JULES SUPERVIELLE 

Gravitations

bulletCommencements
bulletMouvement
bulletUn nuage va celant...
bulletHaut ciel
bulletLes germes
bulletVivre
bulletLe miroir
bulletAvec ce souffle de douceur
bullet400 atmosphères
bulletVertige

Le Forçat innocent

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Le Forçat (extrait)

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Soleil

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Saisir (extraits)

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Livrez vos mains aux miennes...

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Dans votre grand silence...

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Le cœur et le tourment (extraits)

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Plein ciel

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Sous quelle fougère...

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Dans la forêt sans heures

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Les textes de la semaine

 

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"Terre lourde qui se disputent les cadavres et les arcs-en-ciel,"

(Terre)

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Gravitations

 

Commencements   

Dans l’œil de cette biche on voit

Un étang noir, une cabane

D’un autre monde diaphane

Où boit un cerf parmi ses bois.

 

De ce futur cheval n’existe

Encor que le hennissement

Et la crinière dans sa fuite

Que se disputent quatre vents.

 

De loin voici que m’arrive

Un clair visage sans maître

Cherchant un corps pour que vive

Sa passion de connaître.

 

Nulle lèvre ne le colore

Mais avec un soin studieux,

Double, une natte de cheveux

Tombe sur un fragment d’épaule.

 

Virez chevelures de femmes,

Virez beaux gestes sans bras,

Audaces qui cherchez une âme,

Violences qui voulez un bras,

 

Regard sans iris ni racines

Rôdant dans l’espace argentin,

O regards, serez-vous enfin

Retenus par une rétine ? 

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Mouvement 

 

Ce cheval qui tourna la tête

Vit ce que nul n’a jamais vu

Puis il continua de paître

A l’ombre des eucalyptus.

 

Ce n’était ni homme ni arbre

Ce n’était pas une jument

Ni même un souvenir de vent

Qui s’exerçait sur du feuillage.

 

C’était ce qu’un autre cheval,

Vingt mille siècles avant lui,

Ayant soudain tourné la tête

Aperçut à cette heure-ci.

 

Et ce que nul ne reverra,

Homme, cheval, poisson, insecte,

Jusqu’à ce que le sol ne soit

Que le reste d’une statue

Sans bras, sans jambes et sans tête. 

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 Un nuage va celant…  

 

Un nuage va celant entre les plis de sa robe

Un paysage échappé de la terre et du soleil.

Quels aulnes sur la rivière et la couleur de quelle

Tremblent au creux du nuage qui se hâte dans le ciel ?

La fleur prise en son contour comme dans son propre piège,

Le métal sonnant s'il tombe, pour se sentir moins aveugle,

Comme il croit les emporter

Dans les abîmes du ciel

Le nuage, sans volume, dont frissonne le dessin !

Et les plus lourdes odeurs, ô nuage sans odeur,

Et la chaleur sur la vigne, ô nuage sans chaleur !

Le chagrin d’un homme obscur dans une paillote de jonc

II voudrait, ce beau chagrin, l'espacer loin dans le ciel,

Le cri d'un homme égorgé il voudrait le propager,

Faire un silence étoilé avec le silence des prés.

Et la truite qu'il a vue sauter d'argent sur le gave

Et que nul ne verra plus, comment la ravirait-il ?

Et la fraise forestière 

Qu'on ne voit que de tout près

Comment peut-on la ravir lorsque l'on n'est qu'un nuage

Avec les poches trouées ?

Mais rien ne semble étonnant à ce peu de rien qui glisse,

Rien ne lui est si pesant qu'il ne puisse l'embarquer

Ni la place du marché, ni ses douze brasseries,

Toutes les tables dehors et les visages qui rient,

Le manège avec ses ors, les porcs de bois, leur peinture ! 

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Haut ciel                          

                        A Paul Morand

 

S’ouvre le ciel touffu du milieu de la nuit

Qui roule du silence

Défendant aux étoiles de pousser un seul cri

Dans le vertige de leur éternelle naissance.

 

De soi-même prisonnières

Elles brûlent une lumière

Qui les attache, les délivre

Et les rattache sans merci.

 

Elles refoulent dans les siècles

L’impatience originelle

Qu’on reconnaît légèrement

A quelque petit cillement.

