point la plus grande pâleur

La cime qui m'ignore et déjà m'accompagne

Et que je cesse enfin d'être mon inconnu.

Que la lumière soit...

(…)

 

Ivresse de créer, de tout voir aboutir,

De n'avoir pas à commencer et de finir,

De délivrer soudain les fleuves et les pierres,

Les  cœurs  battants,  les  yeux,  les  âmes  prisonnières.

Tout m'échappe, les flots et les terres en vrac,

Mélange de courants, de vivantes folies,

Mais un de mes regards rend le calme d'un lac,

Préservant en dessous ce qu'il y faut de vie.

Que  rien n'ait peur de  vivre  au  sortir  de  mon  corps,

Ni les petits poissons menacés dans leur fuite,

Ni les grands dévorés à leur tour par la mort

Ni tout ce qui remue et doute au fond du sort.

Tout me revient, trouvant en moi de la justice,

Prêt à se reformer dans mon clair précipice.

(…) 

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La goutte de pluie (Dieu parle)  

 

Je cherche une goutte de pluie

Qui vient de tomber dans la mer.

Dans sa rapide verticale

Elle luisait plus que les autres

Car seule entre les autres gouttes

Elle eut la force de comprendre

Que, très douce dans l’eau salée,

Elle allait se perdre à jamais.

Alors je cherche dans la mer

Et sur les vagues, alertées,

Je cherche pour faire plaisir

A ce fragile souvenir

Dont je suis seul dépositaire.

Mais j’ai beau faire, il est des choses

Où Dieu même ne peut plus rien

Malgré sa bonne volonté

Et l’assistance sans paroles

Du ciel, des vagues et de l’air. 

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Ô Dieu très atténué

 

0 Dieu très atténué

Des bouts de bois et des feuilles,

Dieu petit et séparé,

On te piétine, on te cueille

Avec les herbes des prés.

Dieu des légères fumées,

Dieu des portes mal fermées

On les ouvrit tant de fois

Que l'air traverse le bois.

Et toi, dans l'humaine écorce,

Dieu de qui n'a plus la force

D'avoir un Dieu résistant

Comme celui qu'abandonne

Par ses blessures le sang,

Dieu qui ne remplis sa chose

Qu'à moitié comme à regret,

Dieu sur le point de quitter

Le cœur d'un homme qui n'ose

Le retenir, le goûter,

Tu t'absentes, tu reviens,

Tu es toujours en voyage.

Heureux celui qui retient

Un bon Dieu comme un bon vin

Qui prend avec lui de l'âge. 

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Nocturne en plein jour

 

Quand dorment les soleils sous nos humbles manteaux

Dans l’univers obscur qui forme notre corps,

Les nerfs qui voient en nous ce que nos yeux ignorent

Nous précèdent au fond de notre chair plus lente,

Ils peuplent nos lointains de leurs herbes luisantes

Arrachant à la chair de tremblantes aurores.

 

C’est le monde où l’espace est fait de notre sang.

Des oiseaux teints de rouge et toujours renaissants

Ont du mal à voler près du coeur qui les mène

Et ne peuvent s’en éloigner qu’en périssant

Car c’est en nous que sont les plus cruelles plaines

Où l’on périt de soif près de fausses fontaines.

 

Et nous allons ainsi, parmi les autres hommes,

Les uns parlant parfois à l’oreille des autres. 

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Encore frissonnant…

 

Encore frissonnant

Sous la peau des ténèbres

Tous les matins je dois

Recomposer un homme

Avec tout ce mélange

De mes jours précédents

Et le peu qui me reste

De mes jours à venir.

Me voici tout entier,

Je vais vers la fenêtre.

Lumière de ce jour,

Je viens du fond des temps,

Respecte avec douceur

Mes minutes obscures,

Épargne encore un peu

Ce que j’ai de nocturne,

D’étoilé en dedans

Et de prêt à mourir

Sous le soleil montant

Qui ne sait que grandir. 

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C'est la couleuvre du silence

 

C'est la couleuvre du silence

Qui vient dans ma chambre et s'allonge

Elle contourne l'encrier

Puis, se glissant jusqu'à mon lit,

S'enroule autour de mon coeur même,

Mon coeur qui ne sait pas crier,

Lui qui du grand bruit de l'espace

Fait naître un silence habité,

Lui qui de ses propres angoisses

Façonne un  songe  ensanglanté. 

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Quand le sombre et le trouble…

Quand le sombre et le trouble et tous les chiens de l'âme

Se bousculent au bout de nos longs corridors,

Quand le dis-qui-tu-es et le te-tairas-tu

S'insultent à travers des volets sans rainures,

Un homme grand, barbu et plusieurs fois lui-même

Les fait taire un à un d'un revers de la main

Et je reste interdit sur des jambes faussées

Comme si j'étais lui sans espoir de retour.

Allons, te tairas-tu, cruelle malfaçon,

Faite  de  chair,  de  cris,  de  poils  et  de  rancune.

Debout sur le plus bas degré des nuits sans lune

Je veux voir affleurer ma sereine saison.

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Allons, mettez-vous là…

 

Allons, mettez-vous là au milieu de mon poème,

Que je m'approche à loisir, loin des regards indiscrets,

Entre des mots qui vous observent, bien qu'ils vous devinent à peine,

Et d'autres mots qui vous éclairent sans parvenir à vous toucher.

 

Vous y trouverez un air, un ciel plus cléments que l'autre,

Dans un grand imprévu d'arbres ignorés par les saisons,

Une attentive floraison comme aux premiers jours du monde,

Quand il n'y avait encor rien et que soudain tout devint nôtre.

