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PTAHHOTEP  et les maîtres de sagesse de l'Égypte pharaonique 

La littérature sapientiale apparaît en Égypte dès le IIIème millénaire av. J. C., sous la forme d'« enseignements » d'un père à son fils. Il s'agit d'apprendre à vivre en conformité avec la notion fondamentale de l'existence en Égypte ancienne: la Mitât. Représentée comme une déesse, fille du dieu solaire Rê, sous la forme d'une femme assise surmontée d'une plume d'autruche ou la tenant dans sa main, on traduit en général son nom par « Vérité-Justice ». En fait cette notion recouvre la perfection de l'ordre originel de la création du monde par le dieu démiurge, ordre universel que le roi est en charge de maintenir en garantissant la permanence de l'action divine à travers le culte. Elle recouvre aussi l'ordre politique et social qui ne peuvent exister sans une morale du comportement individuel des sujets. En effet cet équilibre universel est l'objet d'une remise en cause constante de la part des forces qui visent au retour du chaos originel de l'anté﷓création. Ce drame cosmique quotidien est illustré par les mythes qui font référence au combat nocturne du soleil pour renaître au jour, exprimant la victoire toujours recommencée de la Maât sur le chaos.

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 Apprendre à vivre selon la Maât : 

L'originalité de la pensée égyptienne au IIIème millénaire av. J. C. est de concevoir la vie conforme à la Maât comme objet d'apprentissage, fondé sur l'expérience de grands ancêtres, et non comme une loi divine révélée. C'est ainsi que le premier à dicter son « enseignement » , selon la tradition, est le célèbre Imhotep (env. 2660 av. J. C.), l'inventeur de l'architecture monumentale en pierre, le constructeur de la pyramide à degrés du roi Djéser (III' dynastie) à Saqqarah. Son « enseignement » nous est inconnu, mais la tradition égyptienne y fait allusion tout au long de la période pharaonique. Autre rédacteur de « sagesse », dont des passages fragmentaires sont connus par des copies postérieures, Hordjedef, fils de Chéops (env. 2500). C'est en effet aux grands personnages de l'entourage royal que l'on demande de transmettre leur expérience à cette époque. Deux autres textes nous sont connus à la même période, l'Enseignement de Ptahhotep (env. 2400) et celui rédigé pour Kagemni, sans doute légèrement postérieur, bien que les copies conservées le situent sous le règne du célèbre roi Snéfrou, fondateur de la IV' dynastie. 

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 L'Enseignement de Ptahhotep

L'Enseignement de Ptahhotep se présente comme un texte complet, connu par des copies postérieures. La plus complète est celle du Papyrus Prisse (Paris, Bibl. nat. de France) qui date de la XIIe dynastie (env. 1990-1785 av. J. C.). Il illustre parfaitement la mentalité des maîtres de sagesse de l'Égypte du III' millénaire av. J. C. Dans l'introduction, Ptahhotep demande l'aval du roi pour transmettre à son fils « les paroles de ceux qui jadis ont écouté les conseils des ancêtres qui obéirent aux dieux ». Dans sa réponse, le souverain exhorte Ptahhotep à faire de son fils un « modèle pour les enfants des grands », c'est-à-dire des futurs hauts dignitaires du royaume. Cet « enseignement » « sera utile à qui écoutera, mais chose nuisible à qui transgressera ». D'emblée il se donne pour but de « suivre la Maât » et d'« être exempt de mensonge ». Mais accéder à une vie conforme à la Maât suppose une certaine disposition d'esprit. La qualité fondamentale est l'aptitude à écouter, considérée comme fondatrice de l'harmonie sociale nécessaire. L'oeuvre se conclut par un véritable éloge de la capacité d'écoute. Celle-ci doit déboucher sur une attention constante à l'autre, si humble soit-il: « N'emplis pas ton coeur du fait que tu es savant ; discute avec l’ignorant de la même façon qu'avec l'érudit, car on n'a jamais atteint les limites d'un art et nul artiste ne possède la perfection. Une bonne parole est plus rare que la pierre verte, on la trouve pourtant parmi les servantes qui travaillent à la meule. » C'est la maîtrise de soi qui conduit à cette aptitude d'écoute. 

En Égypte ancienne, le sage est le « silencieux », celui qui donne priorité au « coeur » (siège de l'intellect, de la raison) sur le « ventre » (l'instinct), refusant la colère ou l'énervement en toute circonstance. Cette attitude de vie doit déboucher sur l'action juste conforme à la Maât. L'homme sage doit d'abord respecter la hiérarchie sociale découlant de la volonté royale. La promotion issue de la décision royale est en soi  reconnaissance d'une conformité à la Maât dont le souverain est le garant, d'où la valeur reconnue au mérite plus qu'à la naissance. Mais l'harmonie de la société revêt aussi une notion de justice sociale, c'est-à-dire la solidarité du fort ou du puissant envers le faible ou le petit. Elle est la contrepartie du respect de la hiérarchie : « Si tu es un chef, écoute calmement les paroles d'un quémandeur, ne le repousse pas avant qu'il ait vidé son corps de tout ce qu'il a pensé te dire, l’homme malheureux aime soulager son coeur plus encore que de voir accomplir ce pourquoi il est venu. » La paix sociale, fondée sur l'écoute de l'autre, suppose aussi le renoncement aux vices destructeurs de cet ordre idéalisé : le mensonge, la jalousie, la calomnie. On mesure la réussite dans cette quête de la sagesse à la reconnaissance royale, certes, mais aussi à la manifestation de l'opinion publique... 