 

Le ciel de noires violettes

Répand une odeur d’infini

Et va chercher dans leur poussière

Les soleils que la mort bannit.

 

Une ombre longue approche et hume

Les astres de son museau de brume.

 

On devine l’ahan des galériens du ciel

Tapis parmi les rames d’un navire sans âge

Qui laisse en l’air un murmure de coquillage

Et navigue sans but dans la nuit éternelle,

Dans la nuit sans escales, sans rampes ni statues,

Sans la douceur de l’avenir

Qui nous frôle de ses plumes

Et nous défend de mourir.

 

Le navire s’éloigne derrière de hautes roches de ténèbres,

Les étoiles restent seules contractées au fond de leur fièvre

 

Avec leur aveu dans la gorge

Et l’horreur de ne pouvoir

Imaginer une rose

Dans leur mémoire qui brûle. 

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  Les germes 

Ils se répandraient de tous côtés et l'univers en serait en quelque sorte ensemencé.

Arrhenius 

0 nuit frappée de cécité,

0 toi qui vas cherchant, même à travers le jour,

Les hommes de tes vieilles mains trouées de miracles,

Voici les germes espacés, le pollen vaporeux des mondes,

Voici     des    germes     au    long    cours     qui     ont    mesuré     tout    le  ciel

Et se posent sur l'herbe

Sans plus de bruit

Que le caprice d'une Ombre qui lui traverse l'esprit.

 

Ils échappèrent fluides au murmure enlisé des mondes

Jusqu'où    s'élève    la    rumeur    de    nos    plus    lointaines pensées,

Celles d'un homme songeant sous les étoiles écouteuses

Et suscitant en plein ciel une ronce violente,

Un chevreau tournant sur soi jusqu'à devenir une étoile.

 

Ils disent le matelot que va disperser la tempête,

Remettant vite son âme au dernier astre aperçu

Entre deux vagues montantes,

Et, dans un regard noyé par la mer et par la mort,

Faisant naître à des millions horribles d'années-lumière

Les volets verts de sa demeure timidement entrouverts

Comme si la main d'une femme allait les pousser du dedans.

 

Et nul ne sait que les germes viennent d'arriver près de nous

Tandis que la nuit ravaude

Les déchirures du jour. 

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Vivre

 

Pour avoir mis le pied

Sur le coeur de la nuit

Je suis un homme pris

Dans les rets étoilés.

 

J'ignore le repos

Que connaissent les hommes

Et même mon sommeil

Est dévoré de ciel.

 

Nudité de mes jours,

On t'a crucifiée ;

Oiseaux de la forêt

Dans l'air tiède, glacés.

 

Ah ! vous tombez des arbres. 

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Le miroir

 

Le mort vient de dérober

Un long miroir à la vie,

Une poignée de cerises

Où titube du soleil.

 

Ses yeux brillent dans leur bleu

Et ses mains dans leur blancheur.

En lui bat une âme heureuse

Et rapide comme un coeur.

 

Il regarde dans la glace

Rougir mille cerisiers

Et des oiseaux picorer

Que nulle pierre ne chasse.

 

Il se voit monter aux arbres,

S’étonne que les oiseaux

Dans ses mains se laissent prendre

Pour y mourir aussitôt.

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 Avec ce souffle de douceur…

 

Avec ce souffle de douceur

Que je garde encor de la morte,

Puis-je refaire les cheveux,

Le front que ma mémoire emporte ?

 

Avec mes jours et mes années,

Ce cœur vivant qui fut le sien,

Avec le toucher de mes mains,

Circonvenir la destinée ?

 

Comment t'aider, morte évasive,

Dans une tâche sans espoir,

T'offrir à ton ancien regard

Et reconstruire ton sourire,

 

Et rapprocher un peu de toi

Cette houle sur les platanes

Que ton beau néant me réclame

Du fond de sa plainte sans voix. 

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 400 atmosphères

 

Quand le groseiller qui pousse au fond des mers

Loin de tous les yeux regarde mûrir ses groseilles

Et les compare dans son coeur,

Quand l’eucalyptus des abîmes

A cinq mille mètres liquides médite un parfum sans espoir,

Des laboureurs phosphorescents glissent vers les moissons aquatiques,

D’autres cherchent le bonheur avec leur paumes mouillées

Et la couleur de leurs enfants encore opaques

Qui grandissent sans se découvrir

Entre les algues et les perles.

