MAITRE HINDOU
"Tous les chemins mènent à Dieu...Mais les chemins ne sont pas Dieu"
Le
20 février 1834 naissait à Kamarpukur, petit village du Bengale occidental, un
garçon chétif que ses parents nommèrent Gadâdhar. La famille Chatterji était
pauvre mais de bonne caste brahmanique (clan des Chattopadhyata). L'enfant
n'apprit ni à lire ni à écrire mais mémorisa sous la direction de son père
les textes nécessaires à la célébration du culte. À l'âge de vingt ans, il
put donc être choisi pour desservir une petite chapelle dédiée à la déesse Kâli.
L'important
est que, dès son adolescence, Gadâdhar eut des expériences mystiques dont la
fréquence ne cessa de s'accroître, sa vie durant. Très vite, sa renommée s'étendit
et l'on vint de toute la région entendre les homélies dont il accompagnait les
rites quotidiens (pûjâ) du culte de Kâlî. On savait que 1a déesse elle-même
lui était apparue à plusieurs reprises, et lui avait demandé de prêcher la dévotion
à son égard. De plus, Gadâdhar, bien qu'il fût marié, avait choisi la voie
ascétique et fait voeu de chasteté. Un jour, (il devait avoir trente ans), il
vit venir à lui un sâdhu qui lui donna l'initiation védântique et lui conféra
un nom nouveau, comme il est de règle pour les moines, Râmakrishna.
Après
cet événement, ce dernier infléchit son enseignement dans un sens plus « métaphysique
» : tout en continuant de dire que la dévotion à Kâlî est nécessaire et
bienfaisante, il prit l'habitude d'ajouter que tout autre forme de bhakti est également
valable, y compris hors de l'hindouisme. C'est ainsi que les Européens qui
venaient le voir étaient invités par lui à pratiquer leur religion avec plus
de ferveur, et non à en changer. Et, si des hindous s'étonnaient de l'entendre
parler ainsi, il répondait qu'il avait été gratifié d'une apparition de Jésus
qui lui avait révélé le sens profond du christianisme. Muhammad aussi l'avait
visité, au même titre que le Bouddha, Krishna, etc.
Dans
les dernières années de sa vie, Râmakrishna, quadragénaire (il mourut en
1886, à l'âge de 52 ans), était entouré d'un groupe de disciples qui le
tenaient pour un maître spirituel (gourou) de premier
plan. Des gens importants, dans le domaine de la politique aussi bien que de la
religion, venaient le consulter sur toutes sortes de sujets et l'on notait ce
qu'il disait sur des feuilles volantes qui circulaient à Calcutta et dans toute
l'Inde du Nord. Une partie de ces « paroles » du Maître furent éditées bien
des années plus tard sous le titre, quelque peu provocateur, de « Gospel (Évangile)
of Râmakrishna » (en français, plus raisonnablement : « l'Enseignement de Râmakrishna
»). Ce que l’on trouve dans ces textes, c'est d'abord une présentation de
l'hindouisme contemporain tel qu'il est vécu dans le peuple : sur le plan
pratique un culte fortement dévotionnel, associé à l'affirmation d'une unité
fondamentale transcendant la diversité des mythes et des rites.
Mais
Râmakrishna va plus loin lorsqu'il élargit cette vision des choses à
l'ensemble des manifestations religieuses. « Ne discutez pas sur les doctrines
et sur les religions, disait-il, elles sont Une. Toutes les rivières vont à
l'océan! La grande eau se fraie mille chemins le long des pentes. Selon les
races, les âges et les âmes, elle court dans des lits différents; mais c'est
toujours la même eau! »
Cette
théologie de l'unité correspondait à ce qu'entendaient de nombreux
Occidentaux, surtout anglosaxons, mais elle n'aurait eu qu'un faible écho si Râmakrishna
n'avait rencontré vers la fin de sa vie un intellectuel de Calcutta, Narèndra
Nath Datta (1863-1902) qui devint son disciple et reçut de lui le nom
monastique de Vivékânanda.