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AKHENATON  et la spiritualité de la période amarnienne 

La spiritualité de l'époque amarnienne et la réforme religieuse d'Akhénaton s'inscrivent, malgré de fortes originalités, dans l'évolution générale de la religion égyptienne du Nouvel Empire (env. 1550-1070 av. J. C.). Deux mouvements de fond sont notables: l'importance croissante des théologies solaires d'Héliopolis et de Thèbes; la montée d'un désir de rapport plus personnel et intime avec la divinité, le plus souvent le dieu principal de sa ville et de sa région.

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 Culte solaire et ordre du monde :

L'affirmation du culte solaire, autour de l'intense activité intellectuelle du clergé d'Héliopolis et du dieu solaire Rê, est constante depuis l'Ancien Empire (env. 2660-2180 av. J. C.) et se manifeste notamment dès le Moyen Empire (env.2040-1650 av. J. C.) par la solarisation des cultes (Sobek-Rê, Khnoum-Rê, Montou-Rê, Amon-Rê). Toutes les cosmogonies se réfèrent aux mêmes images fondamentales d'un dieu démiurge autogène se manifestant sous la forme d'un tertre émergeant du magma liquide primordial (le chaos) d'où jaillit, selon des modes opératoires qui peuvent différer d'un mythe à l'autre, l'astre solaire (Rê), lumière organisatrice du monde créé. À cet ordre initial de la création, dynamique qu'il faut maintenir contre un chaos toujours susceptible de revenir, les Égyptiens ont donné le nom de Maât, déesse conçue comme la fille de Rê.

Cet ordre universel est notamment perçu à travers le prisme des grands cycles de la nature, particulièrement du parcours solaire quotidien, véritable drame cosmique où chaque nuit l'astre solaire doit triompher des adversaires représentant les forces de retour au chaos pour manifester à l'aube la victoire de la Maât et permettre l'action vivifiante du soleil et des multiples formes divines qui lui sont associées en tout lieu d'Égypte. Le roi, conçu comme de nature et divine et humaine, est garant de l'actualisation quotidienne de la création et du maintien de cet équilibre du monde, notamment par sa fonction première d'organisateur et de desservant du culte entretenant la force d'action des dieux.

Au Nouvel Empire, la théologie du dieu dynastique Amon-Rê à Thèbes intègre tout cet héritage : Anion (le « caché », le dieu démiurge) se manifeste en Rê et génère toutes les formes divines conçues comme ses hypostases, exprimant comment l'Un originel se fait multiple et irradie sa création à travers la multiplicité des phénomènes possibles liés à la force fondamentale du divin. Cette animation du monde, et des phénomènes qui en résultent, suppose dans la vision traditionnelle l'intervention du roi et des hommes à travers l'offrande qui nourrit la force d'action des dieux sur le monde ; en réponse, ceux-ci garantissent le maintien de la perfection de l'ordre initial de la création qu'actualisent les actes quotidiens du roi. C'est pourquoi chaque matin, dans tous les temples, au même moment, sont accomplis les mêmes gestes cultuels, sont prononcées les mêmes paroles rituelles, quelle que soit la forme divine à laquelle on s'adresse. Textes et décors des temples ont pour but de garantir la permanence des gestes et des paroles en cas de défaillance ou d'interruption du culte. 

Cette vision dramatique de l'univers dont il faut sans cesse entretenir (équilibre s'exprime dans les mythes solaires et osiriens dont les livres funéraires royaux du Nouvel Empire constituent des exemples parlant, identifiant le destin du roi défunt à la régénération nocturne du soleil. De même, l'accès des hommes à un au-delà de la tombe où ils vont connaître une nouvelle vie dans des lieux où séjournent les dieux suppose une qualification ne remettant pas en cause l'ordre universel. C'est le but, dès le Moyen Empire, de certains passages des Textes des sarcophages et, surtout au Nouvel Empire, du célèbre Livre des morts. La magie du texte et des formules à prononcer doit garantir, d'une part, la purification du défunt de tout acte mauvais et, d'autre part, son initiation à la connaissance des dieux qu'il va rencontrer, éléments indispensables pour ne pas remettre en cause la répétition des cycles de la marche de l'univers. Il ne s'agit donc pas d'un véritable jugement, mais d'une nécessaire constatation de l'efficacité des rites permettant une non-remise en cause de l'efficacité des rites (agir des dieux par un intrus fauteur de désordre. Nulle place ici pour une idée de pardon ou de miséricorde divine. C'est l'accès aux rites funéraires et à la nécropole qui apparaît comme une juste rétribution pour celui contre qui nul témoignage n'est porté. On voit d'ailleurs à cette époque se développer des prières ou des hymnes demandant aux dieux protection, guérison, rétribution dès le monde des vivants.