L’amour s’élance à travers les masses salines tombantes

Et la joie est évasive comme la mélancolie.

L’on pénètre comme à l’église sous les cascades de ténèbres

Qui ne font ni écume ni bruit.

Parfois on devine que passe un nuage venu du ciel libre

Et le dirige, rênes en main, une grave enfant de la côte.

Alors s’allument un à un les phares de la noirceur

Et tournent.

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Vertige

Le granit et la verdure se disputent le paysage. Deux pins au fond du ravin s'imaginent l'avoir fixé. 

Mais la pierre s'arrache du sol dans un tonnerre géologique.

 

Joie rocheuse tu t'élances de toutes parts, escaladant jusqu'à la raison du voyageur. 

Il craint pour l'équilibre de son intime paysage qui fait roche' de toutes parts. 

Il ferme les yeux jusqu'au sang, son sang qui vient du fond des âges et 

 prend sa source dans les pierres.

 

Calanques (Corse).

 

Le Forçat innocent

 

Le forçat (extrait)

 

Je ne vois plus le jour

Qu'au travers de ma nuit,

C'est un petit bruit sourd

Dans un autre pays.

C'est un petit bossu

Allant sur une route,

On ne sait où il va

Avec ses jambes nues.

Ne l'interroge pas,

II ignore ta langue

Et puis il est trop loin,

On n'entend plus ses pas. (...)

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Soleil

 

Soleil, un petit d'homme est là sur ton chemin

Et tu mets sous ses yeux ce qu'il faut de lointains.

Ne sauras-tu jamais un peu de ce qu'il pense ?

Ah tu es faible aussi, sans aucune défense,

Toi   qui   n'as   que   la   nuit  pour   sillage,   pour   fin.

Et peut-être que Dieu partage notre faim

Et que tous ces vivants et ces morts sur la terre

Ne sont que des morceaux de sa grande misère,

Dieu toujours appelé. Dieu toujours appelant,

Comme le bruit confus de notre propre sang.

Soleil, je suis heureux de rester sans réponse,

Ta lumière suffit qui brille sur ces ronces.

Je cherche autour de moi ce que je puis t'offrir.

Si je pouvais du moins te faire un jour chérir

Dans un matin d'hiver ta présence tacite,

Ou ce ciel dont tu es la seule marguerite,

Mais mon coeur ne peut rien sous l'os, il est sans voix

Et toujours se hâtant pour s’approcher de toi,

Et toujours à deux doigts obscurs de ta lumière,

Elle qui ne pourrait non plus le satisfaire.

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Saisir (extraits)

 

Saisir, saisir le soir, la pomme et la statue,

Saisir l'ombre et le mur et le bout de la rue.

 

Saisir le pied, le cou de la femme couchée

Et puis ouvrir les mains. Combien d'oiseaux lâchés

 

Combien d'oiseaux perdus qui deviennent la rue,

L'ombre, le mur, le soir, la pomme et la statue.

 

Mains, vous vous userez

A ce grave jeu-là.

Il faudra vous couper

Un  jour, vous  couper ras. (…)

 

     *

Vous avanciez vers lui, femme des grandes plaines,

Nœud sombre du désir, distances au soleil.

 

Et vos lèvres soudain furent prises de givre

Quand son visage lent s'est approché de vous.

 

Vous parliez, vous parliez, des mots blafards et nus

S'en venaient jusqu'à lui, mille mots de statue.

 

Vous fîtes de cet homme une maison de pierre,

Une lisse façade aveugle nuit et jour.

 

Ne peut-il dans ses murs creuser une fenêtre,

Une porte laissant faire six pas dehors ?

 

            *           

Saisir quand tout me quitte,

Et avec quelles mains

Saisir cette pensée,

Et avec quelles mains

Saisir enfin le jour

Par la peau de son cou,

Le tenir remuant

Comme un lièvre vivant ?

Viens, sommeil, aide-moi,

Tu saisiras pour moi

Ce que je n’ai pu prendre,

Sommeil aux mains plus grandes. (…

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Livrez vos mains aux miennes…

 

Livrez vos mains aux miennes,

Ecoutez la rumeur :

Nos âmes attardées

Viennent de leurs frontières.