L'ELEPHANT ET LE SOT
Un
certain gourou enseignait à son disciple que toute chose créée était Vishnou (Dieu). Et son
disciple le prit au mot. Un jour il rencontra un éléphant dans la rue. L'animal s'avançait vers
lui et le cornac criait: « Ecarte-toi, écarte-toi !» Le disciple raisonna dans son esprit : «Pourquoi
m'écarterais-je ? Je suis Vishnou, l'éléphant aussi ; quelle crainte Vishnou peut-il avoir de
Soi-même ?» Dans cette pensée il ne bougea pas. Finalement l'éléphant le souleva avec sa trompe
et le jeta au loin. Il fut grièvement blessé, et, quand il retourna chez son maître, il lui
raconta toute l'aventure. Le gourou dit: « C'est
bien, mon fils. Tu es bien Vishnou et l'éléphant l'est aussi. Mais pourquoi n'avoir pas écouté
les avertissements du cornac Vishnou qui te demandait de t'écarter ? »
LE
SAGE ET LE SERPENT
Personne
n'osait passer dans un chemin où un serpent venimeux avait élus domicile. Un mahatma ayant un jour
suivi cette route, des enfants qui gardaient les troupeaux se précipitèrent pour l'avertir. « Je
vous remercie, mes enfants, répondit le sage, mais je n'ai pas de crainte. D'ailleurs je connais
des mantra qui me protégeront contre toute attaque .» Et il continua d'avancer. Brusquement le
cobra se dressa contre lui. Mais en approchant du saint homme il se sentit soudain pénétré de la
douceur du yogin. Le sage, voyant le serpent, prononça une formule magique et le serpent s'écroula
à ses pieds. Alors le sage lui demanda : « Mon ami, as-tu l'intention de me mordre ? » Le
serpent stupéfait ne répondit rien. « Voyons, dit le mahatma, pourquoi fais-tu ainsi du mal à
d'autres créatures ? Je vais te donner une formule sacrée que tu répéteras constamment. Ainsi tu
apprendras à aimer Dieu. Et en même temps tu perdras tout désir de faire le mal.» Et il lui
murmura la formule à l'oreille. Le serpent s'inclina en signe d'assentiment, puis rentra dans son
trou pour y vivre d'innocence et de pureté, sans avoir jamais plus le désir de blesser un être
vivant. Au bout de quelques jours les enfants du village voisin s'aperçurent de ce changement
d'attitude, et, pensant que le serpent avait perdu son venin, ils se mirent à le tourmenter, à lui
jeter des pierres et à le traîner sur les cailloux. Le serpent, grièvement blessé, se laissa
faire et alla se cacher dans son trou.
A
quelque temps de là, le sage repassa par ce chemin et chercha le serpent mais en vain. Les enfants
lui dirent que l'animal était mort, mais il ne put pas les croire. I1 savait en effet que le nom de
Dieu a une telle puissance qu'on ne saurait en aucun cas mourir avant d'avoir résolu le problème
de la vie, c'est-à-dire avant d'avoir réalisé Dieu. Il continua donc d'appeler le cobra.
Finalement, celui-ci, qui était presque réduit à l'état de squelette, sortit de son trou et
s'inclina devant son maître.
-
Comment vas-tu, demanda le sage ?
-
Fort bien, Seigneur, merci ; par la grâce de Dieu tout va bien.
-
Mais pourquoi es-tu dans cet état ?
-
Conformément à tes instructions je cherche à ne plus faire de mal à aucune créature ; Je me
nourris maintenant de feuilles. C'est pourquoi j'ai un peu maigri.
-
Ce n'est pas le changement de régime qui a suffi â te mettre dans cet état. I1 doit y avoir autre
chose. Réfléchis un peu !
-
Ah ! Oui ! Je me rappelle. Les petits bergers ont été un peu durs pour moi un jour. Ils m'ont pris
par la queue et m'ont fait tournoyer, me frappant contre des pierres. Les pauvres petits ne savaient
pas que je ne les mordrais plus !
Le
sage répondit en souriant : «Pauvre ami, je t'ai recommandé de ne mordre personne, mais je ne
t'ai pas défendu de siffler pour éloigner les persécuteurs et les tenir en respect. »
De
même, vous qui vivez dans le monde ne blessez personne, mais ne laissez non plus personne vous
molester.
ESCLAVAGE
ET LIBERTÉ
L'esclavage
et la liberté viennent tous deux de l'esprit.
Si tu dis: « Je suis une âme libre. Que je vive dans le monde ou dans la forêt, rien ne peut m'asservir. Je suis fils de Dieu, le fils du Roi des rois. Qui pourrait me couvrir de chaînes ?» Tu seras libre. Celui qui, mordu par un serpent, peut dire, de toute sa volonté et de toute sa foi: « Le venin n'existe pas », ne sera certainement pas empoisonné par le venin. De même, dites: « Je ne suis pas enchaîné, je suis libre. » Faites jouer votre volonté, et vous serez libre.
LA
VRAIE RELIGION
Vous
pouvez visiter toute la terre, vous ne trouverez nulle part la vraie religion. Elle n'existe pour
vous que dans votre cœur. Celui qui ne L'a pas en soi ne La trouvera pas non plus hors de soi.