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 Une nouvelle sensibilité religieuse sous le signe d'Aton :

Dans ce contexte, comment apprécier l'originalité de l'expérience religieuse du règne d'Aménophis IV -Akhénaton (env. 1364-1347) ? Après quatre années de cohabitation avec le clergé d'Amon-Rê à Thèbes, où il affirme sa dévotion personnelle au disque solaire, Aton, en lui érigeant un temple à Karnak, à l'est du grand temple d'Amon-Rê, la crise éclate. Le roi modifie son nom en Akhénaton et entreprend de construire une nouvelle capitale en Moyenne-Égypte, sur le site de Tell el-Amarna, qu'il dénomme Akhet-Aton, « l'horizon d'Aton ».

Malgré sa puissance, le clergé d'Amon n'a pu s'opposer aux décisions d'un roi pleinement légitime. À vrai dire, la nature de ces évolutions n'est pas facile à saisir à travers des textes peu nombreux ou des sources monumentales et iconographiques laissant une large place à l'interprétation. Il s'y mêle des éléments de continuité et de rupture. […]

Mais la grande rupture apparaît surtout dans l'idée que l'on se fait de la marche de l'univers. À la conception traditionnelle et dramatique du cosmos comme lieu d'affrontement entre les forces de maintien de la Maât et celles visant au retour du chaos, succède une perception apaisée et automatique de l'alternance des jours. La nuit n'est plus que le repos du dieu, moment certes inquiétant de l'obscurité, de l'inconscience et de l'inertie, mais la capacité du disque à réapparaître n'est plus mise en cause. La force d'Aton apparaît comme immuable et indépendante de l'action des hommes. La Maât procède de lui et ne peut être remise en cause, d'autant que le roi en devient moins l'agent que l'incarnation sur terre, comme il est l'incarnation du dieu son père. Dès lors la nature même du culte se modifie en un acte d'action de grâce devant la manifestation vivifiante de la lumière. Cette vision apaisée du renouvellement des grands cycles de l'ordre universel apparaît nettement dans le grand hymne à Aton inscrit dans la tombe d'Ay, personnage important de la cour d'Amarna. Il en découle une morale décrivant une nature qui ne peut être que bonne, où le dysfonctionnement et le mal ne paraissent plus pris en compte comme dans l'affrontement traditionnel toujours recommencé de l'ordre et du chaos. La même vision apaisante s'applique au devenir après la mort dans les hymnes des tombes amarniennes. Ce que le disque amène à l'existence, renouvelle et anime quotidiennement, ne peut être que bénéfique. De plus, cette lumière vivifiante n’est pas conçue comme réservée au seul pays d'Égypte, mais prend un caractère universel: ainsi par exemple le dieu fait vivre les hommes d'Égypte par l'eau venue du monde souterrain (la crue) et les étrangers par une eau descendue du ciel (la pluie). Mais la soumission nécessaire à l'autorité du roi d'Égypte reste proclamée, l'astre solaire « liant » toujours les pays étrangers pour lui, car il incarne sur terre l'action bénéfique du dieu qui est dans le ciel.

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HERACLITE d'Ephèse

env. 544 avant J. C. Éphèse - 484 avant J. C.

Héraclite descendait d'une famille noble qui prétendait remonter à Codros, roi légendaire d'Athènes. Il se détourna avec amertume de sa ville natale, l'accusant de ne croire qu'aux saltimbanques et d'écouter les leçons de la populace. Il fuit la masse et se réfugie dans la solitude de la nature «non profanée». Celle-ci se révèle à lui sur les sommets des montagnes, dans les vagues des fleuves, dans le ciel nocturne plein d'étoiles. Tandis que fait rage, au large des côtes ioniennes, le combat de libération qui oppose les citoyens grecs à la monarchie perse, Héraclite médite dans la solitude sur l'espace et le temps, en quête de vérités éternelles.

Si les présocratiques, en particulier les philosophes de Milet, s'interrogeaient sur la matière originelles constituant tout étant, avec Héraclite c'est un nouveau questionnement qui passe au premier plan : qu'est-ce qui fait que les choses sont ce qu'elles sont ?

L'idée fondamentale, dans la doctrine d'Héraclite, c'est l'axiome selon lequel tout s'écoule et rien ne saurait rester dans un être immuable. L'image qui lui sert à exprimer cette idée, c'est qu'on ne saurait se plonger deux fois dans le même fleuve : en effet, les eaux ne sont plus les mêmes, et l'homme est devenu un autre. C'est le flux perpétuel qui selon Héraclite caractérise l'essence du monde. (La fameuse formule radicale panta rhei, tout coule, est un résumé ultérieur.) L'éternelle agitation du devenir, la succession des phénomènes du monde visible s'habille chez lui d'images fascinantes, dont l'image symbolique du feu: «Nul dieu ni nul homme n'a créé le monde, il a toujours été et sera toujours un feu éternellement vivant, rougissant selon des mesures et s'éteignant selon des mesures.» Le feu devient ainsi, en philosophie, la manifestation apparente et la description d'un mouvement réglé de hauts et de bas.