 

Une légère carriole traversant ma poésie,

Avec un cheval qui jamais ne souleva de poussière

Parce qu'il sait avancer franchement, sans toucher terre

Nous fera voir aussi bien la clairière ou l'éclaircie.

 

Nous ferons un grand bûcher des angoisses de la terre

Pour le vouer à la mort qui s'éloignera de nous,

Et remonterons sans remords les plus secrètes rivières

  se  reflètent  les  coeurs  qui  ne  tremblent  plus  que d'amour. 

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C'est vous quand vous êtes partie…

 

C'est vous quand vous êtes partie,

L'air peu à peu qui se referme

Mais toujours prêt à se rouvrir

Dans sa tremblante cicatrice

Et c'est mon âme à contre-jour

Si profondément étourdie

De ce brusque manque d'amour

Qu'elle n'en trouve plus sa forme

Entre la douleur et l'oubli.

Et c'est  mon cœur  mal protégé

Par un peu de chair et tant d'ombre

Qui se fait au goût de la tombe

Dans ce rien de jour étouffé

Tombant des autres, goutte à goutte,

Miel secret de ce qui n'est plus

Qu'un peu de rêve révolu. 

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L’espérance

 

Dans l’obscurité pressentir la joie,

Savoir susciter la fraîcheur des roses,

Leur jeune parfum qui vient sous vos doigts

Comme une douceur cherche un autre corps.

Le coeur précédé d’antennes agiles,

Avancer en soi, et grâce à quels yeux,

Eclairer ceci, déceler cela,

Rien qu’en approchant des mains lumineuses.

Mais dans quel jardin erre-t-on ainsi

Qui ne serait clos que par la pensée ?

Ah pensons tout bas, n’effarouchons rien,

Je sens que se forme un secret soleil.

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La mer secrète

 

Quand nul ne la regarde,

La mer n’est plus la mer,

Elle est ce que nous sommes

Lorsque nul ne nous voit.

Elle a d’autres poissons,

D’autres vagues aussi.

C’est la mer pour la mer

Et pour ceux qui en rêvent

Comme je fais ici.  

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La pluie et les tyrans

 

Je vois tomber la pluie

Dont les flaques font luire

Notre grave planète,

La pluie qui tombe nette

Comme du temps d'Homère

Et du temps de Villon

Sur l'enfant et sa mère

Et le dos des moutons,

La pluie qui se répète

Mais ne peut attendrir

La dureté de tête

Ni le cœur des tyrans

Ni les favoriser

D'un juste étonnement,

Une petite pluie

Qui tombe sur l'Europe

Mettant tous les vivants

Dans la même enveloppe

Malgré l’infanterie

Qui charge ses fusils

Et malgré les journaux

Qui nous font des signaux,

Une petite pluie

Qui mouille les drapeaux.

  

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Le coquillage et l’oreille

 

Mais un profond coquillage

Dont le son veille, caché,

D'âge en âge attend l'oreille

Qui finit par s'approcher.

 

Et l'homme qui le rencontre

Écoutant ce bruit lointain

Dévide au fond de la conque

L'invisible fil marin.

 

L'oreille, conque elle-même,

Aboutissant au cerveau

Va des profondeurs humaines

Au maritime écheveau

 

Et compare sur la plage

Le dehors et le dedans

Cependant que l'océan

Toujours change de pelage.

 

 

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Docilité

 

La forêt dit: « C'est toujours moi la sacrifiée,

On me harcèle, on me traverse, on me brise à coups de hache,

On me cherche noise, on me tourmente sans raison,

On me lance des oiseaux à la tête ou des fourmis dans les jambes,

Et l'on me grave des noms auxquels je ne puis m'attacher.

Ah! on ne le sait que trop que je ne puis me défendre

Comme un cheval qu'on agace ou la vache mécontente.

Et pourtant je fais toujours ce que l'on m'avait dit de faire,

On m'ordonna : "Prenez racine." Et je donnai de la racine tant que je pus,

"Faites de l'ombre." Et j'en fis autant qu'il était raisonnable,

"Cessez d'en donner l'hiver." Je perdis mes feuilles jusqu'à la dernière.

Mois par mois et jour par jour je sais bien ce que je dois faire,

Voilà longtemps qu'on n'a plus besoin de me commander.

Alors pourquoi ces bûcherons qui s'en viennent au pas cadencé ?

Que l'on me dise ce qu'on attend de moi, et je le ferai,

Qu'on me réponde par un nuage ou quelque signe dans le ciel,

Je ne suis pas une révoltée, je ne cherche querelle à personne

Mais il me semble tout de même que l’on pourrait bien me répondre

Lorsque le vent qui se lève fait de moi une questionneuse. »

 

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POEMES

bulletI - Poèmes
bulletII- Débarcadères
bulletIII - Gravitations
bulletIV - Le Forçat innocent
bulletV - Les Amis inconnus
bulletVI - La Fable du monde
bulletVII - 1939-1945
bulletVIII - Oublieuse mémoire
bulletIX - A la nuit
bulletX - Naissances
bulletXI - L'Escalier
bulletXII - Le Corps tragique

 

EXTRAITS DE CONTES

 

bulletI - L'Enfant de la haute mer 

 

bulletII - L'Arche de Noé

 

bulletIII - Premiers pas de l'univers

 

Pour rejoindre ces poètes :

Colette / Pierre Dhainaut / Roberto Juarroz / André du Bouchet / Eugène Guillevic

 

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Les textes de la semaine