QUELQUES TEXTES DE JULES SUPERVIELLE
Dans cet univers toujours mouvant et incertain, l’objet observé est également indissociable de l’observateur. Il n’y a pas de frontière nette entre le sujet pensant, regardant ou écoutant, et l’objet de son étude. La mer, dès qu’on la regarde, n’est plus la mer… Le moi du poète, quant à lui, est sous l’emprise de l’inconscient, lequel, chose curieuse, en sait davantage que sa conscience claire. Le sujet se fissure, hanté par un double insaisissable, et l’objet qu’il observe, parallèlement, se dérobe toujours à sa saisie : il est comme ce vide que perçoit le cheval dans le poème essentiel qui s’intitule « Mouvement » ; quelque chose a été vu et sera encore vu, mais quoi ? Le mystère est total. Le poème est construit autour d’un blanc que le poète se refuse à combler.
C’est pourquoi l’univers de Supervielle est aussi bien extérieur qu’intérieur : la mer profonde, par exemple, possède les mêmes caractéristiques que la mémoire oublieuse ; inversement, le corps humain est un véritable paysage. « Rêver, explique le poète dans En songeant à un art poétique (Naissances), c’est oublier la matérialité de son corps, confondre en quelque sorte le monde intérieur et extérieur. […] Je rêve toujours un peu ce que je vois […]. » Ce monde visité par le rêve au sens où l’entend le poète, c’est un univers mieux connu - approché et respecté dans son indépassable mystère - que par l’étude traditionnelle, laquelle découpe le monde en catégories réductrices.
Cet univers apparaît finalement éminemment fraternel : un lien intime se crée entre l’objet et l’homme, le poète et l'animal, l’arbre et la parole, le nuage et la terre, la chose et le mot, la matière et l’esprit… : une "pansympathie", une compassion universelle. Comme si le vertige initial - la perte de nos repères habituels - était la condition nécessaire à la reconstruction d’un véritable cosmos, d'un monde toujours en mouvement mais cohérent et à la recherche d'une harmonie.
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