Le devenir s'effectue par contrastes qui mettent le fleuve en mouvement. Il s'agit pour Héraclite de principes opposés comme la vie et la mort, la veille et le sommeil, la jeunesse et la vieillesse, qui constamment s'affrontent et se relaient. Il conçoit cette lutte comme le principe cosmique, céleste et terrestre, qui développe en revanche une fructueuse énergie, à savoir la vie. Sur cet arrière-plan, sa formule souvent mal comprise faisant de la guerre la mère et la reine de toute chose prend un autre sens : elle exprime la coexistence des contraires qui s'affrontent.

Le pilier de sa doctrine, fondé sur la conception des contraires, c'est l'idée du logos, du verbe. Pour Héraclite, le logos est ce qu'il y a de commun dans la diversité, c'est la mesure qui fait flamber ou s'éteindre le feu, c'est la loi divine unique qui régit tout. L'idée était née d'une raison éternelle, suprasensible, gouvernant tout dans le monde. Le logos, pour Héraclite, c'est Dieu, qu'on invoque sous le nom de Zeus. De la même façon, cent ans environ après Jésus-Christ, l'évangile de jean commence par Dieu est logos, le Verbe. De surcroît, Héraclite intègre à la notion de logos le tout en éternel devenir, donc l'alternance du jour et de la nuit, de l'été et de l'hiver, etc... Le logos devient donc la loi cosmique régissant le devenir, le concept même de l'absolu.

Ce qui parait caractéristique de l'époque, c'est d'allier ainsi le principe cosmique du logos avec l'élément matériel du feu originel. La conception héraclitéenne de Dieu est donc immanente : Dieu n'est pas un dieu transcendant, ni encore moins personnel.

Mais Héraclite est aussi le premier philosophe dont la doctrine fasse à l'homme une place particulière, en tant qu'être spirituel qui tire les choses au clair, parce qu'il a construit une relation intime avec le logos incarnant le principe cosmique. Pour la première fois, l'homme se trouve organiquement intégré au cosmos en sa qualité d'être doué d'esprit, la question de l'homme et du logos, question qui est la plus importante de toute la philosophie, commence à se poser avec Héraclite.

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PARMENIDE

env. 540 avant J. C. Élée - env. 470 avant J. C.

 Parménide naquit à Élée, non loin de Paestum. De sa vie, on sait seulement qu'il rédigea des lois pour sa cité natale. Son ouvrage philosophique s'intitulait comme il était d'usage De la nature, mais c'était un poème didactique en hexamètres. La première partie de l’œuvre traite du chemin de la vérité ; qui conduit à l'être et que suivent les philosophes; la seconde décrit le chemin de l'opinion, qui conduit à l'apparence trompeuse et qu'emprunte le commun des mortels.

A la différence de ses devanciers, il pose une question nouvelle: quel est le présupposé de toutes les opinions exprimées jusque là ? La réponse lui paraît être l'existence du non-étant. La question qui s'ensuit est : un non-étant peut-il être en quelque manière pensé ? Quand on pense quoi que ce soit, il faut penser quelque chose, un objet ou entité. À partir de cette position fondamentale, Parménide développe dès lors sa méthode philosophique propre, qui part de la pensée, mais laisse de côté intuition et expérience. C'est par la voie de la pure pensée qu'il entend saisir la vérité en soi.

Or l'homme ne pense que d'une manière : en reliant le sujet et le prédicat d'une proposition, qui constitue alors un jugement. Cette constatation permet à Parménide d'arriver jusqu'à l’être, car un objet de la pensée ne saurait être qu'un étant réel. La pensée est pour lui ce qui est le plus originel en l'homme, qu'elle élève au-dessus du monde empirique:

Elle confère à l'homme le vrai, qui est l’être. Pensée et être ne font qu'un pour lui. II dit: « Identique est la pensée et ce sur quoi nous pensons, car tu ne rencontreras pas lee penser sans l’étant, là où il est exprimé .»

Le jugement qui fait intervenir le verbe «être» échappe au temps, il est d'une absolue réalité. Parménide en conclut que l'étant est ce qui ne devient pas, ne change pas, ne passe pas. Il adopte donc la position opposée à celle d'Héraclite. Pour Parménide, il n'y a pas de devenir, il n'y a que de l'être. Le devenir est pour lui du non-être, parce qu'il est fluide et sans consistance. C'est la perception sensible qui crée l'illusion du devenir et de la multiplicité.

Aussi la récuse-t-il, parce qu'elle n'est pas pensable, comme une apparence trompeuse. Le concept parrnénidien d'être est statique, il ne connaît pas l’évolution. Pour lui, l'être est ce qui persiste indéfiniment dans son identité. On ne peut le subdiviser ni le scinder, il dure éternellement dans l'immobilité. Parménide illustre donc son concept d'être par l'image d'une sphère parfaite et parfaitement close dans ses limites. Il faut attendre Platon pour que l'être prenne une signification supplémentaire qui inclura le mouvement et ne limitera pas l'être à l'immobilité de l’identique.