 

Voici qu’elles se touchent.

C’est l’ombre et la lumière

Qui se croient immobiles

Et tremblent de changer.

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Dans votre grand silence...

 

Dans votre grand silence

Vous avez l’air de dire

Un chant irréparable

Qui part de la montagne

Et gagne au loin la mer.

 

Une à une les choses

Vont douter de leurs gonds.

 

Un cœur de l’an dernier ?

Un cœur de l’an prochain

Habite nos poitrines.

Déjà tout se souvient :

Ce nuage, le mont, le paquebot, sa route,

Et ce grand ciel partout

Qui nous lia les mains. 

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Le cœur et le tourment (extraits)

 

II tremble de savoir si c’est d'elle ou de vous,

Ce coeur qui prend la fuite et ne veut pas répondre,

Ne l'interrogez pas, négligez-le dans l'ombre,

Feignez de ne pas voir ses confuses amours.

 

Affairé sous des yeux dont change la couleur

II bat en étourdi dans sa maison charnelle

Dont les volets sont clos la nuit comme le jour,

Et croit que ciel et mer sont étoiles jumelles.

 

Devant lui pensez bas, il entend les désirs,

Les secrets se former et l'amour se parfaire,

Mais prenez garde, il ne sait rien de sa misère,

Ayant même oublié ce qu'on nomme mourir.

 

                        *

 

Pour ce ciel encor vif de couleurs et de flèches

Où passent des oiseaux prisonniers d'un long jour,

Pour ces doigts pénétrés par l'ombre des caresses

Et qu'un frisson du soir vient chercher par-dessous,

Pour cet arbre si proche et qui déjà ressemble

A de beaux souvenirs  remuant dans leurs cendres,

Pour la Terre profonde où nous sommes couchés,

Pour ce miroir plaintif sous le ciel renversé. (…) 

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 Plein ciel

 

Au milieu d'un nuage,

Au-dessus de la mer,

Un visage de femme

Regarde l'étendue,

Et les oiseau-poissons

Fréquentant ces parages

Portent l'écume aux nues.

 

(Je connais cette femme

l'ai-je déjà vue ?)

 

Les  chiens  du ciel aboient

Dans un lointain sans terres,

Ce sont bêtes sans chair

Qui ne connaissent pas

Cette dame étrangère,

Et donnent de la voix

Avec leur âme austère.

 

(Elle a deux yeux si nom

Que je les cherche en moi.)

 

Silence tout à coup.

Visages dans les mains

Vont les sphères célestes

Qui retiennent leur souffle

Pour que ce chant modeste

Se fraye comme il faut

Son chemin jusqu’en haut.

 

(Et voici qu’elle a pris

Sa tête entre ses mains.) 

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Sous quelle fougère…

 

Sous quelle fougère où dort un insecte

Votre âme cherchait sa couleur première ?

 

C’était par quelque temps d’éclipse,

Seul au monde un frisson, un sourire triste.

 

De temps à autre toute une biche

Entre le feuillage s’en venait voir,

 

Puis s’éloignait sous la surveillance d’un songe

Qui la couvrait d’herbes, de ronces,

 

Et toujours prête à revenir. 

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Dans la forêt sans heures…

 

Dans la forêt sans heures

On abat un grand arbre.

Un vide vertical

Tremble en forme de fût

Près du tronc étendu.

 

Cherchez, cherchez, oiseaux,

La place de vos nids

Dans ce haut souvenir

Tant qu’il murmure encore.

     

 

 

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POEMES

bulletI - Poèmes
bulletII- Débarcadères
bulletIII - Gravitations
bulletIV - Le Forçat innocent
bulletV - Les Amis inconnus
bulletVI - La Fable du monde
bulletVII - 1939-1945
bulletVIII - Oublieuse mémoire
bulletIX - A la nuit
bulletX - Naissances
bulletXI - L'Escalier
bulletXII - Le Corps tragique

 

EXTRAITS DE CONTES

 

bulletI - L'Enfant de la haute mer 

 

bulletII - L'Arche de Noé

 

bulletIII - Premiers pas de l'univers

 

Pour rejoindre ces poètes :

Colette / Pierre Dhainaut / Roberto Juarroz / André du Bouchet / Eugène Guillevic

 

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