DIEU
Il
est naturel à la lampe de donner de la lumière. Avec son aide, les uns peuvent faire cuire un
repas, d'autres fabriquer de la fausse monnaie et d'autres encore lire la Bhagavad Gita. Peut-on en
rendre la lumière responsable ? De même est-ce la faute de Dieu si quelques-uns, au lieu de
chercher à atteindre leur salut à l'aide de son saint nom, l'invoquent pour tenter un cambriolage
?
Vous
ne recevez que ce que vous cherchez... Chacun obtient de Dieu ce qu'il cherche. Le fils d'un homme
pauvre, s'il a reçu de l'éducation, s'il est devenu juge à la Haute Cour, peut facilement être
content de soi. Alors Dieu fait écho à ses pensées et dit : « Bien, Continue ainsi...» Plus
tard quand le même juge a pris sa retraite, il commence à voir les choses telles qu'elles sont et
se demande : « Hélas! A quoi bon tout cela ? Qu'ai-je donc accompli dans ma vie ? » Et Dieu,
faisant de nouveau écho à ses pensées, dit : «C'est bien vrai. En réalité, qu'as-tu accompli ?»
Pouvez-vous
concevoir Dieu avec forme et sans forme ? I1 est comme la glace et l'eau. Quand l'eau se solidifie
en glace, elle prend une forme. Quand cette même glace est fondue en eau, cette forme précise
disparaît.
L'UN
ET LE MULTIPLE
On
demanda un jour à Sri Ramakrishna : «Si le même Dieu règne sur toutes les religions de ce monde,
pourquoi semble-t-Il différent dans chaque religion ? » Il répondit. « Dieu est Un, mais Ses
aspects sont multiples. De même qu'un maître de maison apparaît aux membres de la famille sous
des aspects divers - père de l'un, époux de l'autre, frère d'un troisième -, de même Dieu est décrit
et nommé de différentes manières, d'après la vision particulière de chacun de Ses adorateurs.
De même qu'on peut monter sur une maison au moyen d'une échelle, d'un bambou, d'un escalier, d'une corde, ou par divers autres moyens, de même les chemins et les manières d'arriver à Dieu sont multiples. Chaque religion dans le monde nous montre un des chemins pour l'atteindre.
LE
DOUBLE MOUVEMENT DU MONDE ET DES ETRES
Il
y a involution et évolution. C'est un chemin qu'il faut faire deux fois, en arrière et en avant,
en revenant sur ses pas. Vous retournez en arrière vers l'Etre suprême, et votre personnalité se
fond dans la Sienne, c'est le samadhi. Puis vous revenez sur vos pas avec cette personnalité
accrue. Vous retrouvez votre «moi» et vous regagnez le point d'où vous étiez parti. Vous découvrez
alors que vous, comme le monde, êtes issu de ce même Etre suprême, et que Dieu, homme et nature
sont les visages différents d'une seule Réalité, si bien que, lorsque vous en avez déchiffré
un, vous les lisez tous.
Quels que soient le péché, le mal et la misère que nous trouvions en ce monde, ils ne sont misère, mal et péché que par rapport à nous. Brahman est au-dessus et au-delà de toutes ces choses. Ce que, dans la création, nous appelons bien ou mal n'est pas considéré comme tel par Brahman ; on ne peut Le juger selon un critère humain du bien et du mal.
L'EGO
L'idée
d'un ego individuel c'est comme si, après avoir mis de côté un peu d'eau du Gange, vous appeliez
cette quantité séparée votre propre Gange.
LE
VOILE DE L'ILLUSION (MAYA)
Ni
le soleil ni la lune ne peuvent se refléter clairement dans de l'eau bourbeuse. Ainsi l'Ame
universelle ne peut être bien réalisée en nous tant que le voile de l'illusion n'est pas écarté,
c'est-à-dire tant que persiste le sens du « moi » et du « mien».
Le
soleil éclaire la terre mais un petit nuage suffit pour le cacher à nos regards. De même le voile
insignifiant de Maya nous empêche de voir Sachchidananda (le Seigneur dont l'essence est décrite
par sat, «existence», chit, « connaissance», et ananda, « béatitude »,
qui est répandu partout et qui est le témoin de ce qui existe).
MORT
ET NAISSANCE
La
naissance et la mort sont comme les bulles sur l'eau. L'eau est réelle, les bulles sont éphémères
; elles s'élèvent hors de l'eau, puis y retombent. De même, Dieu est un Océan dont les bulles
sont des âmes. Par Lui elles naissent, en Lui elles existent, à Lui elles retournent.