Parménide a ainsi été le premier à établir la distinction connaissance par les sens et connaissance rationnelle. Mais, inclinant à l’abstraction conceptuelle, il voyait dans le monde des concepts le monde véritable, confondant du même coup la construction logique avec la réalité. Mais il fut l’un des métaphysiciens importants, et en même temps le père de la logique, car il discerna les lois fondamentales qui s’imposent à la pensée lorsqu’elle cherche l’être, l’un et le tout.

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ZENON d'Elée

env. 490 avant J. C. Élée - env. 430 avant J. C.

 Zénon d'Élée est désigné comme le disciple préféré de Parménide. Il est le premier d'une longue série de philosophes qui furent victimes des tyrans. Autour de 450, il se rendit à Athènes avec son maître Parménide, dont il défendit la doctrine de l'être, oralement et par écrit. Sur son public, où figurait Périclès, il dut faire une impression inoubliable, car on fut incapable de réfuter ses arguments.

Pour étayer la doctrine de Parménide niant le mouvement et la diversité, Zénon recourait à quatre preuves restées célèbres, qui font de lui le fondateur de l'argumentation dialectique. Sa démarche consistait à entrer tout d'abord dans les vues de ses adversaires et à en déduire, sur le même problème, deux conséquences complètement contradictoires, de sorte que ses adversaires étaient contraints d'abandonner leur argumentation. À Athènes, l'état d'avancement de la logique ne permettait pas de discerner et de déjouer ce que ces «preuves» avaient de fallacieux. En s'en prenant à la multiplicité des choses et à la réalité du mouvement dans l'espace, Zénon corroborait indirectement l'immuabilité et l'immobilité de l'être selon Parménide.

La première preuve consiste à affirmer qu'il ne peut y avoir de mouvement parce qu'une distance à parcourir, comme toute étendue, peut se diviser en une infinité de petites parties. Or, dit Zénon, il est impossible de parcourir un trajet fait d'une infinité de petites parties, car ce serait prétendre parvenir au terme de quelque chose qui n'a pas de terme, puisque ses parties sont en nombre infini. Dans sa deuxième démonstration, il explique à son auditoire interloqué qu'Achille, le coureur le plus rapide de l'Antiquité, ne pourrait jamais rattraper une tortue qui a pris une certaine avance. En effet, d'ici qu'Achille ait rattrapé cette avance, la tortue a continué de progresser et se trouve de nouveau en avant, et ainsi de suite : l'écart se réduit entre les deux concurrents, mais ne pourra jamais être comblé entièrement, de sorte que jamais Achille ne rattrapera la tortue. La troisième démonstration établit qu'une flèche qui vole ne se meut qu'en apparence et qu'en en réalité elle est immobile. La preuve en est que, dans son vol, la flèche se trouve toujours à un certain endroit de l'espace. Or, se trouver à un endroit c'est y être immobile. La trajectoire pouvant être divisée en une infinité de portions d'espace, la flèche est immobile dans l'air. La quatrième preuve démontre que le mouvement est une illusion, car deux corps se déplaçant à même vitesse dans deux directions opposées dépassent un corps immobile dans l'espace à une vitesse différente de celle à laquelle ils se croisent.

 Pour nous ces arguments sont des paradoxes, parce qu'ils confondent la sphère du logique avec Socrate, portrait énigmatique celle du réel. Par exemple, l'infinité de petites portions de l'espace n'a pas d'existence réelle, c'est seulement une façon de penser. La problématique philosophique de Zénon tient à l'idée que connaissance et objet de connaissance sont identiques. De longs débats seront encore nécessaires avant que la philosophie puisse admettre que l'esprit pensant peut fort bien viser tout à fait à côté de l'être et formuler un monde de jeux intellectuels étrangers à la réalité.

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SOCRATE, un portrait énigmatique

Nous ne savons rien de la formation de Socrate. La rencontre avec Parménide que Platon met en scène dans le dialogue du même nom est certainement fictive. On ne sait pas si Parménide vivait encore au milieu du cinquième siècle et Socrate n'était qu'un jeune tailleur de pierres sans doute fort affairé sur les chantiers d'une Athènes en pleine reconstruction. Quelques années plus tard, il sera probablement à l'œuvre sur l'Acropole. En tout cas l'absence de traces de sa vie jusqu'à l'âge de quarante ans montre sans doute qu'il est passé inaperçu; personne n'aura jugé bon de remarquer son comportement. En raison du caractère tardif de sa célébrité, les témoins de sa jeunesse avaient souvent disparu quand il est devenu un personnage public, et il ne semble pas avoir beaucoup parlé de lui à ses disciples. Il a probablement participé à plusieurs campagnes militaires, et on ne sait pas quand il a abandonné son métier pour la philosophie. Sa formation est certainement celle d'un autodidacte, d'autant plus qu'il n'y avait pas encore d'écoles constituées à Athènes, d'où les tournées de ces professeurs itinérants que sont les sophistes, lesquels étaient à peu près de la génération de Socrate, qui n'avait pas les moyens de se payer leurs leçons et se contentait généralement de discuter avec eux après les cours.

Socrate entre pour nous dans l'histoire vers 430, à l'occasion de circonstances dramatiques; le siège de Potidée. Cette expédition au nord de la mer Égée dura deux années terribles pour le contingent athénien, en raison de l'épidémie de peste qui venait de frapper la cité. Les approvisionnements en furent évidemment désorganisés, et la maladie elle-même tua les trois quarts des troupes athéniennes. Socrate sortit indemne de cette épreuve du froid, que les troupes n'étaient pas équipées pour affronter, de la faim, du combat et de la peste. C'est là qu'il se lia d'amitié avec le jeune Alcibiade, à qui il sauva la VIe et qui, à leur retour, dut lui ouvrir la porte de la bonne société athénienne. Le récit que lui prête Platon, dans le Banquet, montre un Socrate tout à fait étrange. Insensible au froid, pieds nus même dans la neige, il est en toute saison vêtu de la même façon. Il supporte la faim sans broncher, ce qui ne l'empêche pas de manger plus que n'importe qui lorsque les approvisionnements le permettent. Enfin il reste un jour debout, immobile, en extase, pendant vingt-quatre heures; stupéfaits, ses compagnons l'observent jusqu'au moment où il reprend son état normal, fait une prière au soleil et s'en va tranquillement comme s'il ne s'était rien passé. Ces extases, à en croire le même Banquet, étaient assez habituelles à Socrate, dont tout le monde connaissait aussi ce qu'on appelle son « démon », et que Platon présente non comme une entité personnelle, mais comme quelque chose de démonique, ou comme un signal - le démonique étant ce qui fait la relation entre le divin et l'humain. Ce signal l'avertit pour le détourner de voies qu'il ne doit pas prendre. Il ne s'agit pas du tout d'une figure de la conscience: ce n'est pas du mal que l'éloigne son « démon », mais d'aller à tel endroit, ou d'accepter tel disciple, choses qui, évidemment, sont moralement neutres. Et Socrate se fie constamment à cet avertissement; s'il ne se manifeste pas, c'est que la volonté divine donne son aval. Socrate est donc un homme qui se vit en relation constante avec le divin. S'il s'affirme ignorant, c'est parce que le savoir est réservé à Dieu et que nous ne pouvons en avoir que des aperçus quand notre âme s'envole jusqu'aux réalités divines.

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 Le savoir paradoxal

Il y a quand même un savoir socratique. D'abord, l'évidence que l'ordre du monde implique un dieu organisateur providentiel à qui nous devons toute notre gratitude. Ensuite l'immortalité de l'âme, qui ne peut qu'être toute naturelle pour quelqu'un qui, dans la pratique de l'extase, a expérimenté la séparation de l'âme et du corps et constaté que, lors de la mise en sommeil du corps, l'âme accède à des états et des connaissances supérieurs. Le corps lui apparaît donc comme un obstacle, une prison à laquelle nous enchaînent les plaisirs, mais dont il ne faut se détacher qu'intérieurement et non par le suicide parce qu'il appartient à Dieu seul de décider de notre mort qui est, en fait, notre entrée dans la vie.

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La révolution morale

Dans cette optique, on comprend les paradoxes révolutionnaires de la morale socratique: nul ne fait le mal volontairement et il vaut mieux être la victime que l'auteur d'une injustice. Celui qui cause du tort à autrui est le jouet de ses passions, qui l'enferment encore plus étroitement dans la prison du corps, si bien qu'il se fait d'abord du mal à lui-même. Le simple souci de soi fonde la morale: on ne respecte pas l'autre pour lui-même, mais pour soi-même. Symétriquement, le tort que peut me faire l'autre n'atteint que mon corps, et non pas mon être véritable, de sorte qu'il n'est pas en lui-même un mal. Et si nul ne fait le mal volontairement, ce n'est pas en vertu d'une psychologie naïvement angélique, mais parce que ceux qui commettent le mal ignorent que c'est à eux-mêmes qu'ils causent du tort: ils ne savent pas ce qu'ils font, en l’occurrence s'avilir en faisant d'eux-mêmes des êtres mauvais. Paradoxalement, cet égocentrisme moral, qu'on retrouve dans le stoïcisme, est plus exigent qu'une morale altruiste comme la nôtre. Si l'autre ne compte guère, c'est qu’on ne peut atteindre que son corps, et non sa personne réelle, de sorte que  l’offense n'est qu'une apparence. Face à l'offense, le philosophe dira donc qu'il ne s'est en fait rien passé, de la même manière que les juges peuvent bien condamner Socrate à mort, mais non lui faire du mal, puisque sa mort le délivre des chaînes qui le maintiennent dans la prison du corps. Il n'y a, par conséquent, pas de place pour le pardon, qui n'a pas de raison d'être du simple fait qu'il n'y a pas d'offense et donc rien à pardonner. Cette mise de l'autre entre parenthèses rend par là-même la morale plus radicale: il ne s'agit plus de se faire pardonner, d'effacer le tort subi par l'autre, ce qu'on suppose toujours plus ou moins possible mais de déraciner de soi les passions, ce qui est beaucoup plus difficile. Les Grecs ont-ils ignoré le pardon ? Peut-être, en ce sens que le pardon est un don, la remise d'une dette. « Pardon » se dit en grec sungnômè, c'est-à-dire « pensée accordée ». Ce n'est donc pas la faute, avec sa remise ou son rachat, qui est au cœur du pardon grec, mais le rétablissement d'un accord, la fin de l'hostilité. Quant à l'idée d'un pardon divin, elle n'a pas de sens puisque nous ne saurions offenser Dieu.