Beaucoup de gens se vantent de leurs richesses et de leurs pouvoirs, de leur nom, de leur renommée et de leur haute position dans la société. Mais toutes ces choses éphémères ils ne les retrouveront pas après leur mort.
LA
CONDUITE DE LA VIE
Sans
doute l'argent est nécessaire ici-bas mais il n'est pas bon de trop s'en occuper, pas plus que des
autres profits matériels. La meilleure attitude est de se contenter de ce qui vient naturellement.
Ne cherchez pas à amasser. Ceux qui consacrent leur vie et leur âme à Dieu, ceux qui sont Ses
adorateurs et cherchent en lui un refuge, ne s'inquiètent pas des choses terrestres. Ils règlent
leurs dépenses sur leurs recettes. Si l'argent arrive entre leurs mains ils le laissent facilement
s'écouler.
Il
n'y a aucun danger à ce qu'un bateau soit dans l'eau, mais il faut prendre garde que l'eau ne pénètre
dans le bateau, sans quoi celui-ci coule à pic. De même il n'y a nul inconvénient à ce qu'un sadhak
(celui qui cherche la vérité) vive dans le monde comme chef de famille mais il ne doit pas laisser
le monde submerger son esprit.
ETERNEL
ET POURTANT EPHEMERE...
Supposez
que le riz cuise dans la marmite. Pour voir s'il est cuit à point, vous en prenez un grain et vous
le pressez entre vos doigts. Vous saurez immédiatement si tout le contenu de la marmite est cuit à
point. Vous n'aurez pas besoin d'écraser tous les grains de riz. De même vous pouvez savoir si le
monde est réel ou irréel, éternel ou éphémère, en examinant simplement deux ou trois objets
qui en font partie. L'homme naît, vit, et meurt ; les animaux font de même, les arbres aussi. Si
vous discernez cela, vous comprendrez que toutes les choses qui ont un nom et une forme, même la
terre, le soleil ou la lune, ont le même sort. N'arriverez-vous pas ainsi à comprendre la nature
de toute chose dans l'univers? Quand vous aurez reconnu que le monde est irréel et éphémère,
vous ne l'aimerez plus, votre esprit s'en détachera, vous y renoncerez et vous vous libérerez de
tous désirs. Quand vous aurez accompli cet acte de renoncement vous arriverez à connaître Dieu
qui est la cause de l'univers.
NOEUDS
Sri
Ramakrishna disait des livres (grantha) qu'ils étaient comme autant de nœuds (granthi).
En d'autres termes, la simple lecture de ces livres, si elle n'est accompagnée de discernement et
de non-attachement, ne sert qu'à augmenter l'arrogance et la vanité, c'est-à-dire multiplie les nœuds
de notre esprit.
Lorsqu'on
remplit une cruche, on entend un gargouillement ; dès qu'elle est pleine, le bruit s'arrête. Ainsi
l'homme qui n'a pas encore trouvé Dieu est prodigue de vains discours à Son Sujet, mais celui qui
L'a vu jouit silencieusement de la béatitude divine.
C'est
devenu la mode pour vous autres de vouloir constamment faire des conférences et « éclairer »
votre prochain. Mais dites-moi d'abord comment vous allez vous éclairer vous-même. Hein ? Qui êtes-vous
donc pour aller instruire autrui ?
FAUX
POUVOIRS
I1
y avait une fois deux frères dont l'aîné quitta la maison paternelle pour devenir sannyasin. Au
bout de douze ans d'absence il revint à son lieu de naissance : « Frère, lui dit le cadet,
explique-moi ce que tu as gagné à errer si longtemps de par le monde ? »
Viens
voir, répondit le frère aîné. I1 l'emmena au bord d'un cours d'eau qui passait près du village,
et il traversa cette rivière en marchant sur les flots. Le plus jeune frère donna une pièce de
monnaie au passeur, et se trouva sur l'autre rive, dans le même laps de temps. « O mon cher frère
! dit-il alors au sannyasin, tu as subi pénitences et austérités pendant tant d'années et tu
n'as obtenu, après tout cela, qu'un pouvoir égal à une petite pièce de monnaie. » Lorsque
des poissons sont pris dans une nasse, certains ne se débattent pas mais restent calmement dans le
filet, d'autres luttent pour échapper et ne peuvent y parvenir, tandis qu'un troisième groupe s’évade
en rompant les mailles du filet. De même il existe trois espèces d'hommes en ce monde : ceux qui
sont enchaînés (baddha), ceux qui cherchent à se défaire des chaînes (mumukshu),
et ceux qui ont achevé de se libérer (mukta).
Extraits
de Textes sacrés d'Orient, de Marc de Smedt, Editions Belfond
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