 En dernière instance, s'il faut viser le bien, c'est non seulement parce qu'il nous oriente vers le divin, mais aussi à cause du jugement qui nous attend après la mort. D'après le Socrate du Phédon, ceux qui auront recherché le divin toute leur vie, les philosophes, auront accès au monde des bienheureux s'ils ont réussi pendant cette vie à se détacher des liens du corps ; les autres, la plupart des gens, iront dans un lieu où ils se purifieront de leurs souillures jusqu au moment où ils connaîtront un bonheur proportionné à leurs mérites ; les plus grands criminels seront livrés aux tourments sans fin du Tartare, que nous appellerions l'enfer, s'ils n'ont pas regretté leurs actes ; quant aux grands criminels qui auront connu le remords, après un séjour de purification au Tartare, ils n'en seront libérés que lorsqu'ils auront obtenu l'accord - que nous appellerons le pardon - de leurs victimes. On note au passage que le mythe de la métempsycose disparaît ici.

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PLATON, mystique ? 

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Platon, Athènes et la mort de Socrate

Né dans une famille de la plus ancienne aristocratie athénienne, Platon a dû devenir disciple de Socrate aux alentours de l'âge de vingt ans, de sorte qu'il connut, pendant tout au plus les dix dernières années de sa vie, un Socrate sexagénaire. De par sa naissance et son intérêt pour la chose publique, Platon aurait dû se lancer dans la politique, mais l'histoire et la philosophie, ici intimement mêlées, en ont décidé autrement. L'histoire frappe d'abord, avec la double catastrophe de 404 : Athènes est vaincue par Sparte et une oligarchie sanglante installe sa dictature dans la cité défaite, éliminant physiquement tous les démocrates qui n'ont pas fui. Or, parmi les Trente Tyrans figurent deux membres de la famille de Platon, Critias, qui en est même le chef, et Charmide, deux personnages que Platon met d'ailleurs en scène dans ses dialogues, mais sous une tout autre face. Et c'est dans les troubles de la remise en ordre qui suit le rapide retour de la démocratie qu'aura lieu le procès de Socrate, scandale d'où naîtra la philosophie. Devant les horreurs de la tyrannie oligarchique, dans laquelle avait trempé sa famille (mais dont il était lui-même parfaitement innocent), et l'incapacité de la démocratie à donner à Athènes une politique cohérente et pacifique, à quoi s'ajoutait la « bavure » de la condamnation tout à fait légale de Socrate, Platon se détourne de ses ambitions politiques et va consacrer toute sa vie à faire revivre, dans ses dialogues, son maître que la cité n'avait pu réduire au silence que par la mort.

La politique restera cependant toujours au centre de ses préoccupations puisque, après avoir écrit La République à l'époque de sa maturité, il mourra en terminant les Lois, ses deux oeuvres de loin les plus volumineuses. La tentation politique le surprendra même, lors de voyages en Sicile, où il tentera, sans aucun succès, de conseiller la dynastie d'autocrates qui régnait à Syracuse.

À Athènes, Platon fonde, dans les années 380, la première école philosophique, qui porte le nom d'Académie parce qu'elle se situait dans le quartier dit d'Académos.

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Platon mystique ?

S'il est bien difficile de distinguer la spiritualité de Platon de celle de Socrate dans la mesure où le disciple adhère à la pensée de son maître, leurs personnalités sont toutefois très différentes. Alors que Socrate était un mystique extatique mais solidement incarné, Platon est un intellectuel aristocrate et raffiné. Il n'a certainement pas connu d'extases, comme son maître, ce dont il faudrait se garder de conclure qu'il est totalement étranger à l'expérience du contact avec le surnaturel. Sa remarquable réceptivité à l'aspect mystique de Socrate (par ailleurs confirmée par le témoignage - impartial en l'occurrence d Aristophane), qu'on ne retrouve pas du tout aussi vivante chez Xénophon, signe probablement une connivence profonde.

Il faut abandonner la conception scolaire qui attribue à Platon une « théorie des Idées » qui impliquerait un monde d'archétypes où seraient conservés tous les originaux dont les copies peuplent notre réalité terrestre, conception explicitement et définitivement réfutée dans le Parménide. Que sont alors les Idées, ou Formes platoniciennes ? Elles apparaissent dans l'ordre des valeurs ou de la connaissance : le beau, la justice, la science. La beauté, la justice et la connaissance ne sauraient se fonder que sur une réalité transcendante. Le sens, l'harmonie et la vérité ne peuvent résider dans l'immanence, il faut un ordre supérieur pour les faire exister. C'est cet ordre qui, tout naturellement puisqu'il est le fondement de la réalité sensible, constitue la réalité première, la réalité véritable à côté de laquelle le monde sensible se situe à un niveau ontologique plus bas : il y a moins d'être dans le sensible que dans ce qui le fonde. Cette réalité première, nous en avons l'intuition dans l'expérience de la découverte, par exemple dans l'instant où nous voyons la solution d'un problème de géométrie, mais l'importance que lui accorde Platon laisse supposer qu'au-delà du caractère parfaitement rationnel de l'argumentation par laquelle il le pose, il a vécu ce qu'il figure par un envol de l'âme ou par la sortie de la caverne, c'est-à-dire probablement un état modifié de conscience dans lequel le sens de toute réalité semble nous être donné dans une évidence intuitive, état de quasi-vision donatrice de sens, qui n’est cependant pas une extase.

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EPICURE

341 avant J. C. Samos  - 270 avant J. C.

Épicure dit avoir pratiqué la philosophie depuis l'âge de quatorze ans. De Samos, où son père était colon et sans doute enseignant, il vient à Athènes passer son temps d'éphèbe, puis rejoint ses parents - chassés de Samos par les guerres lamiaques (324-322) - à Colophon. Le maître d'Épicure fut Nausiphane, partisan de l'atomisme. Épicure lui-même commence d'enseigner la philosophie en 311/310 à Mytilène, puis à Lampsakos. Avec les disciples qu'il s'y est faits, Métrodore et Colotès, il achète à Athènes une demeure avec un jardin, qui vaut à son école le nom de «jardin d'Épicure». Il s'agit, aux yeux du philosophe, d'une communauté partageant les mêmes convictions et un même mode de vie.

Épicure apparaît comme l'adversaire du socratisme, dont le principal souci était de mener l’homme vers le bien. La logique n'est plus reconnue comme système autonome, et l'étude de la nature a pour objectif de procurer à l'homme la tranquillité d'âme sans laquelle il est impossible de parvenir à la félicité. Toute connaissance est pour Épicure une perception par les sens, toujours fondamentalement vraie parce qu'elle est un mouvement de l'âme. Elle consiste à ce que de petites images se détachent des objets pour affluer dans les organes des sens. Toutes les autres facultés sont aussi mues par de tels afflux.

En métaphysique, Épicure et ses disciples renouvellent l'atomisme de Démocrite. Les atomes se trouvent et se meuvent dans un espace vide illimité. Tout l'être s'explique par là. Même l'âme et l'esprit sont définis comme matière. L'âme est une partie du corps et donc mortelle comme lui. Seuls les atomes sont éternels. La genèse du monde s'explique par le principe de hasard, lorsque les atomes, tombant de toute éternité dans l'espace infini, dévient sans cause de leur trajectoire de chute et se heurtent les uns aux autres. Par ce modèle explicatif recourant au hasard, Épicure conteste l'existence du destin que défendaient les stoïciens : il veut émanciper la libre volonté de l'homme face à la toute-puissance menaçante que constitue un destin comme cause inéluctable. C'est la raison pour laquelle il combat aussi les mythes religieux, car l'idée d'un destin et d'une intervention des dieux empêche de jouir de la vie. L'idée sous-jacente, c'est que c'est le plaisir qui détermine la valeur éthique de l'action, et que (homme n'agit que pour le plaisir.

L'éthique, dont les commandements consistent seulement en règles empiriques judicieusement formulées, constitue l'essentiel du système philosophique appelé hédonisme. Dans la perspective d'Épicure, le bien moral n'est autre que le plaisir. Cette doctrine s'oppose donc aux stoïciens, pour qui la vie tend à se conformer à la nature. Ce n’est pas le bien objectif qui est le principe directeur, mais le plaisir subjectif, c'est-à-dire l'absence de douleur et de chocs mentaux, la tranquillité et la sérénité. Mais le plaisir est aussi affaire de sensualité, car Épicure situe dans l'estomac la source de tout bien: la sagesse et tous les élans spirituels se ramènent à lui.

Outre ses traités systématiques, Épicure a laissé de brèves sentences de sagesse pratique, applicables à la conduite de la vie dans toutes les situations. Il a aussi écrit une sorte de catéchisme ramassant, en quarante et une maximes, l'essentiel de sa philosophie. À la base de ces maximes, on trouve la certitude d'être en possession de la vérité et de pouvoir indiquer la seule voie menant à la tranquillité de l'âme. La doctrine d'Épicure est donc une vision du monde très cohérente. L'un de ses aspects essentiels est un «oui» à la vie, dont on ignore les aspects sombres. Même la pensée de la mort ne saurait être un frein, car Épicure enseigne que la mort ne nous concerne pas tant que nous vivons, et que lorsqu'elle intervient, nous ne sommes plus. Cette positivité incite l'homme à jouir du jour présent, mais il s'agit moins d'un insatiable appétit de plaisirs que d'être réceptif aux valeurs de l'existence.

Cette attitude est symbolisée par la déesse Vénus, incarnant la joie de vivre, le charme de la beauté et les délices de l'amour. L'existence elle-même, de par ce qu'elle offre, nous invite à jouir de chaque jour. À cela s'ajoutait l'idéal suprême de modération, car la cinquième maxime du catéchisme dit : « Il n'est pas possible de vivre dans le plaisir sans vivre dans la raison, la beauté et la justice; et il n'est pas possible de vivre dans la raison, la beauté et la justice sans vivre dans le plaisir.»

 

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